Parcours de soins, épisode de soins, qualité, capitation… Le ministère de la Santé tente un coup de pied dans la fourmilière de la tarification des soins de ville. Pour certains médecins libéraux, cette volonté signe l’arrêt de mort de la médecine libérale. Pour les groupes d’hospitalisation privée, c’est l’occasion de plonger un orteil dans le marché de la médecine de ville. Alors qu’il vient tout juste de faire l’acquisition du suédois Capio, Ramsay Générale de Santé, devenu à cette occasion Ramsay santé, fait partie des acteurs décidés à proposer une alternative à la médecine libérale pour les soins primaires. Pour cela, le groupe compte profiter des libertés que permet l’article 51 de la loi de financement de la Sécurité sociale, destiné à accompagner les propositions innovantes. Et, pour Ramsay santé, l’innovation se fera notamment par une prise en charge des patients par capitation.

« Aujourd’hui, la médecine générale payée à l’acte garde tout son sens pour un bon nombre de prises en charge. Mais si elle est nécessaire, elle n’est, à mon avis, plus suffisante, estime François Demesmay, directeur innovation médicale et expérience patient de Ramsay santé. La capitation est quelque chose que nous cogitions depuis quelques années déjà. » Une réflexion d’autant plus aboutie pour l’ancien vice- directeur médical du groupe Capio qui a pu faire l’expérience de ses « vertus » dans les soins primaires en Suède. Il ne manquait plus que l’article 51.

Les centres de santé Ramsay pourront donc recevoir des forfaits pour la prise en charge de leurs patients. Les montants de ces forfaits sont fondés sur les grilles Peps (paiement en équipe de professionnels de santé) établies grâce à une expérimentation lancée par le ministère de la Santé et la Caisse nationale d’Assurance maladie en 2019 – elle aussi dans le cadre de l’article 51. Ils sont calculés en fonction du type d’affection de longue durée (et de leur nombre pour les patients polypathologiques), de l’âge ou encore du sexe des patients, après évaluation des coûts de leur prise en charge en paiement à l’acte.

Plus de qualité pour plus de rentabilité

À quels besoins Ramsay santé entend-il répondre ? « L’intention est de faciliter l’accès aux soins en réduisant les barrières pour le patient, qu’elles soient géographiques – en créant de l’accès là où il n’en existe pas – mais aussi économiques, souligne François Demesmay. Les patients entreraient dans une logique qui rappelle le tiers payant : une fois qu’ils sont affiliés dans un centre, ils n’ont plus à payer pour bénéficier de la prise en charge. »

Implantation dans des déserts médicaux en accord avec les agences régionales de santé, tiers payant : de quoi séduire les autorités. Et pour terminer de les convaincre, Ramsay santé appuie son argumentaire sur un élément « que ne permet pas la médecine à l’acte » : la possibilité d’accorder du temps à la prévention et à la coordination, qui sortent de la logique habituelle de la médecine libérale pour François Demesmay. Et c’est dans le suivi des pathologies chroniques qu’il estime que les centres de santé prendront tout leur sens.

Le raisonnement économique est le suivant pour Ramsay santé : par la prévention et un accompagnement dans le parcours de soins, ses centres ont vocation à optimiser la prise en charge, réduire le nomadisme médical, augmenter l’observance…En somme, à hausser la qualité de prise en charge. Et un patient mieux soigné est un patient qui coûte moins cher. Dans une rémunération au forfait, il est donc plus rentable.

La méthode Capio

Pour appuyer son propos, le groupe insiste sur la nécessité d’une médecine protocolisée – dans les traitements comme dans le parcours pluri professionnel – reposant sur des outils digitaux, avec une intention clairement affichée : la médecine n’est plus un art, c’est une science. Les protocoles seront les garants d’une prise en charge de qualité et des indicateurs, dont Capio s’est fait une spécialité en Suède, seront mis en place pour assurer la pertinence des méthodes. Dans chaque centre – ainsi qu’à la tête du groupe –, des gardiens veilleront à la « bonne orthodoxie médicale », précise François Demesmay. Et pour répondre aux critiques qui pointeraient un risque d’une médecine taylorisée destinée à faire des profits, Ramsay santé ouvre son comité de pilotage aux tutelles, comme signe de bonne foi.

Le groupe annonce aussi sa volonté de résorber les dysfonctionnements de la médecine de ville qui s’expriment dans la crise des urgences, au-delà d’un simple gain de temps médical. En plus des pathologies chroniques, les centres de santé auront vocation à prendre en charge les soins non programmés. Dans chaque centre, tous les jours, un praticien sera dédié à la gestion d’un flux spécifique de petites urgences médicales. Une activité qui devrait avoir du succès dans les zones choisies pour les premières implantations de centres : des déserts médicaux mais pas démographiques.

Le premier centre devrait ainsi ouvrir dès 2020 en Île-de-France : à Argenteuil, Ris-Orangis, Aubervilliers ou Villeneuve-Saint-Georges. Les mairies ont donné leur accord, et le groupe est en prospection immobilière. La même année, une deuxième ouverture est prévue en Auvergne-Rhône-Alpes. Objectif : deux par an, pour les cinq ans à venir.

Focus

Quel intérêt pour le professionnel de santé ?

Pour ouvrir ses premiers centres en 2020, Ramsay santé aura du travail de recrutement : médecins généralistes, infirmières, kinésithérapeutes, psychologues, diététiciens, sages-femmes et secrétaires devront remplir les effectifs, alors que la plupart de ces professions sont en tension. L’argument de recrutement : un « écosystème » de travail qui devrait plaire à certains, estime François Demesmay, directeur innovation médicale et expérience patient de Ramsay santé. Travail en équipes pluriprofessionnelles, coordination avec les soins secondaires libéraux, délégation de tâches, salariat en ville (avec ses avantages sociaux) et la promesse d’un gain de temps médical pour les médecins généralistes…

Sur le papier, Ramsay  santé propose une vision moderne de la  médecine, axée autour d’une démarche proactive de prévention, qui s’appuie sur des outils informatiques performants. Les salaires, eux aussi, pourraient séduire. Les quatre à six généralistes devraient toucher entre 4 000 et 6 000 euros brut par mois. Une rémunération inférieure à celle de leurs confrères libéraux (avec un temps de travail bien moins important) mais supérieure à celle des autres centres de santé. Pour les paramédicaux, les salaires seront à peu près équivalents à ceux pratiqués dans le privé, annonce François Demesmay. Il espère pouvoir attirer les jeunes médecins, mais pas seulement. « Nous nous sommes rendu compte que des praticiens installés sont intéressés, s’étonne-t-il. Par exemple, le libéral de 63 ou 65 ans qui fatigue un peu, mais qui ne veut pas s’arrêter du jour au lendemain. »

Un profil expérimenté intéressant pour les centres. Dans certains cas, Ramsay santé pourrait leur proposer de reprendre leur patientèle. Fort de l’intérêt affiché par les professionnels de santé pour l’initiative, François Demesmay défend la place de ces centres dans le paysage sanitaire français. Il reste néanmoins conscient que ce type d’exercice ne fera pas l’unanimité. « Tout le monde ne va pas chausser du 42. » 

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