L’Île-de-France est une région riche, très diverse, jeune. Pourtant, elle affiche de très fortes inégalités de santé inter- et intradépartementales. Quels exemples pouvez-vous en donner ?

L’état de santé en Île-de-France apparaît globalement bon au regard de grands indicateurs comme la mortalité ou l’espérance de vie, et pour certains indicateurs thématiques comme la mortalité par cancers ou par maladies cardiovasculaires, les deux premières causes de décès en France. Pour autant, de nombreux sujets nous préoccupent, à commencer par les inégalités territoriales en termes d’espérance de vie à la naissance : selon que vous vivez à Paris intra-muros, à Sarcelles ou à Villeneuve-Saint-Georges, cet indicateur passe de 86 à 80 ans. Et si vous êtes de sexe masculin, l’écart est encore plus grand. Quant au risque d’obésité, il double selon que vous êtes ou non titulaire du baccalauréat. La région francilienne est donc loin d’être homogène. Notre priorité est de repérer ces inégalités le plus tôt possible afin d’inscrire les patients dans le bon parcours de santé où prévention et dépistages avancés doivent occuper toute leur place. Cela passe aussi par un accès facilité aux soins, notamment au médecin généraliste.

La politique de l’ARS est-elle en synergie avec celle du conseil régional, lequel met l’accent sur le manque de médecins en Île-de-France et se donne pour objectif de doubler à court terme le nombre de maisons de santé pluriprofessionnelles ?

Le conseil régional, avec sa présidente Valérie Pécresse, fait partie des partenaires principaux de l’ARS. Il s’agit notamment d’adopter des règles communes sur certains sujets afin de ne pas ajouter de la complexité aux démarches entreprises par les professionnels de santé. Si on prend l’exemple des maisons de santé pluriprofessionnelles (MSP), l’objectif fixé de longue date par l’ARS, en lien avec ses partenaires, est effectivement d’en doubler le nombre d’ici fin 2020, passant donc de 85 à 170. Et il est important de proposer un dossier commun pour les demandes de subvention, que l’équipe derrière un projet de MSP entame ses démarches au niveau du conseil régional ou de l’ARS. Même chose pour la télémédecine que nous voulons développer, en lien avec le conseil régional mais aussi avec l’Assurance maladie. Mais sur tous ces projets, l’essentiel à mes yeux est d’en laisser l’initiative aux professionnels de santé. Notre rôle étant de les aider, de les soutenir, de les accompagner, avec des réponses adaptées au territoire de santé concerné.

Quelles sont vos ambitions en matière de soins primaires ?

Environ 4,5 millions de Franciliens n’ont pas accès à un médecin généraliste dans de bonnes conditions. Nous devons être en capacité de répondre à cette difficulté. Les trois quarts du territoire francilien donnent droit à des aides à l’installation, venant de l’ARS, du conseil régional ou de l’Assurance maladie. Ces aides portent avant tout sur le foncier, qui est une difficulté particulière dans certaines zones. Mais ce sont aussi et surtout des aides à la coordination des soins, dans le cadre d’une approche interprofessionnelle où chacun occupe une place optimale en fonction de ses compétences. On sait que dans les années qui viennent, un tiers des médecins généralistes actuellement en activité vont partir à la retraite. Comment faire en sorte que les jeunes formés s’installent sur nos territoires ? Ma conviction – largement partagée je crois – est que la réponse passe par un internat réalisé en partie sur les territoires en mal de médecins, que ce soit dans un hôpital de proximité, une MSP, un centre de santé, et pourquoi pas, une clinique. J’ai récemment participé à l’inauguration d’une MSP à Trappes (Yvelines) comptant trois jeunes médecins : l’un était originaire de cette ville, un autre avait fait une partie de son internat dans un hôpital tout proche, le troisième avait bénéficié d’un contrat d’engagement de service public (prévu par la loi HPST, le CESP attribue à un interne en médecine une allocation mensuelle de 1 200 euros en contrepartie d’un engagement de celui-ci à s’installer pour deux ans minimum dans une zone où la continuité des soins est menacée, NDLR). C’est la raison pour laquelle la réforme du 3e cycle nous inquiète, notamment si les CHU devaient capter une part encore plus importante des internes.

Quel message adressez-vous aux professionnels de santé, et notamment aux médecins, qui veulent se lancer dans l’aventure de l’exercice regroupé, de l’équipe de soins primaires ?

L’ARS est à leur écoute, prête à soutenir toutes les initiatives qui répondent à la problématique d’un territoire de santé. Nous voulons être le partenaire de tous les professionnels qui souhaitent être plus agiles dans la structuration des soins primaires, dans la coordination des parcours de santé. Doubler le nombre de MSP en vingt-quatre mois est un objectif ambitieux mais atteignable dès lors que chaque projet est porté par une équipe de professionnels de santé, sachant que les canaux de soutien sont très diversifiés : l’URPS pour en faciliter le repérage, l’ARS, les collectivités locales, la Région ou l’Assurance maladie pour apporter des soutiens logistiques et/ou financiers. Pour soutenir les initiatives pertinentes, l’ARS ne fonctionne pas à enveloppe fermée, il y aura donc toujours une réponse possible à un bon projet.

Le plan "Ma Santé 2022" apporte un certain nombre de réponses ou d’outils comme les auxiliaires médicaux, les assistants partagés, les CPTS… Comment en faire des réponses concrètes, au service des professionnels de santé ?

Nous devons aller vite, le but est que tous ces "outils" soient opérationnels avant la fin du premier semestre 2019. D’où l’importance des négociations conventionnelles dont le coup d’envoi vient d’être donné*, en particulier pour créer les fonctions d’assistant médical et soutenir la structuration des CPTS. Mais, encore une fois, notre action doit s’inscrire dans l’urgence compte tenu des tensions démographiques que nous allons connaître au cours des cinq prochaines années. Le pragmatisme doit être partout, pour soutenir toutes les initiatives concrètes pouvant faciliter l’installation de jeunes médecins dans les territoires en tension. C’est ainsi que je salue l’ouverture de la première MSP universitaire totalement labellisée (MSP Val Forêt d’Ermont, ayant signé la première convention de labellisation universitaire le 14 décembre 2018 avec l’ARS du Val-d’Oise et l’université Paris 13, NDLR), qui est à même de créer des conditions attractives pour de jeunes médecins. Mais plus généralement il faut, à l’issue de leur internat, permettre à de jeunes médecins d’avoir un exercice diversifié, en ayant un pied dans les soins primaires et un autre à l’université et/ou à l’hôpital. De même que le praticien hospitalier doit aussi pouvoir s’investir à temps partiel dans les soins primaires, en particulier dans un territoire en tension, s’il le souhaite. Dans ce contexte, la télémédecine est aussi un chantier apporteur de réponses concrètes, et nous devons faire en sorte que les professionnels de santé s’approprient cet outil, en particulier dans des territoires reculés, ruraux, comme il en existe dans les Yvelines ou en Seine-et-Marne.

L’article 51 de la LFSS 2018 prévoyait des projets dérogatoires portant des évolutions organisationnelles dans le domaine des soins primaires. Où en êtes-vous à ce sujet ?

L’article 51 est un dispositif puissant, au service de la transformation de notre système de soins, de son décloisonnement. Ce n’est pas un financement ponctuel comme peut l’être une subvention. L’objectif est de soutenir quelques projets, de qualité et de grande ampleur. Depuis juin 2018, nous avons reçu une cinquantaine de lettres d’intention, une moitié environ des projets ainsi présentés s’inscrivant vraiment dans l’esprit de la loi et pouvant donc être accompagnés par l’ARS. Mais notre premier objectif est de porter dès maintenant deux initiatives au niveau national, le premier est un parcours coordonné de prise en charge du patient insuffisant cardiaque, le second, une structure libérale d’exercice coordonné s’inscrivant dans un cadre de prise en charge forfaitaire donc tournant le dos au paiement à l’acte.

Quelles sont les relations entre l’ARS et l’Assistance publique-Hôpitaux de Paris (AP-HP) ?

Le volet le plus classique de ces relations, c’est la tutelle financière. Mais il faut aller plus loin et avec Martin Hirsch, directeur général de l’AP-HP, nous avons la volonté de rappeler avant tout que l’APHP est le CHU de la région. Le rôle de l’ARS est d’accompagner la transformation en œuvre au sein de l’AP-HP, ce CHU devant irriguer l’ensemble du territoire dans ses trois dimensions : l’urgence, l’expertise et la proximité, avec des liens étroits aussi bien avec les autres établissements de soins, publics ou privés, qu’avec la médecine de ville. C’est pourquoi il me semble essentiel de pouvoir favoriser la mobilité, qu’un jeune médecin qui s’installe "en ville" puisse garder un pied à l’hôpital et à la faculté s’il le souhaite, qu’un praticien hospitalier puisse aussi faire des vacations en médecine de ville.

Une consultation publique vient de s’ouvrir au sujet du futur hôpital Paris Grand Nord. Comment configurer aujourd’hui un projet hospitalier dont on sait qu’il n’ouvrira ses portes que dans dix ans ?

Ce futur hôpital tel qu’il est actuellement défini et qui regroupe ceux de Bichat et Beaujon, aura moins de lits que ces deux hôpitaux. Nous sommes très exigeants sur de tels projets qui nécessitent de lourds investissements et qui doivent avant tout répondre à un projet médical. On ne peut pas reconstruire des géants reproduisant des sédimentations historiques avec des duplications inutiles de services et donc d’équipes et d’équipements !

Et l’hospitalisation privée, fait-elle également l’objet d’une pareille vigilance ?

Avec les cliniques, les problèmes ne sont évidemment pas du même ordre. Elles sont indispensables au maillage territorial. C’est la raison pour laquelle quinze jours après ma nomination, j’ai tenu à visiter une clinique, Les Épinettes à Paris. L’ARS n’est pas qu’au service du public, elle intervient aussi auprès du privé, par exemple sous forme d’aides en trésorerie apportées à des cliniques en difficulté.

* Début de la négociation ACI-CPTS le 16 janvier et celle sur l’assistant médical le 24 janvier.

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