Dans votre ouvrage(1), vous présentez un certain nombre d’« innovations managériales collaboratives » que vous qualifiez d’« innovations de rupture ». Comment, au sein d’une maison de santé, s’articule la notion de management et d’innovation organisationnelle ?

Il s’agit là de répartition du pouvoir et de l’organisation afin de faire travailler ensemble un groupe qui partage des intérêts communs. Dès lors que des professionnels libéraux, par essence indépendants, se rassemblent pour répondre à un projet partagé, ils doivent être en mesure de répondre à certaines questions – pourquoi fait-on équipe ? qu’est-ce qui nous rassemble ? quelles sont les valeurs que l’on partage ? que veut-on construire comme projet ? – et, surtout, de définir les règles de prise de décision, notamment afin de surmonter les conflits qui ne manqueront pas de survenir.

Ce management peut-il s’exprimer sans hiérarchie ?

Cette question de management organisationnel s’apparente plutôt à la notion de leadership. Un leadership d’ailleurs tournant, parfois, dans certaines maisons de santé en fonction des appétences et des compétences de chacun. Prenons l’exemple de l’association Soignons humain(2) ou de Buurtzorg aux Pays-Bas : les infirmières travaillent en équipe sans avoir besoin de chef hiérarchique. Elles sont toutes associées à la décision et si un leader est momentanément désigné sur certains sujets pour des tâches plus spécifiques, ce rôle est assumé à tour de rôle par les membres de l’équipe. Le management ne s’entend pas forcément au sens de hiérarchie top down. Dans toute organisation, il faut tout d’abord définir la prise de décision. Et dans les innovations organisationnelles que je décris dans mon ouvrage, les décisions sont prises par une équipe – et non par une personne – et au plus près de la réalité du terrain. Et le management n’est pas une histoire de structure juridique. Je cite d’ailleurs plusieurs initiatives différentes, en structure libérale, en association, en clinique privée ou à l’hôpital… Preuve qu’on peut innover partout !

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Le processus de création d’une maison de santé constitue-t-il une innovation managériale collaborative qui crée un point de rupture avec l’exercice libéral comme on le comprend ?

Il ne suffit pas de dire qu’on va construire une maison de santé pour que ce soit de l’innovation organisationnelle. L’innovation réside dans le fait d’entamer une réflexion commune sur les raisons qui ont poussé à s’associer : s’agit-il d’une simple mutualisation des charges ou d’une vraie réflexion sur ce qui nous rassemble en termes de prise en charge et de parcours de soins pour les patients ? La force de la MSP Ipso santé que je présente dans l’ouvrage(2) est de démontrer que la mutualisation des charges est plutôt un moyen permettant de viser une ambition plus vertueuse et motivante qui répond à la vocation première des professionnels : celle de soigner des patients et d’échanger sur leur prise en charge. L’innovation organisationnelle d’Ipso santé est d’associer des compétences de médecins et de paramédicaux mais aussi de développeurs informatiques et d’experts en organisation, qui contribuent à libérer les médecins des tâches administratives. Résultat : le professionnel de santé a toute la latitude, les moyens et le temps nécessaire pour assurer une prise en charge de qualité.

Vous parlez de leader. Pensez-vous qu’on naît leader (avec des qualités innées) ou qu’on le devient (formation, désignation par les pairs…) ?

C’est un peu des deux. Il y a sans doute des qualités intrinsèques pour être un bon leader au service de son équipe : faire preuve d’écoute et d’empathie, déléguer, responsabiliser, faire confiance sans être dans le suivi-contrôle permanent… Pour autant, on peut posséder toutes ces qualités de bon leadership et s’épuiser à la longue. Pourquoi ? Parce qu’on a voulu endosser trop de responsabilités et qu’on n’a pas su déléguer. À l’inverse, un leader qui dirige de façon directive peut constater, à la longue, qu’il gagnerait à faire plus confiance à son équipe. Au fil des expériences, certaines prises de conscience peuvent amener un leader à faire évoluer son style de management. Je l’ai vécu et je l’ai vu au cours de ma carrière.

Il est important de ne pas imposer ce rôle à quelqu’un. D’ailleurs, on voit le résultat à l’hôpital quand les chefs de service et les chefs de pôle sont nommés sans réelle envie ou appétence pour le management… Le leadership doit émaner d’une forme de volontariat, d’une envie personnelle d’être au service des autres.

Je ne crois pas que ce management soit différent en maison ou en centre de santé. C’est surtout une question de posture du dirigeant qui souhaite, à un moment donné, partager la prise de décision, capitaliser sur l’intelligence collective de son équipe et laisser émerger l’innovation.

La féminisation de certains métiers influence-t-elle le style de leadership ?

C’est évident ! La féminisation, notamment de la profession médicale – le Conseil national de l’Ordre des médecins précise, dans son rapport en janvier 2016, que les femmes représentent plus de 46 % des médecins en exercice* –, représente une vraie opportunité tant en termes de compétences relationnelles que de comportement de leadership. Plusieurs études confirment que les professionnelles de santé ont un meilleur relationnel avec le patient, plus d’écoute et d’empathie, avec une vision de la prise en charge plus holistique et globale, une attention plus portée vers la prévention, davantage dans l’échange avec le patient… En clair, elles ont un leadership plus inclusif.

Et on s’aperçoit qu’elles ont plus d’aptitude à assurer le leadership lors de la mise en place et le fonctionnement des équipes pluriprofessionnelles. Les études révèlent ainsi que si les hommes leaders privilégient la prise de décision individuelle et le contrôle, leurs homologues féminines misent sur la prise de décision participative, l’exemplarité, la reconnaissance… Je cite d’ailleurs dans l’ouvrage une étude américaine, publiée en 2018, qui met en évidence une meilleure coopération au bloc opératoire lorsque les femmes sont majoritaires.

Mais est-ce que les femmes ont envie de s’impliquer et d’assumer des fonctions managériales ? C’est toute la question.

La féminisation de certains métiers représente une vraie opportunité
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