Article initialement publié sur egora.fr

 

"Soucieux de continuer une médecine qualitative libre, (...) nous conseillons aux patients que nous suivons de commencer tranquillement à rechercher un nouveau médecin traitant." Ces mots sont affichés sur la porte d’entrée du cabinet des médecins de la MSP du Péan d’Auvers-sur-Oise (Val d’Oise). Car les généralistes, installés depuis cinq ans, sont en guerre ouverte avec la mairie qui a pris la décision, le mois dernier, de rompre le contrat de bail qui la liait avec l’équipe médicale. Un choix qu’assume Isabelle Mézières, la maire, compte tenu de "nombreux mécontentements de la part des patients du territoire qui éprouvent des difficultés à obtenir des rendez-vous ou avoir un médecin référent", précise-t-elle dans un communiqué. 

 

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2017. Alors que les problèmes d’accès aux soins sont déjà d’actualité, un médecin urgentiste et généraliste, las d’entendre les habitants se plaindre de la difficulté à trouver un praticien acceptant de nouveaux patients, décide de monter une équipe pour créer une offre de soin dans la petite commune de 7 000 habitants, située au nord de Paris. Il trouve quatre confrères, urgentistes et généralistes, et se met en quête d’un local pour exercer. La mairie "saute sur l’occasion", précise Pascal*, l’un des médecins généralistes, et crée une maison de santé en y intégrant des infirmières, une sage-femme et une kiné. Elle met à disposition des locaux qu’il faut réaménager en cabinet. Un contrat est passé sous forme de convention d’occupation pour cinq ans et l’équipe médicale n’aura qu’à payer les charges. "Contrairement à ce qui circule, nous avons bénéficié de 80% d’investissement régional via un contrat de ruralité. La municipalité a investi 20% des fonds", poursuit-il.

 

On a gardé à cinq la même patientèle qu'à sept !

Pendant deux ans et demi, tout se passe bien. L’équipe parvient même à recruter deux généralistes supplémentaires. Avec la flambée des cas de Covid-19, la structure se transforme en centre Covid, "le premier du département" et, en 2020, devient centre de vaccination. Particulièrement investis, les praticiens font une demande dérogatoire auprès de l’ARS pour pouvoir faire des gardes le soir, en plus de celles déjà mises en place le week-end et les jours fériés.

Fin 2021, l’activité "classique" des cabinets reprend. L’équipe doit néanmoins faire face, coup sur coup, à deux départs : un départ en retraite – "elle a dit à tous ses patients qu’on allait les reprendre. Mais a oublié de nous tenir au courant. On s’est retrouvés avec des gens parfois âgés qui se pointaient avec leur dossier sous le bras, qui avaient connu la même médecin traitant depuis trente ans et quand on leur disait qu’on ne pouvait pas les prendre, ça se passait mal"  et un départ de la région parisienne. Enfin, une troisième part, peu de temps après, en congé maternité pour une longue durée. "Et nous, on a gardé à cinq la même patientèle, même celle de notre consœur retraitée !"

 

Quand les problèmes commencent

Débordée, l’équipe a conscience de ne pas pouvoir prendre tous ceux qui le souhaitent en rendez-vous. Pour tenter de faire face, ils investissent dans un logiciel pour prioriser les demandes. "Je crois que c’est là que les problèmes ont commencé… ", lâche Pascal. Courant avril, le responsable de la structure reçoit un mail de la mairie l’invitant à une réunion la semaine suivante pour "évoquer les problématiques" de la structure. "Il n’y avait pas plus de détail. On le sentait mal." Une partie du conseil municipal est également présente. "À cette réunion, le gérant s’en est pris plein la tête, y’a pas d’autres mots", raconte-t-il. Selon lui, c’est un groupe actif de seniors de la commune, proche de la maire, qui serait à l’origine des plaintes ayant conduit à la réunion. "Ils lui ont expliqué qu’ils n’arrivaient pas à prendre rendez-vous. Et se sont plaints de la prise de rendez-vous en ligne et veulent pouvoir le faire par téléphone… mais aussi, venir sans rendez-vous, car c’est 'comme ça qu’ils faisaient avant'. Et ça ne s’est pas arrêté là…"

 

Conseillers municipaux… et médicaux ?

Les conseillers municipaux sont alors allés de leurs conseils pour "accélérer" certaines consultations, explique Pascal : "Pour eux, on n’a pas besoin de voir les patients pour les certificats de sport, on peut les faire 'comme ça'. Ils ont aussi dit que les enfants ne sont jamais trop malades, donc on pourrait aller plus vite avec eux. Et on aurait donc plus de temps pour les seniors." 

À la fin de la réunion, la maire a annoncé qu’elle avait l’intention de dénoncer la convention d’occupation qui la liait à la structure. Les médecins seront donc à la porte le 4 septembre 2023. "Enfin 'dénoncer', c’est un bien grand mot. Notre bail court jusqu’à cette date et elle ne le renouvelle simplement pas." Le généraliste regrette que la mairie n’ait pas cherché à savoir s’ils rencontraient des difficultés ou avaient des besoins, au lieu de les mettre à la porte. Et dénonce un "procès" fait à toute l’équipe. "Elle nous a sorti le projet de santé présenté à l’ARS lors de la création de la MSP. Elle nous a dit qu’on avait promis de faire des visites à domicile et que ce n’était pas le cas, qu’on s’était engagés à faire de la prévention en gynécologie et qu’on ne l’a pas fait… Mais c’est un projet avec l’ARS, pas la mairie !", grince-t-il.

 

On s'est donné à fond : on en est à 1 000 jours consécutifs d’ouverture

Dans un second communiqué, la mairie a expliqué qu’elle avait décidé de loger gratuitement les soignants "avec une attention particulière au bon déroulé du projet de santé", rappelant que la prévention et la prise en charge des personnes âgées étaient des missions qui lui "tenaient particulièrement à cœur" : "Les élus ont rappelé au médecin qu’en 2017, si la municipalité a voulu mettre gratuitement à disposition un bâtiment public au profit des médecins qui y exercent actuellement, c’était en contrepartie d’un projet comprenant un volet social important."

Des propos mal pris par l’équipe, qui s’est "donné à fond", malgré la crise Covid. En 2021, 18 400 consultations ont été assurées par les sept médecins. "Si on compare les mois de mars, avril et mai 2021 où on était 7 et cette année où on est 5, on a augmenté notre activité de 190% en moyenne… Et on en est à 1 000 jours consécutifs d’ouverture." Les gardes font aussi l’objet de tensions. "On nous fait comprendre qu’on veut travailler pour l’argent, car on est plus rémunérés pendant les gardes. Ce serait une sorte de machine à cash. Mais si on fait des gardes, c’est parce qu’on a un contrat avec le Samu et l’ARS. Donc on est obligés de les faire !"

 

Une ingérence des mairies ?

Pour le médecin, la mairie a outrepassé ses droits et se permet de le faire car elle a investi de l’argent pour la MSP. "C’est intéressant de voir l’ingérence des mairies dès lors qu’elles participent de près ou de loin à un projet", détaille Pascal pour qui cette décision est "incompréhensible" : "Elle n’a pas eu besoin de chercher des médecins, on lui a servi le projet sur un plateau..."

En réaction, tous les médecins ont décidé de quitter le cabinet, sans préciser quand. "Leur attitude est un mépris pour notre fonction de médecin. Donc on s’en va." C’est pour cela que l’équipe a décidé d’afficher un courrier dans le cabinet pour prévenir les patients. "Mais la maire n’a pas apprécié. Elle nous a renvoyé un courrier où elle insinuait qu’on se fichait de notre serment d’Hippocrate et elle transformait notre intention de partir 'dès que possible' en 'immédiatement'. C’est la guerre", soupire Pascal. 

Sans se démonter, Isabelle Mézières a publié une lettre dans laquelle elle dit regretter de ne pas avoir pu rencontrer tous les médecins lors de la réunion en avril : "Nous sommes surpris et peinés d’apprendre sur les réseaux sociaux (...) que les médecins souhaitent quitter la ville dès maintenant et ne veulent plus poursuivre les soins alors que la convention les engage jusqu’en septembre 2023. Après avoir pris conseil auprès des autorités sanitaires de tutelle afin de maintenir l’offre de soins sur notre ville, la municipalité a décidé de rechercher en urgence des médecins généralistes en statut salarié ou libéral." Par ailleurs, la ville a décidé d’investir dans une cabine de téléconsultation. "Je ne sais pas comment elle peut se séparer de six médecins et dire à ses administrés qu’ils n’auront pas de souci de médecin traitant. Surtout en nous remplaçant par une cabine !", réagit le médecin. 

"Elle dit qu’elle veut salarier des médecins. Mais quatre salariés à temps plein dans des locaux dont la ville paiera les charges, avec un secrétariat, ça va être un coût pour les habitants de 500 000 à 700 000 euros par an !", calcule Pascal. Quoiqu’il en soit, c’est la goutte de trop pour les médecins qui ont déjà "une dizaine de projets" qui leur ont été proposés : "Il ne faut résister pas se laisser faire. Je sais que c’est difficile, surtout quand on exerce à temps plein et qu’on a la tête sous l’eau. Mais nous, on a décidé d'être le petit village gaulois qui résiste", affirme-t-il fièrement.

Contactée à plusieurs reprises, la mairie n’a pas répondu à notre sollicitation. 

 

*Le prénom a été modifié. 

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