Antoine Prioux a l’œil qui pétille, et une envie communicative de faire bouger les lignes. Grand adepte de la théorie du chaos, il défend l’idée que de petites choses ont le pouvoir de transformer en profondeur des systèmes complexes. Arborescent tout en étant méthodique, il relève le défi de l’idéalisme pragmatique, et travaille à faire de sa pharmacie le laboratoire d’expérimentations de ses nombreuses idées. Il espère ensuite les diffuser si celles-ci s’avéraient concluantes.

Car Antoine Prioux a un dessein : participer à la transformation d’un système de santé français qui lui paraît en décalage avec certaines problématiques actuelles. Parmi ses leitmotiv, deux citations : "La difficulté n’est pas de comprendre les idées nouvelles, mais d’échapper aux idées anciennes" (Keynes) ; et "Il faut agir en homme de pensée et penser en homme d’action" (Bergson). Des directives qu’il semble appliquer à chaque étape de ses multiples projets, et qui contribuent certainement à leurs avancées.


Pluriprofessionnalité et travail en réseau

Devenir pharmacien n’a pas toujours été une évidence pour Antoine Prioux ; plus jeune, il se rêve plutôt pilote ou paléontologue. Il choisit finalement la santé, domaine qui l’intéresse également et qu’il connaît bien par ses parents, eux-mêmes pharmacien et médecin généraliste. Alors qu’il poursuit ses études de pharmacie, il traverse une période de profonde remise en question quant à ce choix de carrière, ne trouvant dans un premier temps pas la réponse à une interrogation fondamentale : si le désintéressement figure comme principe du serment Galien [serment des apothicaires ; ndlr], n’est-il pas anti-déontologique qu’un pharmacien soit rémunéré à la boîte vendue, depuis l’augmentation de la prévalence des maladies chroniques ? Un questionnement viscéral qu’il lui sera difficile de porter pendant un temps, mais qui sera par la suite le moteur de ses multiples engagements.

"Dans mon parcours, j’ai toujours eu envie de faire une révolution. À cette époque-là, j’étais très militant mais sans savoir exactement comment construire un projet pragmatique et lucide par rapport aux problématiques de terrain." Cet esprit militant, Antoine Prioux se souvient l’avoir toujours eu. Selon lui, avoir grandi sur le plateau de Millevaches, territoire de résistance, de mixité sociale et de proximité, l’a rendu sensible aux préoccupations des individus. Mais c’est aussi un héritage de son éducation, ses parents étant eux-mêmes engagés et en particulier sa mère, médecin, qui l’inspire beaucoup : "C’est une personne qui a une détermination et un don de soi dans sa profession. Elle fait partie de ces innombrables héros méconnus".

C’est d’ailleurs lorsqu’elle décide en 2008 d’aller soutenir une consœur dans un village voisin, et de travailler en multisite que s’opère chez lui un déclic, qui le réconcilie avec ses études : l’une des voies à suivre pour changer le système, c’est le travail en réseau des professionnels de santé. À compter de ce moment-là, son intérêt pour la collaboration et la pluriprofessionnalité en santé mûrit, ainsi que sa réflexion autour des projets de territoire. Antoine Prioux a trouvé les bases de ses premiers combats.


Repenser la place du pharmacien

En 2011, alors en sixième année d’études, Antoine Prioux commence à suivre de près le réseau Millesoins, pôle de santé multisite créé sur son territoire l’année précédente, en partie pour répondre à la désertification médicale. En 2012, de retour de stage, il effectue des remplacements en pharmacie et expérimente entre autres choses le système d’information partagé utilisé au niveau du réseau de santé. Il réalise l’importance fondamentale des systèmes d’information, en particulier pour de tels pôles multisites où la bonne coordination entre professionnels est cruciale.

Fort de ces deux périodes d’observation et d’expérimentation, il choisit en 2013 son sujet de thèse : le rôle du pharmacien dans les enjeux territoriaux de santé publique, en s’appuyant sur le cas concret du réseau Millesoins. Parmi les conclusions de sa thèse, il présente d’une part les avantages à collaborer entre pharmaciens : mutualiser moyens, compétences et investissements, en fonctionnant sous forme de coopérative territoriale, pour diversifier l’offre de services et mieux absorber les effets négatifs de la désertification médicale. D’autre part, un élément clé aux yeux d’Antoine Prioux est l’accès au dossier médical du patient et à l’ordonnance en temps réel, car cela permet au pharmacien de dégager du temps pour "faire de la santé, de la vraie" : exercer en partenariat avec le médecin, accueillir les patients en zone de confidentialité, ou encore faire de la prévention.

Quelques mois plus tard, alors qu’il introduit ces différentes idées au cours d’un congrès professionnel, un intervenant lui fera réaliser leur potentiel disruptif : un nouveau déclic, qui le décide alors à aller plus loin dans son engagement. Il devient coordinateur du réseau Millesoins, entre au conseil d’administration de la Fédération française des maisons et pôles de santé (FFMPS), et accompagne les professionnels porteurs d’un projet de mise en réseau. Il intervient également dans les facultés pour sensibiliser la prochaine génération de professionnels de santé aux problématiques du système, et les inciter à travailler de manière coopérative et en interprofessionnalité. En 2016, il achète sa pharmacie, à Bugeat, qu’il organise de façon à expérimenter ses multiples idées : délivrance des médicaments en multiple de semaines, ou encore gestion des stocks nominative, adaptée selon lui à la prévalence des maladies chroniques qui induisent une fréquence dans les passages des patients.


"La donnée, c'est le pouvoir"

Les projets d’Antoine Prioux ne s’arrêtent pas là. Convaincu de l’importance stratégique du big data en santé, il cherche à créer son propre logiciel d’officine, dans un souci d’autonomie notamment. Le destin place alors sur son chemin son futur associé, un développeur indépendant dont le logiciel d’officine vient d’être agréé. Leurs profils sont complémentaires et ils partagent le même esprit militant. Ensemble, ils créent en 2017 la startup P4PILLON ("P4P" : en anglais, "Pay for Performance", pour décrire un autre mode de rémunération), et adaptent l’outil, qu’Antoine Prioux expérimente dans sa pharmacie.

Aujourd’hui, les deux associés ambitionnent de transformer leur entreprise en société coopérative d’intérêt collectif (SCIC), dont les premiers sociétaires devraient être le réseau Millesoins et l’ADRES (Association pour le développement d’un réseau de soins primaires de la montagne limousine). Si P4PILLON n’en est pour l’instant qu’aux prémices de son développement, peut-être le projet contient-il, larvé en lui, le pouvoir de changer les choses à grande échelle, donnant raison à la théorie du chaos qu’Antoine Prioux affectionne tant.

Ainsi, pourquoi ne pas envisager, à terme, de valoriser la donnée pour mesurer l’économie générée par des actions de prévention ? Une révolution qui permettrait de répondre aux combats initiaux d’Antoine Prioux : penser d’autres types de rémunération et financer de nouvelles missions de santé pour le pharmacien, réaffirmant ainsi sa place de "gardien des poisons"* dans l’équipe de soins primaires.

* Cf Pratiques - Les Cahiers de la médecine utopique, n° 60 - février 2013.

RETOUR HAUT DE PAGE