Parallèlement aux « Trente Glorieuses » (années 1950-1980), les systèmes de soins des pays développés se sont construits en accordant une place croissante à la médecine spécialisée. Cette évolution était alors justifiée par les progrès ininterrompus de l’industrie du médicament et des dispositifs, et aussi par les innovations en chirurgie, en anesthésie, en réanimation, synergiques avec l’amélioration continue des plateaux techniques.

Et puis, assez brutalement, à partir des années 2000, ces mêmes pays se sont retrouvés confrontés à des populations vieillissantes, porteuses de maladies chroniques dont l’évolution était de mieux en mieux maîtrisée, volontiers polypathologiques et, le cas échéant, de moins en moins autonomes. Dans ces conditions, la primauté d’une médecine spécialisée s’essoufflait, et la nécessité des soins primaires – le suivi au quotidien, dans la durée et d’une façon globale et synthétique des patients – s’est imposée. Se pose alors la question des relations entre les plateaux techniques et les soins primaires. Outre-Atlantique, deux initiatives apportent des solutions.

Deux particularités américaines 

La première, en Californie (accès difficile aux spécialistes), est opérationnelle depuis plus de dix ans. La possibilité a ainsi été offerte aux soins primaires ambulatoires d’adresser par messagerie sécurisée une demande d’avis spécialisé (e-referral) à un confrère hospitalier. Cette possibilité a été ouverte à l’échelle du San Francisco General Hospital et de l’ensemble de ses services de spécialités. Le NEJM présente les 27 604 demandes d’avis traitées en une année : 80 % se sont soldées par une consultation auprès d’un spécialiste, mais près de la moitié des demandes ont été suivies d’un échange afin de préciser l’état clinique du malade. En revanche, pour plus de 5 500 malades, la consultation n’a pas été jugée nécessaire.

Cet e-referral présente d’autres avantages. Ainsi, l’accès aux spécialistes a été désengorgé, et le délai moyen réduit : 112 jours à moins de 50. Surtout, les échanges ont permis de développer une véritable communauté professionnelle entre soins primaires et spécialistes.

La seconde initiative concerne les « opérateurs » de soins, organisations pour la plupart privées, à but lucratif ou non, et historiquement structurées autour d’établissements hospitaliers accueillant les malades dans des lits. À côté de ces opérateurs, on trouve la Veterans Health Administration (VHA), une particularité aux États-Unis, puisque placée sous la tutelle de l’État, financée par un budget voté par le Congrès, et dont les professionnels sont tous des salariés, alors que l’exercice de la médecine américaine est surtout « libéral ».

Il y a une quinzaine d’années, le modèle classique de la VHA (qui prend en charge près de 10 millions d’adultes, souvent âgés, avec de nombreuses comorbidités), fondé sur un réseau d’hôpitaux, arrivait à bout de souffle. Une réforme profonde s’imposait. Aujourd’hui, cette réforme est considérée comme réussie et il est aisé d’en identifier les trois facteurs essentiels du succès : une direction médicale forte, avec un management très attentif des équipes dans le cadre d’une décentralisation assumée ; un système d’information ultraperformant ; un large transfert des activités vers l’ambulatoire, avec la création de centres de soins au contact de la population.

Plusieurs autres opérateurs importants de soins comme le Kaiser Permanente ou la Mayo Clinic ont aussi opéré ce « transfert »* vers la ville. On peut en conclure que c’est précisément cette capacité de transfert de l’établissement hospitalier vers l’ambulatoire qui manque à nos hôpitaux publics.

* « Transfert » encore intensifié par toutes les fonctionnalités de télésanté ; ainsi le Kaiser Permanente a annoncé que plus de la moitié de ces 100 millions de consultations annuelles étaient télémédiées !

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