François-Olivier Baudot est économiste de la santé, salarié de la CNAM et chercheur associé au laboratoire d’économie Érudite, UPEC.

 

Article publié dans Concours pluripro, février 2023

Les benzodiazépines sont des médicaments psychotropes qui sont largement utilisés en France comme anxiolytiques et hypnotiques. Selon l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM), plus de 13 % de la population en a consommé en 2015. Si leur efficacité est démontrée pour des traitements courts, elle décroît rapidement dans le temps. Face au risque de dépendance induit par les traitements prolongés, la Haute Autorité de santé recommande d’en limiter les durées. Cependant, l’ANSM a observé un fréquent non-respect de ces recommandations, avec 14 % des traitements initiés en 2014 qui dépassaient les durées recommandées. Ce qui pose un problème d’efficience, puisque cela signifie qu’une part non négligeable de la population est exposée à la fois à un traitement dont l’efficacité est réduite, et à un risque accru d’effets indésirables, notamment de dépendance.

 

Probabilités de consommation

Les effets indésirables des benzodiazépines incluent somnolence, baisse de la vigilance, et troubles de l’attention et de l’équilibre. La conduite automobile est formellement déconseillée après en avoir consommé, car on sait qu’elles augmentent le risque d’accident de la route. Cela laisse suspecter une augmentation du risque d’avoir un accident au travail, mais les mécanismes à l’oeuvre peuvent être complexes car ces médicaments traitent des pathologies qui sont elles-mêmes connues pour augmenter le risque d’accident, comme l’insomnie. Les études publiées sur la question souffrent de limitations sérieuses qui ne permettent pas de conclure en l’existence d’un lien de causalité, lorsqu’elles ne prennent pas en compte la causalité inverse, c’est-à-dire le fait qu’avoir subi un accident du travail influe sur la prise de benzodiazépines. En effet, la survenue d’un accident du travail va dégrader la santé mentale et est susceptible de provoquer dépression, anxiété et troubles du sommeil, ce qui peut naturellement entraîner une augmentation de la consommation de médicaments psychotropes.

Il est intéressant de mettre en relation les dates exactes de remboursement des boîtes de benzodiazépines avec celles d’accidents du travail, et donc de savoir quel événement précède l’autre. Cette étude a pu être réalisée grâce aux données de remboursement de l’Assurance maladie. Dans un premier temps, deux groupes ont été constitués : l’un composé de victimes d’accident du travail unique en 2016, et d’aucun autre de 2007 à 2017 (350 000 personnes), et l’autre de non-victimes d’accident du travail au cours de cette même période (1,1 million de personnes).

En étudiant l’impact de l’accident du travail sur la consommation et la surconsommation de benzodiazépines (traitement de plus de trois mois) dans l’année qui suit, les statistiques montrent une augmentation de 38 % de la probabilité de consommer des benzodiazépines et de 29 % de la probabilité d’en surconsommer dans l’année qui suit l’accident, alors que ces proportions sont stables dans le groupe contrôle (respectivement -1 % et +1 %). La figure ci-dessous montre l’augmentation de la consommation le mois qui suit l’accident, puis la baisse, mais sans revenir au niveau initial de consommation.

 

 

L’apport méthodologique de l’étude réside dans l’utilisation d’un modèle de sélection, qui permet d’estimer d’abord l’effet de l’accident sur la probabilité de consommer, et ensuite l’effet de l’accident sur la probabilité de surconsommer chez ceux qui consomment. Les résultats confirment l’ordre de grandeur sur la consommation (+39 %), mais l’effet sur le risque de surconsommer une fois que l’on consomme est beaucoup plus modeste (+1,7 %). Cela signifie que la hausse observée de la surconsommation provient de l’effet de l’accident sur la probabilité de consommer, mais que, une fois la consommation débutée, le risque de dépasser les durées de traitement recommandées n’est que faiblement augmenté par rapport à ceux qui consomment des benzodiazépines dans la population témoin.

 

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