Permettre, dans les dix ans, que toute la population française puisse être accompagnée par une équipe coordonnée de soins primaires. » C’est l’ambition d’AVECsanté* qui, depuis 2009, accompagne les professionnels dans la création de 1 200 équipes et dans les projets en cours de 400 autres (près de 25 000 professionnels de santé). « Nous avons participé à la mise en place d’outils pour les équipes (protocoles, système d’information partagé, etc.) et à la professionnalisation des équipes avec la création de la fonction de coordination. Nous avons contribué à la création d’une structure juridique pour les maisons de santé pluriprofessionnelles (MSP), notamment la société interprofessionnelle de soins ambulatoires (Sisa), et à assurer un financement de ces structures : expérimentation de nouveaux modes de rémunération, accord conventionnel interprofessionnel (ACI) », retrace le Dr  Pascal Gendry, son président.

La fédération ne cesse de le rappeler : la labellisation « maison de santé » est attribuée parce qu’un projet de santé commun a été construit par une équipe, et non parce qu’un bâtiment est sorti de terre. « Cet aspect n’est pas encore clair, que ce soit chez les professionnels, ou dans l’esprit des élus et des usagers », souligne son vice-président, Pascal Chauvet, infirmier libéral dans une maison de santé (sans murs communs), installé à Aulnay-de-Saintonge (Charente-Maritime) depuis vingt-quatre ans. Chef de projet au sein de la fédération régionale des MSP en Nouvelle-Aquitaine (Fnapos), il est aussi formateur de coordinateurs et facilitateur auprès des porteurs de projet qui veulent constituer une équipe de soins primaires coordonnés.

De l'équipe au territoire 

Il existe plusieurs niveaux d’exercice coordonné, décrypte-t-il. Premier niveau : l’équipe de soins primaires (ESP), qui réunit les professionnels de santé d’un territoire, dont au moins un médecin généraliste et un paramédical, pour travailler de façon coordonnée autour du patient. Les ESP peuvent donner lieu à des MSP, à des centres de santé (salariat), ou prendre la forme de coopérations plus légères. Le deuxième niveau est celui de la maison de santé, qui réunit au moins deux médecins généralistes et un paramédical.

Pour être éligible, il faut respecter des prérequis (les missions socles) : la permanence des soins, un système informatique commun et la coordination. « Si vous les respectez, vous avez des missions complémentaires que sont les protocoles de santé, les missions de santé publique, l’implication des usagers, etc. Ce projet est en général mené par un leader qui essaie de fédérer les acteurs de son territoire. À ce stade, en tant que facilitateur, nous intervenons à la demande pour accompagner les porteurs de projet. Le 1er niveau de facilitation intervient au début de la réflexion, le 2e  lorsque l’équipe est éligible “maison de santé” (projet validé par l’agence régionale de santé, pour les accompagner dans la constitution de la Sisa, afin de percevoir les dotations pérennes prévues dans l’ACI, de façon conventionnelle. En tant qu’infirmier, par exemple, j’ai une nomenclature restrictive. Mon champ de compétences est beaucoup plus large que ce que liste la nomenclature, mais je ne le fais pas, parce que je ne suis pas payé pour le faire. Or, dans le cadre d’un exercice regroupé, je peux exprimer pleinement mon champ de compétences, mettre en œuvre ces actions de prévention, de dépistage, d’éducation à la santé et être payé pour cela grâce à l’ACI », témoigne-t-il.

Un financement conventionnel qui pourra également permettre à un pharmacien d’aller au domicile d’un patient, pour un discours éducatif autour de son traitement et pour « faire le ménage » dans sa pharmacie. AVECsanté pousse les tutelles à envisager une évolution de l’ACI pour financer des missions complémentaires, notamment celles des infirmières en pratique avancée (IPA). « Ce sera incitatif, beaucoup plus que ne l’est le décret sur les IPA », assure Pascal Chauvet. Le 3e niveau est la communauté professionnelle territoriale de santé (CPTS), créée à l’initiative de professionnels de santé de ville structurés en équipes de soins primaires (ESP) ou isolés, et qui a vocation à accueillir également les établissements de santé et services médico-sociaux, les professionnels du social et les acteurs de prévention. L’approche étant populationnelle (20 000 habitants au minimum), sur un territoire qui varie selon les lieux et les professionnels impliqués. Neuf communautés territoriales sur dix déjà actives sont issues d’une dynamique MSP, relève la fédération.

Les leviers du changement 

Qu’est-ce qui motive un professionnel à quitter son exercice isolé ou à se lancer, à la sortie de ses études, dans un projet d’exercice regroupé ? « Au bout de dix ans de promotion de cet exercice au sein de la fédération, l’effet boule de neige fonctionne bien entre pairs. Nous n’avons plus besoin d’avoir de démarche proactive, ce sont les professionnels qui viennent vers nous, observe Pascal Chauvet, qui estime qu’il est parfois plus facile de sensibiliser les paramédicaux que les médecins à ce type d’exercice coordonné. Le travail collaboratif et d’éducation à la santé sont dans notre culture. L’exercice coordonné nous offre aussi la possibilité, à travers le système informatique commun, d’avoir accès aux données du patient et de partager l’information, ce qui n’est pas le cas dans le cadre d’un exercice isolé. »

Dans plusieurs régions, en lien avec les ARS, des sessions d’information commencent à se développer auprès des instituts de formation en soins infirmiers (Ifsi). Une directive émanant de la Cnam incite, par ailleurs, chaque caisse primaire à avoir une démarche proactive pour promouvoir l’ACI, alors que près de la moitié des équipes éligibles « maison de santé » ne l’ont pas encore sollicité : « Souvent, on demande l’accréditation ARS pour toucher des financements publics lorsqu’il y a un bâtiment. Notre travail est de sensibiliser les leaders à franchir l’échelle supplémentaire de la Sisa, parfois décriée, car sans ACI, on ne peut pas mettre en œuvre le projet de santé », explique Pascal Chauvet. Comment rassurer les professionnels ? « Je leur dis souvent que la gestion administrative et comptable peut être faite par un coordinateur dont les missions sont multiples. On passe alors à un stade de professionnalisation des équipes », poursuit-il. Une formation à ce nouveau métier, financée et soutenue par les ARS, est validée par un diplôme de l’École des hautes études de santé publique (EHESP). En Nouvelle-Aquitaine, la promotion 2020 accueille plus de 50 personnes.

Une aventure au long cours

Installé depuis près de six ans à la MSP multisite de Lingolsheim (Bas-Rhin) qu’il a lui-même créée, le Dr Yannick Schmitt, ancien président du Regroupement autonome des généralistes jeunes installés et remplaçants (Reagjir), s’est toujours projeté dans un exercice coordonné. « Quand on sort des études, l’idée de travailler ensemble reste abstraite, raconte-t-il. Il y a deux cas de figure : soit on arrive dans un territoire où il y a déjà une dynamique d’exercice coordonné, plus ou moins structuré, et il suffit de s’insérer. Soit il n’y a rien, et c’est le jeune professionnel qui va en être le moteur. »

En revanche, avant de se lancer, une phase d’appropriation de deux à trois ans est nécessaire, pour bien connaître son territoire, les professionnels de santé, personnes ressources et organisations possibles. « Ce temps-là sera peut-être réduit dans les prochaines années, si les CPTS ont un vrai fonctionnement d’exercice coordonné », espère Yannick Schmitt. Le choix de monter une maison de santé a été motivé, pour sa part, par la perspective d’« être payé pour le travail effectué en coordination ». Un financement désormais accessible aux CPTS. Pour autant, estime le généraliste, « il est illusoire de créer ex nihilo une CPTS, si on n’a pas déjà une habitude de travail en commun avec une partie des professionnels du territoire ».

Aujourd’hui, la difficulté principale de la MSP concerne l’équilibre financier du projet immobilier. À défaut de soutien de la mairie, l’ARS pourrait aider les équipes, en portant, de manière expérimentale, des investissements immobiliers. Quant au leadership, il est partagé. « Le projet santé de l’enfant est porté par les sages-femmes, la santé de l’adulte est portée par les infirmières, et la santé de la personne âgée par les kinésithérapeutes. Mais cela ne nous empêchera pas de recruter un coordinateur, pour faire vivre les réunions de coordination et les différentes actions de prévention envisagées », note Yannick Schmitt. Au final, le chemin se sera fait « par étapes, assez naturellement », avec « des projets qui s’enchaînent dans un cercle vertueux ».

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