France Stratégie a demandé à l’Institut de recherche et documentation en économie de la santé (Irdes) d’apporter un éclairage international sur les questions de prise en charge des patients atteints de maladie chronique, des modes d’organisation en dehors de l’hôpital et du rôle des médecins spécialistes dans l’amélioration de la coordination des soins. La première comparaison internationale porte sur l’Angleterre (1). Les études de cas s’appuient sur des visites organisées à Leeds et à Londres en septembre 2018. Concours pluripro met en avant les initiatives menées par les équipes pluridisciplinaires.

 

A Leeds – services gériatriques intégrés

Le contexte

Leeds compte environ 32 000 personnes considérées comme fragiles, parmi lesquelles 90 % ont plus de 60 ans, et près de 2 000 personnes reçoivent des soins palliatifs. L’équipe gériatrique de l’hôpital universitaire de Leeds travaille depuis quelque temps avec des équipes intervenant en ville et à domicile (prise en charge sociale et en soins primaires) pour assurer des services au-delà des soins aigus, afin de maintenir les patients à domicile et réduire les hospitalisations.

Les équipes intervenant en ville et à domicile (Core community teams)

Elles sont principalement constituées de travailleurs sociaux, d’infirmières de district et d’infirmières de pratique avancée, les Community matrons, en lien avec les autres professionnels de soins primaires.

Les Community matrons sont des infirmières expérimentées qui se spécialisent dans la gestion de cas de patients à hauts risques en les prenant en charge à leur domicile. Elles évaluent, de façon holistique, les besoins des patients et identifient les risques au domicile pour les personnes âgées et fragiles. Elles procèdent également à une évaluation systématique des habitudes alimentaires des patients, réalisent des examens de peau, mesurent les risques de chute, révisent les ordonnances, etc. Elles sont en contact direct avec les ser­vices sociaux, qui peuvent intervenir si besoin. Actrices-clés de l’organisation de la prise  en charge des personnes âgées, elles agissent comme des gestionnaires de cas, et sont en contact direct avec les médecins spécialistes et généralistes. Leurs qualifications et leur auto­nomie leur permettent de réaliser de nombreuses tâches dont la prescription. Ces infirmières peuvent se référer en cas de besoin aux spécialistes ou aux généralistes, lesquels déclarent apprécier le travail des Community matrons – qui leur permet notamment de mieux gérer leur temps –, et disent également se fier entièrement à leurs décisions.

Les gériatres du Leeds Teaching Hospital soutiennent depuis 2012-2013 les équipes de soins intégrés intervenant en ville et à domicile. Chaque équipe dispose d’un gériatre dédié qui assiste aux réunions d’équipes pluridisciplinaires et assure des visites à domicile le cas échéant. Aujourd’hui, l’équipe de Leeds comprend également un kinésithérapeute, un ergothérapeute, des aides-soignants et des travailleurs sociaux.

Au niveau des soins primaires, les médecins généralistes et les infirmières des centres de santé travaillent directement avec les Community matrons, les gériatres et les infirmières hospitalières. La communication entre ces professionnels de santé est facilitée par une vi­sion partagée des parcours de soins et des protocoles définissant les rôles et responsabilités de chacun d’entre eux. La Community matron peut, si besoin, référer un patient directement à un spécialiste sans passer par un généraliste. Le gériatre peut être contacté par téléphone par tous les membres de l’équipe.

Un soutien des gériatres « d’interface »

Le rôle du gériatre est redéfini au sein de l’équipe pluridisciplinaire qui regroupe des cabinets de généralistes, des Community matrons, des infirmières de district et d’autres pro­fessionnels des services de santé et médico-sociaux. Les gériatres d’interface, responsables de leur population locale, jouent un rôle important dans la prise en charge des patients âgés fragiles. Ils vont notamment :

  • donner des conseils par téléphone aux Community matrons et aux généralistes,
  • faciliter l’accès direct à d’autres spécialistes et à des examens à l’hôpital,
  • assister aux réunions pluridisciplinaires en ville afin de discuter des patients à haut risque,
  • effectuer des consultations dans les services ambulatoires,
  • assurer des visites à domicile si nécessaire, par exemple pour une évaluation gériatrique complète.

 

 

Au service de pneumologie intégré de Whittington Health

Le contexte

La BPCO, deuxième cause la plus fréquente d’hospitalisations d’urgence en Angleterre, est très coûteuse en termes de soins hospitaliers aigus. Plus de 50 % des personnes actuellement atteintes de BPCO ont moins de 65 ans.

Whittington Health, un trust de soins intégrés, est formé en 2011 par la fusion de l’hôpital universitaire de Whittington avec les services ambu­latoires et à domicile des districts d’Islington et de Haringey au nord de Londres.

Développement d’une équipe de pneumologie intégrée

L’Équipe pluridisciplinaire de pneumologie intégrée (Integrated Community Respiratory Team - CORE), prend en charge les patients avant et après leur hospitalisation. Elle est supervisée par deux spécialistes intégrés des voies respiratoires. L’équipe comprend : Deux spécialistes intégrés des voies respiratoires (l’un basé à l’hôpital et l’autre travaille exclusivement en ambulatoire dans les deux hôpitaux locaux), un interne en pneumologie et soins de pneumologie intégrés (appelé registrar), des infirmières, un pharmacien, un kinésithérapeute, un psychologue, des conseillers dans la prise en charge de l’arrêt du tabac.

Cette équipe est divisée en trois : 1 équipe basée à l’hôpital qui accompagne les patients du service et les suit en ville et à domicile après leur sortie et 2 équipes basées dans les communautés d’Islington et de Haringey qui reçoivent les pa­tients envoyés par les généralistes afin d’assurer un soutien de courte durée ou une gestion de cas en cours.

L’équipe travaille en étroite collaboration avec 36 cabinets de médecins généralistes et assure l’éducation, la formation et le soutien d’environ 1 400 patients par an. L’équipe de l’hôpital se réunit une fois par semaine pour partager les informations concernant les patients et réviser les stratégies de traitement en dehors de l’hôpital. Cette équipe dispose d’un accès aux dossiers des patients des médecins généralistes, ainsi qu’à des informations collectées directement au domicile des patients. Les trois équipes se rencontrent toutes les six semaines afin d’échanger collectivement sur tous les dossiers.

La structure non hiérarchique de l’organisation de l’équipe intégrée constitue l’un de ses éléments clés.

Des spécialistes intégrés travaillant à l’hôpital et en dehors

Les spécialistes intégrés jouent un rôle essentiel dans l’équipe CORE en interve­nant dans plusieurs contextes de soins : centres de soins primaires, à l’hôpital et et à domicile. Ils assurent un leadership médical pour l’équipe ainsi que pour d’autres professionnels (dont les médecins généralistes) en les aidant à diagnostiquer des patients atteints de BPCO, à prendre en charge les patients en dehors de l’hôpital, et à accompagner les patients dans la prise en charge de leur maladie. La position de senior et de leadership des premiers spécia­listes intégrés a contribué à promouvoir ce nouveau rôle. L’un des spécialistes consacre deux après-midis par semaine à se rendre dans des cabinets de médecins généralistes pour les aider à améliorer le traitement et le diagnostic de leurs patients.

Les spécialistes intégrés jouent également un rôle stratégique dans le développement de nouveaux services visant à améliorer la gestion des patients en dehors de l’hôpital. L’internat en "pneumologie intégré" crée une trajectoire profession­nelle pour les cliniciens qui souhaitent particulièrement travailler au carrefour de plusieurs contextes de soins, et encourager le développement des soins intégrés.

...soutenus par un grand nombre de professionnelles de santé et paramédicaux

Les pharmaciens spécialistes des maladies respiratoires fournissent des protocoles spécifiques permettant notamment d’identifier le meilleur inhalateur et d’ajuster les prescriptions d’oxygène. Ils gèrent également les données pharmaceutiques des patients (consommation médicamen­teuse), aident à la conciliation médicamenteuse et, si nécessaire, organisent une thérapie d’oxygène à domicile.

Les kinésithérapeutes prennent en charge la réhabilitation pulmonaire et, en tant que membres de l’équipe CORE, suivent les patients à la fois au sein du service et à domicile. Certains d’entre eux ont obtenu un diplôme spécifique qui leur permet de prescrire des traitements, dans la limite de leurs attributions (ils peuvent prescrire sept médicaments spécifiques pour problèmes respiratoires). Ils peuvent également organiser des visites à domicile pour se familiariser avec l’environnement du patient et éventuellement changer les prescriptions afin de limiter, par exemple, les risques de chute. Certains kinésithérapeutes effectuent une rotation, en passant quatre mois en visite à domicile, puis quatre mois à l’hôpital. Ils travaillent de concert avec les ergothérapeutes qui effectuent le suivi des patients et organisent leur sortie. Ils s’assurent également que les patients disposent du bon équipement chez eux. Ils peuvent aussi proposer une aide sociale, en lien avec les services médicosociaux.

Une psychologue intervient dans l’équipe CORE afin d’assurer le soutien et l’accompagnement des patients, mais aussi de l’équipe soignante. De nombreuses personnes atteintes de maladies respiratoires, telles que la BPCO complexe ou l’asthme, ont en effet des symptômes d’anxiété et de dépression liés aux difficultés et à la peur de l’essoufflement. À l’aide de modèles thérapeutiques tels que la thérapie cognitivo-comportementale (TCC), le psychologue soutient l’équipe CORE en améliorant les capacités d’autogestion des patients et en les aidant à mieux prendre en charge leur maladie et leur traitement.

Un spécialiste de cessation du tabagisme intervient pour proposer aux patients un protocole concernant l’arrêt du tabac, ainsi qu’un soutien à domicile pour les patients atteints de BPCO.

Un gestionnaire de données a été recruté en 2018 pour travailler au sein du service et de l’équipe. Il saisit les informations du patient dans un système informatique de base de données afin de calculer les indicateurs de qualité. Son travail est considéré comme un aspect essentiel de la valorisation des résultats du travail de l’équipe CORE.

Une diététicienne prend en charge les problèmes d’ingestion et d’obésité. Elle travaille avec les diététiciens en ville.

 

Vers une culture de la collaboration

Que ce soit à Leeds ou à Whittington, les professionnels de soins se rejoignent autour d’une approche de soins et de santé globale centrée sur le patient et la population de leur territoire, acceptés et partagés par toutes et tous. L’approche holistique de soins et l’objectif de réduire les hospitalisations à répétition sont soutenues par les spécialistes, les infirmières en ambulatoire et à domicile, et les médecins généralistes. Cela encourage une culture de collaboration entre les profes­sionnels.

 

(1) En collaboration avec des chercheurs et des experts de cinq pays - Allemagne, Angleterre, États-Unis, Italie et Pays-Bas -, L’Irdes a identifié plusieurs modèles d’organisation des soins spécialisés. Afin de comprendre l’organisation effective des soins autour de pathologies spécifiques, il a réalisé dans ces pays différentes études de cas entre juin 2018 et mars 2019. Il s’agit plutôt d’étudier les modalités d’organisation autour des parcours de soins des patients, en décrivant la coordination des rôles et des tâches entre les médecins spécialistes et les autres professionnels impliqués, ainsi que les caractéristiques innovantes et les modèles financiers sous-jacents.
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