“Un territoire, c’est quelque chose qu’on partage en commun, c’est un lieu d’élaboration d’une pensée commune”, définit Emmanuel Vigneron, géographe de la santé, en introduction de la plénière d’ouverture. C’est un morceau d’espace terrestre qui est organisé par les hommes, investi par eux, partagé par eux”. Or pour qu’en santé, il fasse sens, pose-t-il, il faut que les soignants, les patients, s’y reconnaissent, que ce territoire soit “pensé, élaboré localement”, adapté aux besoins. Par le bas, et non par le haut. Et la “reconnaissance du territoire, poursuit-il, ce n’est pas un exercice d’Etat major. C’est quelque chose qu’il faut partager”. 

Le centre de santé départemental de Saône-et-Loire, qui compte des centres territoriaux de santé dotés d’antennes, est parti du local. En 2015, André Accary, président du département, a posé le diagnostic qu’en 2018, la moitié des généralistes serait en âge de prendre sa retraite, et que, étant donné le “taux de remplacement très modeste", “la situation allait devenir assez effrayante”. Alors il a mis “tout le monde autour de la table : élus du territoire, l'ensemble des maires, les professionnels de santé quels qu’ils soient…” : “On a écrit un véritable projet de santé sur le territoire", explique-t-il, demandant aux élus de mettre à disposition des locaux, si besoin. Et il a expliqué aux médecins que ce n’était “pas du tout en concurrence, mais en complément”.

Une telle initiative n’a pas été sans rencontrer de “barrages”. Pour la mettre en œuvre, il a été, avoue-t-il, “dans l’illégalité” de 2017 - année où il a fait voter le dispositif et le recrutement des médecins - et n’est “rentré dans le chemin de la loi que l’an dernier”, la santé n’étant pas de la compétence du Département. Pour lui, le résultat est là : cela a permis d’accueillir plus d’une centaine de médecins, de professionnels de santé. “On continue à travailler le maillage”, via la collaboration avec des hôpitaux de proximité.

Le "territoire social"

À la Ville de Paris, Eve Plenel, sa directrice de la santé publique, confie avoir changé d’approche du territoire. Au départ, son approche était “très administrativo-politique, dans une forme de rapport de force avec l’Etat”, explique-t-elle. Le défi était “comment on sort de cette situation où on se dit que la santé est du domaine du régalien, un sujet national, piloté par l’Etat. Vous élus locaux, administrateurs territoriaux, vous circulez”. Désormais, le vrai sujet, pour elle, pour l’organisation des soins et des politiques de santé, c’est plutôt “le territoire social”. “Ce à quoi on œuvre, c’est comment documenter mieux et plus finement les besoins en santé d’un territoire, au-delà de ce que l’information administrative ou l’Assurance maladie peut nous dire”, et comment trouver des instances pour les partager, “qu'on soit producteurs d’infos sur nos territoires pour enclencher une discussion sur ce qu’on y développe”.

L’autre enjeu, fait-elle savoir, c’est : “Comment ce qu’on développe sur notre territoire ne vient pas encore un peu plus creuser les inégalités territoriales au sein de l’Ile-de-France ?” Cela passe par travailler à des liens forts avec la Seine-Saint-Denis, illustre-t-elle. Si pour elle, “l’idéal, c’est que ARS, Assurance maladie, professionnels de santé, collectivités territoriales, travaillent ensemble, ça bute encore quand même sur des cultures professionnelles ou politiques ou administratives qui ne sont pas complètement prêtes”, sur le fait que les ARS ne “sont pas encore suffisamment outillées en termes de compétences professionnelles sur autre chose que le sanitaire”.

 

La Mayenne, quant à elle, est divisée en deux territoires, décrit Maxime Lebigot, infirmier et co-président de l'Association des citoyens contre les déserts médicaux, pour qui “la santé ne doit pas dépendre du code postal”. Le Sud, avec “beaucoup d’exercice coordonné depuis de nombreuses années”, “au niveau de l’accès aux soins, ça se passe très bien”. Et le Nord et le centre, notamment à Laval, où ce n’est pas le cas. À Laval, il y a “eu beaucoup de difficultés pour que les médecins travaillent avec les autres professionnels de santé”, la CPTS “a été créée seulement l’an passé”, il y a “beaucoup de cabinets uniques”. En revanche, souligne-t-il, il y a une MSP en fonction depuis un an et demi. Et en Mayenne, salue-t-il, “on a eu la chance d’avoir le département également qui a mis en place un centre de santé avec des médecins retraités, qui accueille des internes”, en 2019, avec “une antenne à côté de Laval”. “On peut voir que quand tout le monde se met autour de la table et met de côté ses egos, commente-t-il, il y a beaucoup de choses qui fonctionnent”. Pour Maxime Lebigot, il faudrait accentuer la formation des étudiants en médecine dans les zones périphériques. Il est aussi favorable à un conventionnement sélectif.

Pascal Biltz, membre fondateur de la Collégiale des CPTS de Paris - qui regroupe 9 CPTS parisiennes sur 16 -, rappelle qu’à la capitale, la notion de territoire est imposée par l’ARS. Sa définition du territoire, valorise-t-il, c’est “l’efficacité opérationnelle pour remplir les missions socles”. Et comme cela dépend de la dotation donnée en fonction de la taille, il invite à ne faire “que des CPTS de taille 3 ou 4”. Celle qu’il préside, dans le 19e, étant de taille 4. Si la CPTS, pour Pascal Blitz, “n’a pas la prétention de résoudre tous les problèmes de santé d’un territoire”, c’est “une invention tellement intelligente qu’on se demande pourquoi on ne l’a pas faite avant”. L’objectif, désormais, “c’est d’arriver à travailler de manière beaucoup plus proche, beaucoup plus souple et plus fréquente avec les autres acteurs”, Ville de Paris, ARS, CPAM...

“On territorialise patiemment les choses", observe Emmanuel Vigneron. Si pour lui “il y a du retard à l’allumage, il est évident que tout concourt à prévoir que, dans les prochaines années, grâce à toutes ces réflexions menées (...), la politique de santé fera une place de plus en plus grande à la notion de territoire”.

 

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