Article initialement publié sur le site du Laboratoire d'idées santé autonomie (Lisa) et rédigé par Joy Raynaud, spécialiste de l’accès aux soins, consultante et docteur en géographie de la santé et Stéphane Le Bouler, président de Lisa.

 

 

Les "déserts médicaux", les "difficultés d’accès aux soins" sont des sujets omniprésents dans l’actualité des territoires. Les questions de santé n’ont pas attendu la crise Covid pour s’imposer à l’agenda local.

Alors même que la commune n’est pas la collectivité de référence dans l’organisation du système de santé, les maires sont en première ligne – comme toujours dira-t-on –  face à l’inquiétude croissante de la population pour trouver un médecin traitant ou obtenir une prise en charge, urgente ou non. La présence d’un médecin est même devenue la première interrogation des personnes désireuses d’emménager sur un territoire donné.

L’action en faveur de l’offre de soin pour les territoires sous-dotés est l’intervention la plus visible des municipalités, ou des autres collectivités (certains départements notamment) mais les territoires attractifs sont eux aussi soumis à un certain nombre de contraintes en termes d’offre professionnelle : engorgement des urgences, difficultés d’accès à l’offre de soins de spécialité, dépassement d’honoraires et difficultés d’accès aux soins afférentes, discontinuité du parcours de soin et insuffisances de la coordination interprofessionnelle (sanitaire, médico-sociale et sociale), défaillances des systèmes d’information, etc.

La présence d’un médecin est devenue la première interrogation des personnes désireuses d’emménager sur un territoire donné.

Face à ces difficultés, les collectivités sont amenées à renforcer leur travail de coordination territoriale, à la fois pour soutenir le travail des acteurs de santé en termes d’organisation du système de soin, mais aussi pour consolider leur accessibilité et leur attractivité. On a là un authentique problème d’aménagement du territoire, à plusieurs dimensions : c’est d’abord un problème de santé en termes de perte de chance ; c’est aussi le pendant sanitaire d’un sentiment plus large d’abandon des territoires concernés ; c’est enfin un problème d’attractivité croisée (la présence des soignants est un élément-clé de l’attractivité pour la population ; la présence des autres services publics est un déterminant de l’implantation des professionnels de santé). Les solutions ne sauraient donc être unidimensionnelles. Nous en esquisserons un certain nombre.

Nous évoquerons enfin la crise Covid comme banc d’essai de ces organisations nouvelles.

De quoi parle-t-on ?

En France, beaucoup d’études abordent la question de l’accès aux soins sous l’angle des difficultés financières (montant de la consultation, somme restant à la charge du patient, dépassements d’honoraires  etc.) ou bien géographiques (distance d’accès au médecin le plus proche, mesurée en temps ou en kilomètres). Fréquemment cités, R. Penchansky et J. W. Thomas (1981) ont permis de clarifier le concept d’accès aux soins en identifiant la nature des difficultés d’accès aux soins à travers l’insatisfaction des patients. Ils distinguent cinq dimensions déterminant les conditions d’adéquation entre les attentes des usagers et les caractéristiques des services de soins :

> La disponibilité : le rapport entre l’offre et la demande, la relation entre le volume et le type de services existants, ainsi que le volume de la clientèle et de ses besoins ;

> L’accessibilité : une mesure de la proximité entre la localisation des services et celle des patients (mobilité des patients, distance, durée et coût du trajet) ;

> L’organisation des services de santé pour accueillir les patients (jours et heures d’ouverture des cabinets, temps d’attente, système de paiement, prise en charge des urgences, standard téléphonique opérationnel toute la journée pour prendre des rendez-vous et fournir des renseignements) ;

> La capacité financière : la relation entre le prix des prestations et la capacité du patient à payer ;

> Enfin, l’acceptabilité : la capacité du professionnel de santé et du patient à surmonter des barrières sociales et culturelles empêchant ou altérant le contact entre eux (âge, sexe, ethnie, religion, attitude, lieu et type d'installation)
 

Afin d’identifier les principales difficultés de l’accès aux soins d’une population, les auteurs d’une autre étude proposent une enquête de satisfaction auprès des patients. L’analyse statistique des réponses est agrégée pour chacune des dimensions et permet d’obtenir un score identifiant la nature de la principale difficulté.
 

Ce cadre conceptuel rappelle la nécessité d’intégrer les nombreuses dimensions de l’accès aux soins primaires : sa mesure ne saurait se résumer à un simple indicateur de densité médicale, trop souvent utilisé. Par exemple, mieux vaut observer le taux d’évolution annuel de la densité d’un ensemble de professionnels de santé (médecins, infirmiers, kinés libéraux, etc.) pour connaître la dynamique à l’échelle des bassins de vie. À ce jour, l’indicateur de l’accessibilité potentielle localisée (APL), utilisé pour le zonage des médecins, est celui qui intègre le plus de dimensions de l’accès : il correspond à un nombre de consultations par an et par habitant auprès d’un généraliste libéral ou salarié d’un centre de santé (la disponibilité – dont l’indicateur d’activité est plus précis que le simple nombre de professionnels) exerçant à moins de 20 minutes en voiture de leur lieu de résidence (l’accessibilité).

Qu’en est-il de la présence professionnelle sur le territoire ?

Les trois-quarts des bassins de vie français ont un taux d’évolution annuel de la densité des médecins généralistes négatif depuis 2006 (voir ci-dessous), il est de -1,4% pour l’ensemble de la France. 

                                                                                                             
 

Selon les projections de la Drees, le nombre de médecins en activité devrait repartir à la hausse dès 2020, notamment pour les spécialités qui bénéficient des installations de médecins diplômés à l’étranger. Cependant, on devrait assister à une baisse de l’offre globale de soins (activité) plus importante que celle des effectifs étant donné la poursuite du déclin de l’exercice libéral exclusif (au profit du salariat et de l’exercice mixte) mais aussi la modification de l’équilibre vie professionnelle / vie personnelle chez les nouveaux diplômés, accentuée par la féminisation, et le renouvellement des médecins libéraux (cessations d’activité). Aussi le vieillissement de la population et l’augmentation des besoins de soins associés devraient-ils renforcer l’inadéquation entre l’offre médicale et la demande au cours des dix prochaines années.

Malgré les récentes stratégies des pouvoirs publics pour libérer du temps médical (nouvelles organisations territoriales : MSP, CPTS – cf. infra ; protocoles de coopérations interprofessionnelles ; utilisation des technologies de l’information et de la communication, etc.), l’APL ou l’accessibilité géographique aux médecins généralistes a baissé de 3,3 % entre 2015 et 2018. Mesurée à l’échelle du territoire de vie-santé, la part de la population française vivant en zone sous-dotée en médecins généralistes (soit à moins de 2,5 consultations par an et par habitant), est faible mais a progressé de 3,8 % à 5,7 % en quatre ans (soit de 2,5 millions à 3,8 millions de personnes).

Entre 2015 et 2018, l’APL moyenne aux médecins généralistes a diminué de 3,3 %, passant de 4,06 consultations par an et par habitant à 3,93. Cette diminution n’est pas homogène sur les territoires et dépend du niveau d’équipement de la commune : l’accessibilité des 10 % de la population résidant dans les communes les mieux dotées baisse deux fois moins que celle des 10 % résidant dans les communes les moins bien dotées.

Cette baisse de densité en médecins généralistes doit, en outre, s’analyser au regard d’une demande croissante due à l’augmentation de la longévité, avec comme corollaire l’augmentation, voire l’explosion des maladies chroniques, tout autant due à l’augmentation de l’âge qu’à l’efficacité des traitements (maladies cardio-métaboliques, cancers par exemple).

Contrairement aux médecins généralistes, l’évolution de la densité des infirmiers libéraux est positive sur 94 % des bassins de vie en France depuis 2006, avec une forte croissance de 5,9 % par an (voir ci-dessous). Il faut dire qu’ils partaient d’assez bas !

                                                                                                          

La croissance du nombre de masseurs-kinésithérapeutes est plus modérée avec un taux d’évolution de la densité de 3,3 % par an, positif sur 77 % des bassins de vie. La diminution de la densité semble plus présente dans le quart nord-ouest de la France contrairement au quart nord-est et aux Pyrénées (voir ci-dessous).

                                                                                                          

Ainsi, des tendances croisées s’observent depuis 2005 avec la baisse constante de la densité de généralistes et la forte augmentation des infirmiers(1) et kinés (dans une moindre mesure). Ces évolutions nous interrogent nécessairement sur les rôles et missions à venir de chacune de ces professions et en filigrane, sur les possibilités d’un nouveau partage des compétences (voir ci-dessous).

                                                                                                         

Ainsi, les territoires attractifs sur le plan démographique et disposant de nombreux équipements (services aux particuliers, commerce, enseignement, santé, sports, loisirs et culture et transports) sont logiquement ceux les mieux dotés en médecins généralistes et autres professionnels de santé. L’accès aux soins de premiers recours s’inscrit ainsi dans une problématique plus globale d’aménagement du territoire. Ces dynamiques territoriales ont des trajectoires selon des cercles vertueux ou vicieux : population, équipements et services s’attirent mutuellement mais leurs décroissances signent un déclin difficile à enrayer.

Quels sont les enjeux d’aménagement du territoire en soins primaires ?

On ne reviendra pas ici sur l’intérêt d’une gradation globale des soins entre premier recours, deuxième recours et référence(2). On s’attachera aux finalités de l’action publique en ce qui concerne l’aménagement du territoire dans le champ des soins primaires.

Il faudrait sans doute revenir aux fondamentaux des politiques d’aménagement du territoire pour exciper des bonnes catégories et des notions appropriées mais le débat dans le champ de la santé peut se nourrir d’une approche plus pragmatique.

>  Premier enjeu : la nécessité d’organiser des ressources professionnelles diversifiées auprès des usagers : développement des pathologies chroniques, vieillissement, besoin de démultiplier les interventions en prévention et promotion de la santé auprès de la population, d’un côté, division du travail toujours plus poussée, avec une spécialisation accrue des ressources d’expertise, chez les professionnels de santé, médecins et non médecins, et les travailleurs sociaux ; on a fondamentalement des besoins de coordination, de consolidation, de diffusion de l’information sur le territoire ; ces besoins s’entendent – certes dans des conditions différentes – que le territoire soit fortement doté ou pas, avec des échelles de territoires très différentes selon les pathologies (périnatalogie, cancérologie, insuffisance rénale, maladies rares….).

> Deuxième enjeu : la nécessité de pallier des déséquilibres territoriaux de proximité : l’abondance des sorties (de formation) des médecins dans les années 1970-80 avait permis une couverture large du territoire, favorisée par la liberté d’installation, bénéfique cette fois-ci ; aux côtés d’autres explications, un phénomène d’attrition s’en est logiquement suivi lorsque la démographie étudiante s’est inversée ; le fait de retrouver demain des flux importants ne sera pas sans effet en termes d’allocation des moyens sur le territoire ; l’offre professionnelle s’est en outre diversifiée, on l’a dit, les déséquilibres territoriaux sont donc potentiellement plus nombreux et, en même temps, cette diversité offre un potentiel de substitution des ressources entre elles qu’il convient d’évaluer ; les besoins à ce niveau sont fondamentalement des besoins de régulation, en vue de fabriquer de nouveaux équilibres professionnels sur le territoire, un nouveau partage des compétences entre professionnels ; il s’agit de considérer ici une construction territoriale, nécessairement diversifiée, susceptible de rendre compte de ces équilibres, avec des effecteurs (les producteurs de soin) et des ressources d’appui et de coordination (ou d’intérêt général), l’important étant de bien distinguer les deux, les modalités de constitution, de « planification », de financement n’étant a priori pas les mêmes dans les deux cas ;

> Troisième enjeu : la nécessité de mieux articuler aspirations, parcours professionnels et organisation des structures de soins. Les politiques de régulation des effectifs professionnels et de répartition de celles-ci sur le territoire ont jusque-là fait une large part aux outils nationaux (numerus clausus et examens classants nationaux – ECN) et ont longtemps été relativement indifférentes aux parcours de formation ou de carrière des individus. L’importance attachée aux stages en dehors des CHU, pour diversifier l’approche des conditions d’exercice, valoriser certaines filières ou faire mieux connaître le cadre d’exercice en tant que professionnel libéral, ont ajouté une nouvelle mission aux structures de proximité, celle de concourir à la formation des professionnels ; les aspirations à la mobilité, exprimées en particulier par les jeunes professionnels, l’intérêt marqué pour les formes plus collectives d’exercice mais aussi le rôle joué par les structures hospitalières en tant que recruteurs, pour des contrats stables ou précaires, ont fait prendre conscience du rôle majeur des structures de soin dans la construction des parcours de formation et de carrière. À côté des outils nationaux, les structures de soins ont un rôle majeur en termes d’allocation des ressources sur le territoire, mais aussi entre spécialités et statuts d’exercice ; c’est ici affaire de connaissance, d’acculturation, de qualité de l’accueil, de statut… Ce troisième enjeu – qui semble relever du truisme – a émergé relativement lentement : les structures de soin ont à considérer cette mission propre dans le champ de la formation et de la construction des carrières des professionnels ; cette mission s’exercera bien entendu de façon différenciée ;

> Le quatrième enjeu n’est pas sanitaire ; il a trait à l’attractivité du territoire. L’infrastructure sanitaire fait partie des aménités d’un territoire, voire même de la couverture des besoins essentiels, quand elle vient à manquer. Les acteurs du territoire – et au premier chef, les élus locaux, seront donc attentifs à cette couverture, au nom des intérêts essentiels de leur population mais aussi au titre de l’attrait de la collectivité, au même titre que l’accès à l’éducation, à la culture, la garantie de sécurité ou les possibilités liées à la mobilité. Si on considère ce quatrième enjeu, les ressources à mobiliser seront dans l’idéal cohérentes avec l’appréciation des « autorités sanitaires » mais cette coïncidence n’a rien d’évident et le propre des politiques d’attractivité est d’être concurrentielle ; il peut donc être rationnel pour les collectivités d’améliorer les conditions d’accueil et de soutien de ces projets, voire de porter des initiatives qui contreviennent avec les préoccupations de régulation professionnelle équilibrée évoquée au point 2. Ce d’autant plus que ces politiques d’attractivité peuvent rencontrer les intérêts des professionnels. On l’a dit, cette attractivité est aussi croisée : les professionnels de santé seront sensibles à la présence des autres caractéristiques de l’attractivité des territoires, ce qui peut aboutir à des phénomènes d’homogénéisation sociale, de « gentrification » pas forcément désirables en eux-mêmes ou du point de vue sanitaire.

> Ajoutons que l’attractivité du territoire (en termes d’installation) est assez peu corrélée aux besoins de santé de la population comme en attestent les surdensités médicales de certaines zones agréables à vivre (métropoles, Sud-Est, Sud-Ouest, Alsace, etc.)

Au fond, quelles solutions à quels problèmes ?

Par construction des problèmes identifiés, il ne saurait y avoir de solution unique ou uniforme ; en logique, il ne saurait y avoir de solution qui couvre l’ensemble des finalités. Il importe donc d’examiner les ressources à mobiliser autour de chacun des enjeux identifiés et les ressources disponibles.

         
                                                                                           

                                                             

Quelles sont les ressources susceptibles de rendre compte de ces enjeux ?

> Le maillage interprofessionnel en pratique

Face à ce problème d’aménagement du territoire, il est important de raisonner en termes de maillage sanitaire interprofessionnel et, pour cela, de décrire la situation d'où l'on part, la situation présente ou tendancielle et une cible de "reconstruction", en tenant compte des caractéristiques socio-démographiques et épidémiologiques des territoires, qui peuvent être très différentes de l’un à l’autre.

Sans idéaliser un âge d'or de la couverture du territoire, on avait au départ une situation sinon satisfaisante, du moins ne suscitant pas trop d'inquiétudes.

Le maillage primaire est fait de toute une gamme d'éléments : autour du triptyque généraliste-pharmacien-infirmier libéral mais aussi d'un tissu dense d'hôpitaux de proximité polyvalents, de logements foyers et de maisons de retraite, de professionnels paramédicaux investissant des territoires de plus en plus fins, sans parler de la médecine salariée (centres de santé, scolaire, protection maternelle et infantile...) en meilleure situation qu'aujourd'hui. Ce maillage primaire dense a concerné dans les années 1980-90, on l’a dit, des territoires qui n'avaient pas connu jusque-là une telle abondance.

Et puis les choses se sont dégradées sur certains territoires : fermeture des hôpitaux de proximité ou de certains services au sein de ceux-ci, médicalisation et fermeture sur lui-même du médico-social, difficultés de la médecine salariée, laissant bien souvent seul au front le triptyque généraliste-pharmacien-infirmier libéral. Sur certains territoires, denses et non délaissés, ce trio fonctionne bien, du moins dans sa capacité à mailler le territoire, d'autant que les effectifs de paramédicaux libéraux (infirmiers et masseurs-kinésithérapeutes) sont en croissance continue.

Sur d'autres territoires, il suffit que la maille généraliste lâche pour que l'ensemble du tissu se délite. Il y a des solutions qui se mettent en place lorsque le pharmacien fait défaut. Cela apparaît plus compliqué quand c'est le généraliste. L'infirmier à domicile et la pharmacie sont très dépendants de la présence du médecin, en tant que profession prescrite ou en tant que dispensateur de médicaments prescrits.

> Les modes organisationnels

De quoi a-t-on besoin pour refaire ou consolider le tissu sanitaire sur les différents territoires ?

Là où la couverture est dense, on a besoin de mettre en réseau les acteurs, de les faire dialoguer, en limitant les coûts de transaction (d’où l’importance du système d’information). La maison de santé pluriprofessionnelle (MSP) est une solution intégrée (sur le modèle de la firme en tant que celle-ci limite les coûts de transaction) mais il y en a bien d'autres, virtuelles, numériques...

Là où la couverture est faible, il peut être pertinent de préserver le maillon faible (le dernier médecin ou le pharmacien) ; on peut aussi essayer de reconstituer un tissu complet (à partir de la MSP) ; on peut encore mettre en place des solutions palliatives virtuelles : téléconsultation, délivrance des médicaments à distance... Dans certains cas, ces solutions virtuelles seront plus efficaces et rationnelles que les solutions « en dur » (MSP ou autre).

Là où la couverture est devenue inexistante, il faut examiner les raisons (déshérence démographique notamment, absence d’équipement et de services) avant de mettre en place le traitement ciblé.

  • Les MSP

De fait, les nouvelles formes d’exercice (MSP ou pôles de santé) ont été largement plébiscitées un temps, parce qu'elles étaient censées régler trois problèmes en un : la raréfaction des professionnels sur certains territoires, le besoin de coordination et l'évolution des aspirations des médecins. A l’évidence, elles rendent également compte, dans certains cas, de la concurrence entre territoires et collectivités.

Les chiffres sont en croissance : en 2018, 3,2 millions de patients ont été pris en charge par les 13 096 professionnels de santé exerçant dans les 735 maisons de santé pluriprofessionnelles (MSP) adhérentes à l’accord conventionnel interprofessionnel (ACI). En 2019, l'Assurance-maladie a ainsi versé 63 500 euros en moyenne à chaque MSP. L'objectif du gouvernement est d'atteindre 2 000 structures d'exercice coordonné conventionnées à l'horizon 2022. Soulignons néanmoins que cet objectif ne représenterait en moyenne qu’un maximum de 5 000 à 6 000 médecins de soins primaires soit 10 % du nombre d’omnipraticiens. Donc 80 à 90 % de la population n’y aurait pas accès, en admettant que l’attractivité d’une MSP est supérieure, ce qui est très vraisemblable.

S’agit-il d’une organisation efficace pour l’accès aux soins ?

Ces formes d’exercice regroupé pluriprofessionnel ont l’avantage d’augmenter la taille de la file active, ainsi que le nombre des patients inscrits par médecin traitant. Elles favorisent également la coopération avec l’ensemble des acteurs sanitaires, médico-sociaux et sociaux (établissements, réseaux de santé, services, etc.). L’exercice interprofessionnel permet de favoriser une prise en charge plus globale et des pratiques enrichies des professionnels de santé au contact des autres.  La rencontre, la proximité physique et les échanges entre professionnels favorisés par ces regroupements sont de nature à remettre en question les a priori et faire tomber certaines des barrières à la mise en œuvre de protocoles pluriprofessionnels, et in fine au partage des pratiques et compétences.

Cependant, plusieurs reproches leur sont faits. Tout d’abord, l’effet "coquille vide" a fréquemment été observé lorsque la MSP a été portée sans véritable projet à la clé : les professionnels n’ont pas souhaité s’installer (manque d’attractivité du territoire ou conflits interpersonnels) ou bien ils ont profité d’un effet d’aubaine (déménagement après avoir bénéficié des primes à l’installation).

La création d’une MSP dans une commune ne doit pas "déshabiller" les communes environnantes

À cela s’ajoutent pour certains les difficultés pour financer des coûts de fonctionnement élevés (loyer, remboursements de prêt, assurances, eau, électricité, matériel médical, entretien, secrétariat mais aussi système d’information, poste de coordinateur, formations pluriprofessionnelles, projets de santé publique, etc.).

Enfin et surtout, les MSP déçoivent souvent par l’absence d’une réelle maturité organisationnelle. Le faible développement des systèmes d’information (dossier patient partagé, etc.), le paiement à l’acte et les difficultés de gouvernance (légitimité, autorité) ne permettraient pas toujours une réelle dynamique décloisonnée des différentes professions autonomes. Malgré une volonté affichée de placer le patient au cœur des soins, peu de pratiques interprofessionnelles et interdisciplinaires innovantes seraient proposées. Or, la coordination et la coopération ne peuvent être envisagées sans une forte volonté des pouvoirs publics (système d’information interopérable, cadre réglementaire pour la délégation de tâches, la télémédecine, la rémunération, etc.) mais aussi et surtout des professionnels de santé.

Une précaution supplémentaire doit être impérativement envisagée : la création d’une MSP dans une commune ne doit pas "déshabiller" les communes environnantes. Cette précaution est particulièrement importante lorsque la MSP est couplée à une pharmacie…

  • Les CPTS

Plus récemment, les pouvoirs publics se sont tournés vers un autre dispositif, les communautés professionnelles territoriales de santé (CPTS), avec un objectif de maillage du territoire par plus de 1 000 CPTS à l’horizon 2022. Selon, la Fédération des CPTS (FCPTS), il y aurait en ce début d’année 2021, 700 projets identifiés dont seulement une centaine aurait signé l’accord conventionnel interprofessionnel (ACI). Créées par la Loi de modernisation de notre système de santé de 2016, les CPTS constituent un nouveau cadre d’évolution des pratiques professionnelles sur les territoires, au service du développement de la prise en charge ambulatoire et de l’amélioration du parcours coordonné du patient. Elles permettent une organisation flexible, dans laquelle les professionnels choisissent avec qui ils souhaitent se coordonner pour répondre à des objectifs de santé publique qu’ils jugent prioritaires, sur un territoire dont ils définissent eux-mêmes les contours.

Difficile cependant de ne pas voir la main planificatrice de l’État avec des objectifs quantifiés, des échéances et avec là encore, le risque de coquilles vides.

L’intégration des perceptions des acteurs locaux de santé dans les politiques publiques est indispensable pour améliorer la prise en charge des patients et développer une offre de soins durable sur les territoires. Pour cela, les porteurs de projets doivent rédiger une lettre d’intention et un projet de santé avec des indicateurs de suivi, afin d’évaluer la pertinence des actions menées. Trois missions socles sont identifiées : l’accès aux soins (favoriser le recours au médecin traitant et organiser des soins non programmés), la prévention et la coordination. À cela s’ajoutent des missions complémentaires : qualité et pertinence des soins, actions en faveur de l’accompagnement des professionnels de santé sur le territoire.

L’Agence régionale de santé doit valider le projet et une ACI doit être signée afin que l’Assurance maladie verse entre 185.000 euros et 380 000 euros par an suivant le nombre d’habitants résidant sur les communes de la CPTS. (Cette subvention est consacrée uniquement à la coordination et la logistique et non aux revenus professionnels.)

Étant donné le contexte démographique des professionnels de santé et leur besoin de coordination pour répondre à la demande croissante de soins, c’est en milieu rural que les CPTS rencontrent le plus d’enthousiasme. Cependant, médecins, infirmiers ou kinés porteurs de projet doivent braver plusieurs obstacles éprouvants : la définition d’un territoire pertinent, la concertation de tous les acteurs de santé, la rédaction de projets, les démarches administratives et juridiques, etc. Ces démarches exigent une forte motivation et du temps non rémunéré (tandis que les libéraux demandent davantage de temps dédié aux soins), de nombreuses réunions et des subventions qui ne sont versées qu’à un stade avancé du projet, et après vérification du respect d’un cahier des charge des ARS parfois rebutant (jusqu’à 80 pages !)

En milieu urbain ou périurbain, les CPTS rencontrent davantage de réticence ; on assiste à des compétitions pour prendre place sur le territoire en y créant l’unique CPTS : tout cela peut générer tensions et conflits entre les acteurs de santé, à l’opposé de la coordination recherchée. Fréquemment, les premières CPTS constituées correspondent à une coopération déjà présente sur le territoire (pôles de santé, bassin de patientèle coordonné autour d’un hôpital local, etc.). C’était d’ailleurs en référence à ces modèles préexistants que le concept a été proposé dans la loi de 2016.

> L’exemple des CPTS durant la crise du Covid-19

Les retours d’expériences ont montré que les CPTS ont su répondre de manière efficace à la crise sanitaire. Les professionnels de santé investis dans ses regroupements (souvent à l’état de projet), se sont rapidement mobilisés pour organiser la gestion de crise sur leurs territoires. Ainsi, laboratoires et pharmacie de proximité, médecins généralistes et spécialistes, infirmiers et autres professionnels ont improvisé des centres de dépistage avec un parcours précis pour les patients.

Les CPTS ont mené des actions pour faciliter l’accès aux soins à travers la mise en place de consultations Covid-19 avec des accès prioritaires pour des patients symptomatiques ainsi que des dépistages quotidiens en voiture sous forme de drive afin de limiter les contacts. Médecins et infirmières se sont mobilisés pour le suivi des patients à domicile. Beaucoup se sont investis dans l’inventaire des besoins, la récupération et la distribution des équipements de protection individuelle et ont bien souvent mutualisé leur matériel. Certains ont également adopté des outils numériques de communication et des gestion de tâches et de projets afin de centraliser et partager les informations relatives à l'épidémie à l’ensemble des professionnels de santé : diffusion des recommandations, des actualités, ainsi que l’état de santé des patients. Ainsi, beaucoup expriment un travail fourni conséquent et une période épuisante malgré l’absence d’activité rémunératrice.

La coordination ville-hôpital s’est accélérée et de nouveaux partenariats se sont créés avec les collectivités territoriales, les établissements médico-sociaux, les établissements de santé privés et les autres CPTS. Par exemple, le comité de pilotage de la future CPTS Ouest Hérault a construit, en partenariat avec le centre hospitalier de Béziers, un site Internet sur lequel les professionnels de santé ont pu visualiser les clusters du Covid-19 sur une cartographie interactive, ainsi que l’évolution de l’état de santé des patients, permettant à l’hôpital d’anticiper les hospitalisations afin d’éviter la saturation.

Cette mobilisation a bien souvent catalysé la genèse de ces CPTS en révélant l’utilité de cet exercice groupé aux professionnels de santé n’ayant pas encore adhéré à ces associations mais aussi aux établissements de soins et aux ARS. Leur mode d’organisation souple et très réactif, leurs solutions adaptées aux besoins de leur territoire ont accéléré leur reconnaissance.

Cependant plusieurs coordinateurs de CPTS ont déploré l’absence d’aides logistiques et financières lorsqu’ils se sont tournés vers leur ARS ou leurs URPS afin de soutenir leurs actions : achats de kits complets de protection (certaines CPTS ont déboursé 40 000€), mise en place de centres d’appels, recrutement de personnels, etc.

Les CPTS constituent un nouveau cadre d’évolution des pratiques professionnelles sur les territoires

Dans un contexte où les professionnels de santé libéraux se sont sentis exclus de la prise en charge des patients durant la crise, les CPTS ont constitué une organisation dans laquelle ils ont choisi de s’impliquer et nombre d’entre elles sont ainsi passées de l’état de projet à celui d’une coordination en fonctionnement.

À la suite de ces expériences, la DGOS envisage de déployer un plan blanc ambulatoire par les CPTS et qui pourrait être déclenché par le ministère ou les ARS. Il permettrait notamment la mise en place d’une cellule de crise par département incluant les CPTS, la répartition des tâches entre acteurs institutionnels et professionnels, une régulation rendant effective la gradation des soins, la définition du rôle de chaque professionnels du sanitaire et du médico-social, l’utilisation d'outils de communication pour la coordination ville-hôpital et la prévision d'un budget de crise mobilisable pour les CPTS.

De nouvelles négociations sur l’ACI sont en cours et portent notamment sur une sixième mission nommée "Crise sanitaire", comprenant deux volets : une phase de préparation et une phase d’action. Cette mission sera rémunérée selon les tailles des CPTS : de 25 000 à 50 000€ la première année pour la rédaction du plan et de 12 500 à 25 000€ les années suivantes pour le travail d’actualisation. Signalons cet outil  très pertinent, fourni par la Cnamts, d’aide à la conception du projet médical, qui permet aux promoteurs de qualifier les besoins de santé de leur territoire en temps réel en fonction des besoins épidémiologiques et des consommations de soins connues.

La gouvernance locale en santé devrait s’appuyer sur la responsabilité populationnelle et territoriale des professionnels de santé et sur leur capacité à se coordonner (champs médical premier et second recours, médico-social, social, public et privé), en y associant les acteurs locaux que ce soient les collectivités territoriales ou les associations de patients ou de représentant des usagers.

Par ailleurs, une décentralisation avec l’attribution de pouvoirs et de responsabilités à des collectivités locales, admi­nistrées par des instances élues, serait préférable à la déconcentration actuelle, sans transfert de pouvoirs et de responsabilités vers la collectivité régionale.

Cependant, la réduction des inégalités de santé, la promotion de la santé, la prévention sont des thématiques essentielles dont la définition stratégique, l’impulsion et le cadre réglementaire proviennent aujourd’hui de l’échelon national, à charge pour les acteurs locaux de s’emparer de ces outils en les adaptant aux besoins territoriaux.

À travers une démarche de projets et d’expérimentations, il est possible de faire émerger un modèle local d’action en santé intégrant la complexité du territoire dans une approche globale. Avec les financements adéquats, l’État devra ainsi trouver le juste équilibre entre l’élaboration des politiques publiques nationales, leurs déclinaisons territoriales et les initiatives de terrain.

NOTE

1. En dépit du frein que constitue l’obligation de deux années d’exercice salarié préalable à l’installation.
2. Voir notamment les rapports du Haut Conseil pour l’avenir de l’assurance maladie (HCAAM) de 2016 et 2018 en particulier

CONTACT
Envoyez un mail à contact@lisa-lab.org

RETOUR HAUT DE PAGE