"Je travaille dans une grosse maison de santé où ils sont 7 médecins (...) et je suis pas assez occupée. Ce n'est pas normal ! Ils se plaignent tous les jours qu'il n'y arrivent pas, qu'ils sont débordés. Et moi je leur dis 'je suis là, je peux faire plein de choses!' ", témoigne une IPA installée depuis dix mois. Comme elle, de nombreuses infirmières en pratique avancée rencontrent des freins au développement de leur activité. "C'est notamment dû aux oppositions assez fortes au sein du corps médical mais également de la part de certains représentants des infirmières", commente le Dr Louise Luan, médecin en santé publique, qui s'est intéressée à la trajectoire de ces professionnelles dans le cadre de sa thèse : "Les premiers pas des Infirmières en pratique avancée (IPA) en soins primaires : un regard sociologique sur leur activité et sur les conditions de son développement". La praticienne a enquêté en recueillant les témoignages de 12 soignants (11 femmes et 1 homme), répartis dans sept régions, lors d'entretiens semi-directifs.

Environ 1 700 IPA diplômées réparties sur toute la France, 700 en formation. "C'est peu depuis la parution de l'arrêté de juillet 2018 qui autorise leur exercice.", remarque Louise Luan. Pour pouvoir exercer en soins primaires, ces infirmières qui ont suivi deux ans de formation à la fois médicale (physiopathologie, pharmacologie) et en sciences infirmières (sciences cliniques, analyse de pratique, soins basés sur les preuves...) doivent remplir deux conditions : d'une part exercer au sein d'équipes de soins coordonnés ou au sien de centres de santé et d'autre part avoir signé avec un ou plusieurs médecin(s) un protocole d'organisation pour pouvoir exercer. Ce sont déjà des obstacles à franchir. 

Mais si elles sont pour le moment si peu nombreuses, c'est aussi en raison du coût de leur formation : "Beaucoup de ces IPA sont d'anciennes infirmières libérales qui n'ont pas pu avoir de financement de leur formation - elles sont nombreuses à devoir contracter des emprunts, précise la médecin de santé publique. Et encore plus concrètement, elles rencontrent des difficultés au moment de leur installation et de reconnaissance au niveau de l'Ordre départemental infirmier ou des CPAM... car le métier n'est pas encore assez connu ! Il leur faut en effet recevoir un numéro de prescripteur pour pouvoir commencer à exercer et à recevoir une rémunération, ce qui peut prendre du temps".

En outre, leur modèle économique a vite atteint ses limites comme cela été souligné par le rapport IGAS : l'avenant 7 s'est révélé insuffisant en terme de montant de rémunération.

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"Cet été a été négocié un avenant 9 qui revoit le forfait à la hausse ainsi qu'une augmentation et un élargissement des aides à l'installation", précise Louise Luan.

 

 

Couteau suisse ou fourre-tout ?

Les IPA dépendent du médecin pour l'adressage de patients - car elles n'ont pas obtenu le premier recours. "Quand bien même le médecin a signé un protocole d'organisation, celui-ci n’a aucune obligation d’adresser un certain nombre de patients à l'IPA et il n'a pas été prévu non plus d'incitation ou de compensation financière pour les médecins, contrairement à ce qui existe pour les infirmières Asalée", pointe Louise Luan. De plus, de nombreux médecins n'ont "pas envie" de transférer leur activité, même pour des patients complexes. "Si j'ai 40 patients au bout de six mois d'exercice, c'est le bout du monde", remarque Béatrice G., IPA en MSP. Elles ont ainsi du mal à se constituer des files actives. Céline, qui était installée depuis plusieurs mois comme IPA, a dû cesser son activité car les médecins n’ont pas souhaité coopérer avec elle, explique avec le recul qu'elle était considérée comme "l'infirmière fourre tout".

Une médecin salariée en centre de santé, interrogée dans le cadre de l'enquête, a admis qu'elle avait des réticences à adresser ses patients à des IPA pour des renouvellements d'ordonnance car "ce genre de patients, c'est facile et ça fait des temps de pause dans nos journées" ! Laetitia E. qui travaille avec plusieurs médecins, reçoit quant à elle des patients complexes, voire "lourds" avec des polypathologies. "Les consultations sont donc très longues". Elle se qualifie comme le "couteau suisse" pour répondre à ces demandes. "On pense à la notion de 'sale boulot' en sociologie", analyse Louise Luan.

 

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