Avec cet ouvrage vous décrivez l’expérience de La Place santé afin de contribuer au débat pour l’avenir de la santé en France. En quoi cette expérimentation peut servir de repère ?
L’expérience de santé communautaire que nous menons et qui fonctionne bien aujourd’hui a pris du temps à se construire et l’a fait à travers des crises auxquelles les soignants de la cité Le Franc-Moisin ont été confrontés : crise de la rénovation urbaine, explosion de la toxicomanie, crise du sida, aggravation de la précarité.
A chaque fois, nous avons imaginé une organisation qui nous mettait en capacité de répondre aux éléments de ces crises. On s’est appuyé sur le concept de la médecine sociale et de la santé communautaire mais sans le savoir ! C’est-à-dire que notre intuition nous a amené à travailler de cette manière et plus tard, des anthropologues et des sociologues venus observer l’ACSBE nous ont expliqué que ce que l’on faisait relevait de la santé communautaire, un concept peu connu en France mais développé à travers la Charte d’Ottawa ou la déclaration d’Alma-Ata sur les soins primaires, répandu dans de nombreux pays.
En parlant de crise, l’ouvrage met l’accent sur la crise du Covid. En quoi la puissance de l’action collective et la santé communautaire vous ont aidé à "être à la hauteur de l’épreuve" ?
Au début de l’épidémie, lors d’une réunion avec l’ARS Ile-de-France en tant que représentant des MSP (à la FémasIF), j’ai proposé de mettre en place une politique de l’ "aller vers" globale, la médecine libérale s’est opposée à moi en me disant que c’était du racolage ! A Saint-Denis, cela fait trente ans que l’on est dans le "aller vers", donc nous étions prêts pour affronter cette crise !
Pour être plus précis : nous avons une liste des patients "porcelaine". Dès le début de l’épidémie on s’est réparti entre les 22 salariés de La Place santé pour les appeler, leur expliquer les risques et leur conseiller de faire particulièrement attention. Mais on a aussi informé régulièrement l’ensemble de la population du quartier, et pas uniquement notre patientèle, à travers les réseau sociaux, l’affichage dans les halls d’immeubles, la communication avec les associations de quartier. On a organisé des ateliers de fabrication de masque, on a récupéré des charlottes via des habitants qui en avaient à leur travail, on a repéré les personnes qui avaient des difficultés pour se nourrir… Et puis on a distribué des masques et du gel car on en avait un stock puisqu’au centre de santé une personne s’occupe de la logistique et des stocks à l’année pour nos actes techniques gynéco. Les médecins isolés eux ne peuvent pas stocker ce genre de matériel !