Article partiellement publié dans Concours pluripro, novembre 2022

Ce rapport a largement été salué par les instances et les acteurs de terrain. Mais ce n’est pas le premier qui présente ces idées – on se souvient notamment du rapport Aubert de 2010… En quoi celui-ci va-t-il s’approcher d’une solution à la question de l’accès aux soins ?

Nathalie Fourcade
Nathalie Fourcade,
secrétaire générale © N. F.
 

Nathalie Fourcade : Effectivement, il y a eu plusieurs rapports, dont celui d’Élisabeth Hubert que nous citons à plusieurs reprises… Mais, depuis 2010, les choses ont bougé : développement des maisons et centres de santé, mise en place des CPTS, du service d’accès aux soins et des dispositifs d’appui à la coordination, concrétisation de la pratique avancée, déploiement de postes d’assistants médicaux, protocoles de coopération, élaboration de nouveaux modèles et expérimentation de multiples innovations organisationnelles… Pour autant, ces évolutions n’ont pas empêché l’accès aux soins de proximité de se dégrader, et l’on se trouve aujourd’hui, dans beaucoup de territoires, dans une situation alarmante, avec des personnes malades et âgées qui ne trouvent pas de médecin pour les soigner, des professionnels débordés, des perspectives de départs nombreux non remplacés dans les années qui viennent. Si l’urgence d’agir était déjà là en 2010, aujourd’hui elle est plus forte, compte tenu de la démographie médicale.

Il y a dix ans, la situation était déjà compliquée, mais on est aujourd’hui dans une situation de crise.

Pour amortir le choc créé par l’évolution de la démographie médicale, il aurait sans doute fallu des réorganisations plus rapides et plus ambitieuses. Les évolutions sont réelles mais d’une ampleur insuffisante pour que leur effet se fasse sentir à l’échelle du système. Or cette transformation est nécessaire pour répondre aux défis de santé publique, des maladies chroniques, du grand âge, des populations vulnérables, des inégalités de santé et de l’accès aux soins pour tous et partout.

Les termes du débat et l’approche retenue pour ce rapport sont également spécifiques : tous nos rapports sont négociés avec l’ensemble des parties prenantes du système de santé, qui sont représentées au Hcaam. Ce rapport fait l’objet d’un consensus qui engage l’ensemble des acteurs.

 

L’exercice coordonné et collectif, en tant que norme de la future organisation des soins de proximité, est reconnu par tous. Or seuls 20 % des professionnels ont fait ce choix. Comment expliquer que ce ne soit pas devenu la "norme" malgré les possibilités de financement, les nouveaux métiers, etc. ?

Dominique Polton
Dominique Polton,
conseillère scientifique
© D. P.

Dominique Polton : Ce sont des transformations profondes, et cela a fait partie des réflexions du Hcaam d’identifier les freins à ces évolutions. Le premier frein, c’est que monter une équipe structurée de soins de proximité n’est pas si simple. C’est une ingénierie de projet complexe, ça suppose une certaine logique entrepreneuriale chez les professionnels, dont beaucoup nous disent bien que ce n’est ni leur métier, ni leur formation, ni même souvent leur appétence… Les jeunes générations veulent travailler en collectif, mais c’est une chose de rejoindre une équipe qui fonctionne déjà, c’en est une autre de la créer. Même si des accompagnements sont proposés pour mettre en place des maisons de santé, il faudrait sans doute plus de solutions clés en main. Par exemple, s’il y a une certaine réticence à recruter, pourquoi ne pas solliciter des associations tierces type Asalée ou des groupements d’employeurs, qui assurent une fonction support sur l’emploi des assistants médicaux ? Si on veut accélérer le travail en équipe, il faut pousser des solutions de ce type.

On indique, dans le rapport, que l’exercice en équipe structurée n’implique pas nécessairement un regroupement physique. Mais le partage de locaux est souvent plus conforme aux attentes des professionnels, plus pratique, voire indispensable pour certains modes d’organisation. Dans tous ces cas, les locaux constituent un frein qu’il ne faut pas sous-estimer car des locaux pouvant permettre un travail d’équipe, c’est difficile à trouver, notamment en milieu urbain. Et, souvent, ces bâtiments ne suffisent plus quand l’équipe s’étoffe… Et il n’y a pas vraiment de réflexion sur ce que doit être l’architecture de ces structures. Un frein majeur est aussi lié aux modes de rémunération : dans un modèle où chacun est payé pour ce qu’il fait, donc à l’acte, il n’y a aucune incitation à partager son travail avec d’autres. Et on peut comprendre la réticence des médecins qui ne veulent pas déléguer les actes simples et concentrer leur activité sur les consultations complexes si elles restent rémunérées à 25 euros…Tout cela nécessite des négociations avec les professionnels, et sans doute des négociations qui associeraient différentes professions, au-delà des discussions monoprofessionnelles qui sont la règle aujourd’hui.

Pour garantir un parcours de soins de qualité, il faut que ce soit dans le cadre d’un travail en équipe
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