Article publié dans Concours pluripro, mars 2022

À suivre l’actualité, on pourrait penser que l’accès aux soins – sujet pour lequel l’expression "désert médical" a fait florès – est un problème spécifiquement français. Pas du tout. La plupart des pays développés en font l’expérience, certes à des degrés divers, selon les politiques professionnelles locales ou la vigueur des réponses apportées par les gouvernements. En réalité, cette pénurie (le terme shortage faisant autorité à l’international) est la conséquence de deux phénomènes qui ont été observés à l’échelle du monde développé. D’abord, les très grands nombres de médecins formés dans les années 1960 et 1970 (sur la vague d’une croissance économique généralisée) ont, partout, fini par prendre leur retraite… et n’ont pas été numériquement remplacés par les promotions montantes, nécessairement moins nombreuses. Ensuite, ces promotions montantes ont, très majoritairement, assorti leur exercice d’une triple réserve : préserver leur vie personnelle, préférer les spécialités à "plateaux techniques" aux soins primaires, et privilégier la cité plutôt que la ruralité. Par chance, ces deux dernières réserves manifestent un "retour de balancier" plus ou moins spontané et significatif. Il est ainsi aisé de trouver dans la littérature internationale des publications qui évoquent cette pénurie ou envisagent les mesures correctrices.

Où il n'est question que des seuls médecins

Tout d’abord par le Dr Nazrul Islam, médecin-épidémiologiste et auteur du département de santé publique de l’université de Colombie-Britannique à Vancouver*. Il retrace les événements au Canada, à partir d’un rapport réalisé par deux médecins – les Drs Barer et Stoddart – au début des années 1990. L’époque était alors à la pléthore médicale ressentie depuis le milieu des années 1970 et en application du rapport, le gouvernement réduisit considérablement le nombre d’étudiants admis en médecine (dans un rapport de 10 à 3), ainsi que l’apport de jeunes diplômés de l’étranger. Une à deux décennies plus tard, la pénurie en résultait, traduite par l’impossibilité pour 15 % de la population d’avoir accès à un Family Physician et par le constat que 20 % des habitants vivaient en zone rurale, alors que moins de 10 % des médecins y exerçaient… Et en 2014, l’ensemble des causes était analysé : insuffisance du nombre de nouveaux diplômés et des flux entrants de jeunes diplômés étrangers à la suite du rapport Barer et Stoddart bien sûr, mais aussi désaffection pour les soins primaires et la ruralité, émigration des médecins canadiens vers les États-Unis et – ce qui constitue un argument contestable et souvent contesté – féminisation de la profession, se traduisant par une activité clinique moyenne moindre. Un mot sur les flux entrants de diplômés prégradués (immigrant en Amérique du Nord pour compléter une spécialisation) et qui constituent une importante variable d’ajustement de la workforce, en particulier hospitalière (sans pour autant bénéficier d’un « passe-droit » de naturalisation) ; les jeunes Anglais et Irlandais des années 1970 étant remplacés depuis les années 2000 par des Indiens et des Sud-Africains.

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