Article publié dans Concours pluripro, septembre 2023
 

Un centre de santé (CDS) a fermé récemment faute de rentabilité, le directeur blâmant la consultation à 25 euros... Ce déficit chronique est-il caractéristique des CDS ?

Laure Pitti

Dans le contexte actuel de tarification à l'acte, c'est en effet un déficit caractéristique de ces structures, et ce pour plusieurs raisons. D'une part, parce que les CDS polyvalents pluriprofessionnels ont une gamme d'activités qui ne sont pas toutes rétribuées par la rémunération à l'acte ; d'autre part, parce qu'ils sont généralement implantés dans des quartiers marqués par des inégalités sociales en général et des inégalités sociales de santé en particulier. Et c'est une population plus fortement exposée aux effets de ces inégalités sur la santé qui fréquente les centres. Donc le fait d'employer différents professionnels, et pas uniquement des professionnels de santé, mais aussi d'avoir une patientèle qui a besoin parfois de plus de temps d'échange ou de soins qui dépassent la stricte consultation médicale, implique de trouver un modèle organisationnel et financier adapté à la prise en charge de ces besoins... mais cette mission de soin au sens large n'a pas trouvé sa traduction dans un modèle économique pérenne qui permette aux CDS de poursuivre leur vocation : celle d'assurer un égal accès aux soins et à des soins de qualité. D'où le fait que des centres ferment... Mais la fermeture peut aussi être liée, on l'a vu ces dernières années, à la couleur politique des municipalités qui les subventionnent.

 

Ces structures sont-elles sous la pression du chiffre ?

Je pense qu'elles sont à la croisée des chemins, comme l'est actuellement le système de santé, non seulement à l'hôpital mais aussi en médecine de ville et plus largement en soins primaires. À la croisée des chemins entre, d'une part, la pression du chiffre quand la tarification à l'acte reste prédominante et va souvent de pair avec un impératif de rentabilité ; et, d'autre part, des expérimentations d'alternatives à la rémunération à l'acte comme celles de Peps ou de Secpa, qui fonctionnent sur le principe de dotations. Et on voit l'effet que cela produit sur le fonctionnement de ces structures, notamment la possibilité d'avoir un financement plus homogène de leurs pratiques. Pendant l'expérimentation, la pression du chiffre est desserrée, mais la question de la pérennisation de ces rémunérations et modes de financement ou alternatifs et de leur passage dans le droit commun se pose pleinement...

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Faudrait-il un plus grand contrôle de leur gestion financière ?

Il y a déjà une logique de contrôle très étroit sur le fonctionnement des centres. Ce contrôle s'opère via la rémunération à l'acte, et le repérage des actes avec le passage de la carte Vitale ; il s'opère aussi, dans le paiement au forfait, par le fait que ce dernier est calculé sur la patientèle du médecin traitant. Mais comme sociologue, je prends cette notion de contrôle comme un objet d'analyse, car celle-ci s'inscrit dans un débat public très marqué par le stigmate de la fraude accolé aux populations bénéficiaires d'aides sociales, et qui reviendrait à laisser penser que, parce qu'il y a travail auprès de populations vulnérables et parfois sans emploi, il y aurait abus. Ce qui ne correspond pas du tout à la réalité des CDS à but non lucratif : ces derniers sont déficitaires parce qu'ils ont une mission sociale et qu'ils ne trouvent pas de modèle économique adéquat.

Mission sociale et équilibre financier ne sont donc pas compatibles ?

C'est une question complexe. Ils seraient compatibles si un financement sur dotations était pérennisé et si une part plus importante du modèle économique ne reposait plus uniquement sur l'acte. Il faut aussi noter que leur fonctionnement découle d'une pluriprofessionnalité non exclusivement médicale ou paramédicale mais incluant des fonctions d'accueil, de secrétariat médical, de médiation... Ce chaînage de la prise en charge, qui va de l'accueil à la médiation en santé en passant par l'interprétariat, rend ces centres polyvalents absolument indispensables pour garantir un accès aux soins qui ne peut pas s'opérer pleinement sans accès aux droits.

 

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