Plus jeune, Jean-Luc Plavis se destinait à une carrière dans la restauration. Son diplôme d’école hôtelière en poche, il travaille comme cuisinier et pâtissier à Paris et à Londres. Au retour de son service militaire, il doit brutalement renoncer à son projet professionnel car on lui diagnostique une rectocolite hémorragique. Désireux d’un nouveau départ et convaincu que "la maladie sera plus supportable sous le soleil", il s’expatrie dans le Sud de la France, plus précisément à Toulon. Mais la stabilisation est rude : pendant quinze ans, sa faible réceptivité aux traitements le plonge dans des états de fatigue profonds l’empêchant de développer une vie professionnelle et sociale. Malgré des formations en droit, ressources humaines et comptabilité réalisées dans le cadre de sa réorientation, il peine à décrocher des emplois durables. "Durant cette période, j’ai eu plusieurs vies : j’ai été intérimaire en opérations bancaires, opérateur de télémarketing… et même DJ et détective privé !", raconte-t-il en riant.

C’est à la terrasse d’un café toulonnais que le vent tourne, notamment lors d’une rencontre avec le président de l’association À votre écoute (AVE), investie auprès des personnes séropositives, qui est à la recherche d’un employé d’accueil. C’est finalement en tant que responsable administratif et juridique qu’il sera embauché pour régler des affaires litigieuses en cours et reprendre les éléments comptables de la structure. Il s’investit rapidement sur d’autres terrains de l’association, au plus proche des usagers : il crée notamment un restaurant associatif, comme un clin d’œil à ses ambitions passées de cuistot, ainsi qu’un salon de coiffure et un cybercafé. En 2005, en conséquence d’une fistule anale, son pronostic vital est engagé… et, dans le même temps, son père décède à Suresnes. Il est donc contraint de revenir précipitamment en région parisienne. Nouveau contrecoup, car on lui révèle que son diagnostic initial, réalisé quinze ans plus tôt, est erroné : il est en fait atteint de la maladie de Crohn : "Il faut se remettre dans le contexte : c’était trente ans en arrière, et les deux maladies sont très proches. L’erreur de diagnostic est compréhensible." Comme la pièce manquante d’un puzzle, cette information permet de réajuster son traitement, améliorant ainsi son quotidien.


Un intérêt pour le droit des patients

L’état de santé de Jean-Luc Plavis se stabilise peu après son retour à Suresnes, sa ville natale, située en banlieue parisienne, où il reconstruit progressivement sa vie sociale. Fort de son expérience associative chez AVE, il intègre l’Association François-Aupetit (AFA) qui accompagne les personnes atteintes d’une maladie inflammatoire chronique de l’intestin (Mici). Il y crée un service de médiation juridique à la demande du directeur, puis en devient administrateur. De plus en plus sensible au droit des usagers, il rejoint en 2009 le collectif inter-associatif sur la santé (Ciss) Île-de-France, où il sera, entre autres, correspondant d’Alain-Michel Cerretti, alors conseiller santé du médiateur de la République puis du Défenseur des droits. "En 2010, à la demande de Claude Évin, j’ai travaillé avec l’ARS Île-de-France sur la question des droits des malades et la qualité du système de santé, et plus particulièrement sur la médiation en santé, explique Jean-Luc Plavis. Peu après, j’ai cofondé, avec son appui, ReMéDié, le Réseau de médiation pour le développement de la démocratie en santé, afin de promouvoir la médiation et faciliter sa mise en œuvre." 

Ses travaux l’amènent à observer que "les professionnels de la santé, du médico-social, du social ne parlent pas le même langage, ce qui rend la coordination des soins difficile pour les malades". Il décide d’alimenter ses réflexions en la matière auprès de professionnels de santé libéraux et rencontre un pharmacien et un médecin généraliste qui évoquent les difficultés sur leur territoire, du fait notamment de la pénurie médicale. Le trio se découvre une vision partagée sur la place de l’expérience du patient dans le soin, la question de la démocratie en santé et l’éducation thérapeutique. L’idée de la MSP naît là.

Inaugurée à Suresnes début 2016, la MSP des Chênes compte aujourd’hui une dizaine de professionnels et reçoit chaque année 3 000 patients. Conservant son activité professionnelle de coordinateur régional du Ciss (devenu depuis France Assos Santé), Jean-Luc Plavis intègre la gouvernance de la MSP en tant que cofondateur. Il y arbore également deux autres casquettes « bénévoles » : patient-expert et coordinateur des projets de patients. "À ce jour, nous sommes la seule MSP cofondée par un patient-expert qui prend part à sa gouvernance", explique-t-il, avant d’ajouter humblement : "Ce projet a été le fruit d’une suite de rencontres, de circonstances. Et surtout de l’engagement fort du médecin généraliste et du pharmacien qui m’ont soutenu et impliqué dans le projet. »


Patient-expert, une vocation ?

De son activité de patient-expert, Jean-Luc Plavis confie : "La maladie de Crohn n’est pas mon identité, mais je lui dois ma trajectoire de vie." Cette trajectoire, riche d’enseignements, il la met aujourd’hui au profit des personnes en situation de maladies, de troubles psychiques, de traumas ou de handicaps, qu’il accompagne, et de ses différents engagements professionnels et associatifs. Mais son expérience de malade lui permet aussi d’affirmer que "le parcours de soins est avant tout un parcours du combattant". Convaincu que l’amélioration du système de santé passera par un changement des mentalités, il plaide pour le développement de la culture de l’accompagnement, dans une approche globale des individus, dans le soin et autour du soin. L’objectif : favoriser une "alliance thérapeutique" et une "décision partagée". Il insiste aussi sur le rôle du patient-expert : "Le terme peut susciter de la méfiance, explique-t-il. Mais les professionnels prennent conscience que les patients en situation complexe nécessitent un accompagnement de longue durée pour pouvoir se reconstruire, et que l’expertise du patient peut y participer." 

Aujourd’hui, Jean-Luc Plavis suit cinq patients en situation complexe, atteints de maladies chroniques ou psychiques (parmi lesquelles des troubles du comportement alimentaire) qu’il a rencontrés à travers la MSP des Chênes. Il explique que, dans son cas, son parcours personnel lui a permis d’acquérir le savoir expérientiel nécessaire à l’accompagnement de malades. Insistant sur les qualités propres à l’expertise du patient, à savoir la disponibilité, l’écoute et la bienveillance, il soulève également l’importance de rester dans une démarche éthique et non mercantile, ainsi que certains risques : "L’effet-miroir, dû à un manque de recul sur sa propre pathologie, c’est confondre l’accompagnement de l’autre avec une thérapie à faire sur soi-même. Quant à l’empathie manipulatrice, qui n’est pas forcément consciente, elle peut faire tomber l’accompagnant dans une relation de pouvoir sur le patient suivi." Jean-Luc Plavis a fait de sa fragilité une force, de sa maladie un atout. Mais il précise aussi : "J’ai beaucoup appris au contact des professionnels de santé, des élus associatifs, avec leurs qualités et leurs défauts... Et je dois beaucoup aux personnes que j’accompagne, pour qui j’ai un respect profond". Plus qu’une mission pour lui : une raison d’être.

Bio express

1965 : naît à Suresnes

1986 : obtient un BEP cuisine (école hôtelière Jean Drouant - Médéric, Paris)

1988 : un diagnostic de rectocolite hémorragique est établi

2005 : apprend qu’il est en fait atteint de la maladie de Crohn

2007 : crée un service de médiation juridique au sein de l’Association FrançoisAupetit

2009 : devient délégué régional du Ciss Île-de-France

2016 : cofonde la MSP Les Chênes à Suresnes et devient coordinateur de projets patients

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