Article publié dans Concours pluripro, avril 2025
 

La santé est, sans doute, l'un des domaines où l'intelligence artificielle est promise à un grand avenir. Car les systèmes d'IA représentent un levier de transformation inédit du système de santé, comme vient de le souligner le ministère de la Santé dans un récent état des lieux des actions engagées en matière d'IA en santé. La France s'y est résolument engagée. Et c'est déjà une réalité dans bon nombre d'hôpitaux. Preuve qu'au-delà des colloques et manifestations consacrés au sujet, les choses avancent sur le terrain. À fin juin 2024, 140 projets étaient recensés dans les hôpitaux de l'AP-HP, parmi lesquels celui concernant les "patients similaires", développé dans le service de médecine interne de l'hôpital Tenon.

Ce projet, sujet de la thèse de science de Christel Girardin, médecin au service de médecine interne de l'hôpital Tenon, qui a aussi la double casquette d'ingénieure, vise à s'appuyer sur les données de santé de tous les anciens patients du service pour aider les soignants à repérer les maladies rares. "Souvent, quand un patient arrive dans un service, on fait un diagnostic assez rapide de sa maladie et on arrive à le prendre en charge rapidement. Mais parfois, surtout dans un service spécialisé dans les maladies rares, on est confronté à des difficultés de diagnostic... Et même quand on a le bon diagnostic, il est parfois difficile de proposer le bon traitement, d'autant que les patients atteints de maladies rares ne sont pas souvent inclus dans des essais thérapeutiques", souligne le médecin interniste, dont le service a la particularité d'héberger deux centres de référence : l'un sur la drépanocytose, l'autre sur les maladies auto-inflammatoires. Il y a donc, dans certains cas, un vrai enjeu de diagnostic, précise la médecin : s'agit-il d'une maladie auto-inflammatoire, auto-immune ? quelle est sa maladie, d'autant qu'il y a beaucoup de zones frontières dans les maladies auto-immunes ? D'où l'idée d'aller rechercher les patients déjà traités qui présentent des symptômes similaires à celui qui doit être pris en charge. Et pour y parvenir, Christel Girardin a eu l'idée de fouiller dans le riche entrepôt des données de santé de l'AP-HP, créé en 2017 et qui contient des informations de quelque 12 à 13 millions de patients**. Une base unique à l'échelle mondiale.

 

Encore un prototype

L'algorithme d'IA qu'elle a conçu consiste à aller lire automatiquement les comptes-rendus textuels des patients, d'extraire les données concernant les symptômes et les résultats d'examens, et de les classer par organes atteints. Objectif : permettre au clinicien de rechercher les patients similaires à celui traité. Au-delà des bases de données médico-administratives du programme de médicalisation des systèmes d'information (PMSI), les textes des comptes-rendus médicaux sont d'une grande richesse, se félicite la médecin-ingénieure, qui souligne le gain de temps pour le médecin, qui peut ainsi affiner son diagnostic. Ce qui permet aussi d'éviter des errances diagnostiques.

L'algorithme est actuellement au stade de prototype. Il doit être finalisé avant d'être présenté à deux équipes de cliniciens qui font partie du projet : celui de médecine interne de l'hôpital Tenon et celui de l'hôpital Bichat. Les médecins le testeront avant une phase d'essai clinique visant à évaluer son impact sur la décision thérapeutique, à échéance de deux ans. Pour l'heure, Christel Girardin avance à pas mesurés, car "il faut valider chaque étape correctement et être vigilant sur les performances de l'IA". En attendant – pourquoi pas – de s'en servir un jour également en médecine de ville... à condition d'utiliser les données non hospitalières en partenariat avec les médecins de ville.

 

** Un service dédié récupère les données à partir des dossiers patients informatisés, les traite, les "pseudonymise" avant de les intégrer dans l'entrepôt.

RETOUR HAUT DE PAGE