Article publié dans Concours pluripro, mai 2025
 

CAS DE DEPART : Depuis sa séparation il y a une dizaine d'années, M. B., 68 ans, vit avec son chien dans l'ancienne maison de ses parents. Une maison isolée, très encombrée et non entretenue : la douche et les toilettes ne sont pas accessibles, les fenêtres sont brisées, une partie du plafond de la pièce de vie est endommagée et menace de s'effondrer. M. B. a deux enfants. Il n'a plus de contact avec son fils mais retisse le lien avec sa fille depuis peu. Son frère, qui possède une partie de la maison familiale, vit à proximité, mais le lien est rompu avec lui. M. B. présente depuis six ans une pathologie présentant un risque vital en cas de dégradation. Une opération est possible, mais il l'a toujours refusée.

La situation est suivie, mais rien n'est fait sur le plan de l'incurie, car il est dans un refus total. Dernièrement, il a été hospitalisé car son état de santé s'est fortement dégradé. Ce séjour a mis en évidence un cancer à un stade avancé, pour laquelle il s'est opposé à tout soin curatif. Mais il a bénéficié de soins invasifs qui nécessitent un suivi à domicile à sa sortie d'hospitalisation. Une date de sortie rapide est fixée et le dispositif d'appui à la coordination (DAC) est interpellé.

Étymologiquement, l'incurie signifie l'absence de souci de soi ou d'autrui, pour laquelle on observe un laisser-aller général et un abandon total des conventions sociales ainsi qu'une négligence extrême de soi. Nicolas Meryglod, psychiatre à Oullins (Auvergne-Rhône-Alpes) et auteur d'une thèse portant sur "L'incurie dans l'habitat", décrit l'incurie comme "le fait pour une personne donnée d'apporter trop peu de soins à ce qui la concerne. Elle est à rapprocher d'un certain abandon de soi, de soin porté à soi. Elle peut concerner l'état de la personne elle-même, mais aussi son environnement, et en particulier son habitat".

Dans un logement, l'incurie peut se traduire par une grande accumulation d'objets de diverses sortes (la syllogomanie) et un encombrement du logement qui témoigne d'une insalubrité morbide. La présence d'animaux peut également entrer en compte, ainsi qu'un très grand manque d'hygiène corporelle et un isolement social.

     

Évaluation globale

Les situations d'incurie sont souvent des situations complexes qui durent depuis plusieurs années. L'accumulation répond à un besoin et semble souvent sécurisante pour les personnes concernées. Lancer des actions à leur place et décider ce qui est bien pour elles peut être davantage délétère que bénéfique. Et, avant tout autre chose, il est important de prendre le temps d'évaluer la situation de manière globale. Par exemple, existe-t-il des risques ou des périls imminents qui vont devoir faire accélérer le processus de prise en charge de l'incurie ?

Dans certaines situations complètement bloquées, la mesure coercitive sera une étape obligée. Mais il est recommandé d'y avoir recours avec parcimonie, car la contrainte peut être très dommageable pour la personne. Et parfois, en fonction de la situation, l'incurie ne sera pas toujours la priorité. Il est donc important de chercher des leviers, en partant des besoins et des souhaits exprimés par la personne elle-même. Ces leviers peuvent être du côté de la santé, social ou autres. Ils sont souvent en lien avec l'événement intercurrent dans la situation.

Par ailleurs, les individus en situation d'incurie ont souvent une estime d'eux-mêmes très dégradée. Le logement, qui peut nous sembler comme l'élément prioritaire à traiter, n'est en fait que la projection de cette estime perdue. Prendre en compte leurs besoins, leurs souhaits et les remettre au centre de la prise en charge est alors impératif.

En somme, l'évaluation globale de la situation va nous permettre de faire alliance avec la personne et donc de trouver l'approche la plus appropriée pour traiter l'incurie.

 

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