Ce matin du 5 décembre, le quartier de la Salpêtrière (Paris 13e) est encore désert. Les rues sont calmes, le ciel est gris et le temps glacial, et le thermomètre n’affiche pas plus de 3°C. Pourtant, rue de Campo-Formio, une chaleur réconfortante semble émaner d’un bâtiment. Sur la porte de l’immeuble : le sigle "AA", pour "Alcooliques anonymes". Et une fois à l'intérieur, plus de doute : une douce ambiance chaleureuse et accueillante des membres de l'association réchauffe instantanément. "Bienvenue !, lance Jean-Claude Delgènes, administrateur non-alcoolique de l'association, sourire aux lèvres. Voici le siège des Alcooliques anonymes." Depuis le lancement de l'antenne française de l'association en 1960, plus de 550 groupes de parole ont émergé un peu partout sur le territoire.
Bien que l’alcoolisme soit reconnu comme une maladie par l’OMS depuis 1978, les chiffres en France restent difficiles à établir : en 2020, 23.7% de la population de 18 à 75 ans dépassaient les repères de consommation d'alcool, assure Santé publique France. "Pour rentrer dans la dépendance, il faut un terrain, un produit et un évènement", explique Gilles Champiot-Bayard, infirmier retraité. C'est au cours de son parcours professionnel qu'il s’est spécialisé en addictologie. "Après des périodes dans des services de psychiatrie dans différents hôpitaux, je me suis finalement dirigé vers l’addicto’... Et je me suis vite aperçu que l'alcool avait une place particulière pour beaucoup de Français." Comme Jean-Claude Delgènes, Gilles Champiot-Bayard est un administrateur de l'association, "un administrateur de Classe A, c'est-à-dire 'non alcooliques'", précisent-ils.
"L'alcool, c'est un usurier, il vous rend un service... qu'il vous le fait payer très cher", raconte Christophe R.*. Sobre depuis vingt ans, le chemin n'a pas été facile pour cet administrateur de classe B, donc alcoolique. "C'est une maladie et on est malade toute sa vie. J'ai commencé à boire pour garder mes émotions en moi, ça m'aidait à me sentir mieux. Un jour, j'en suis arrivé au point où ma femme allait partir et j'allais perdre mon travail." Pour François D.*, l'alcool "rendait le service"inverse : "Ça m'aidait à être joyeux, agréable, drôle. 'L'alcool social' comme on entend souvent, mais c'est un piège. J'ai bien failli tout perdre." Pour s'en sortir, tous les deux ont franchi la porte des Alcooliques anonymes. "Quand j'ai rencontré les AA, reprend Christophe, ça m'a permis de m'ouvrir et de ne pas rester centrer sur mon nombril". Car rappelons-le, l'alcoolisme est une maladie qui touche aussi les proches.
"Le groupe c'est important, explique Catherine Solano, présidente de l'association, médecin et sexologue. Ça apporte un soutien moral. C'est prioritaire que les professionnels de santé nous identifient pour orienter les patients concernés". Une idée que partage Gilles Champiot-Bayard : "Si après une prise en charge médicale ou une désintoxication, les patients ne font rien, ils rechutent de façon phénoménale. Parler, c'est la clé !"
Alors, pour sensibiliser les plus réticents à franchir le pas de "l'entraide et du soutien", les Alcooliques anonymes lancent une campagne nationale de sensibilisation. À l'occasion du Dry January, chaque jour de janvier, une vidéo d’une minute sera diffusée sur les réseaux sociaux et le site officiel, pour "donner la parole à une personne abstinente, heureuse, libérée de l’alcool" raconte Catherine Solano. Ces témoignages authentiques "et faits avec les moyens d'une association 100% indépendante, rappellent une vérité : personne ne sort seul de l’alcoolisme". Un avis que partage Jacques*, dont la vidéo sera publiée au moins de janvier : "Les Alcooliques anonymes m'ont tendu la main, m'ont accueilli et grâce à eux, je suis encore vivant."
*Les intervenants ont requis l’anonymat