[* Mise à jour, 14 novembre, 17h : le projet de loi a été adopté cet après-midi]

 

"Cette décision, je la vis comme une catastrophe." Mady Denantes est inquiète et elle avoue ne pas bien comprendre les raisons derrière la suppression au Sénat de l’aide médicale d’État (AME) et de sa transformation en aide médicale d’urgence (AMU). "C’est tout simplement absurde", glisse-t-elle. D’où le courrier qu’elle a adressé, avec 6 autres médecins généralistes adhérents des CPTS 14, 18 et 20, à plusieurs collègues hier, où elle exhorte quatre sénateurs qu’ils ont "ciblés" – notamment Gérard Larcher, Hervé Marseille, François Patriat et Claude Malhuret – de modifier leur vote ce 14 novembre, lors du vote solennel au Sénat du projet de loi immigration : "C’est pas possible qu’ils fassent pas, c’est juste pas possible…"

Installée depuis 1991 dans le quartier de Pyrénées-Belleville (Paris XXe), d’abord en cabinet de groupe puis à la maison de santé – qui a déménagé il y a tout juste un mois –, la médecin généraliste décrit sa structure comme "une maison de quartier" : "On fait des visites à domicile pour les patients très âgés qui ne peuvent pas se déplacer, on assure des soins non programmés – 40 créneaux libérés chaque jour – et on essaie d’avoir un fonctionnement cohérent pour le quartier. Cohérent en termes de santé publique, parce qu’il s’agit non seulement d’avoir une action sur nos patients en consultation mais aussi de tenter d’améliorer la santé de la population." Et elle se réjouit : "On est très enthousiastes parce qu’on a l’impression de faire du bon travail…"

Mais, lance-t-elle indignée, "aujourd’hui, on nous dit qu’il y a des gens qu’on ne pourra plus recevoir en consultation. Déjà, en tant que médecin, on a fait le serment d’Hippocrate et on continuera, de toute manière, de les recevoir… Mais si on supprime l’AME, on va compliquer notre travail qui est passionnant mais qui est déjà bien compliqué ! C’est pour ça qu’on a choisi de signer l’appel à désobéissance médicale".
 

"L’AMU, c’est pour l’hôpital, un point c’est tout"

Sur une journée, la médecin généraliste reçoit 2 à 3 patients sans-papiers sur la vingtaine qu’elle voit en consultation. Donc là, résume-t-elle, "les gens vont venir nous voir, on va les recevoir mais on n’aura pas accès aux médicaments, aux biologies… Où va-t-on les envoyer pour avoir accès aux soins nécessaires ? Les Pass et les urgences ? Donc on va submerger un système qui est déjà en difficulté alors même qu’on s’engage à les soulager en proposant des soins non programmés ? » Déjà, à la maison de santé, les patients sont orientés vers les médiateurs qui vont les aider à obtenir l’AME "mais en attendant, on les soigne !", assure la médecin.

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Ainsi, la transformation du dispositif en aide médicale d’urgence n’aurait pour effet que de surcharger les urgences et les permanences d’accès aux soins de santé (Pass), déjà débordés, insiste-t-elle. Débordés parce que c’est "difficile d’avoir l’AME même si les gens y sont éligibles", parce que certains patients ne parviennent à justifier des trois mois de présence en France… "L’AMU, c’est pour l’hôpital, un point c’est tout. Clairement, on enlève l’accès aux soins primaires. On supprime notre possibilité de prendre en charge le patient qui vit là, autour de nous, qui a l’habitude de venir à la maison de santé… Et on nous dit : vous pouvez le recevoir mais vous ne pouvez plus le soigner."

Rappelant que 49% des sans-papiers éligibles à ce dispositif n’y ont pas recours (chiffres de l’Irdes, 2019), la généraliste estime que l’AMU ne fera qu’augmenter le "bénévolat" des médecins et "le taux de consultations non payées" : "Continuer à soigner gratuitement ces patients, ce n’est pas de la désobéissance médicale finalement, mais de l’obéissance au serment d’Hippocrate."
 

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