Article publié dans Concours pluripro, mars 2024

La CPTS Grand Valenciennes a participé à la phase pilote du lancement des bilans de prévention dans les Hauts-de-France entre octobre et décembre derniers. Comment ça s’est passé ?
D’abord, il y a eu un appel à volontaires du directeur général de l’ARS Hauts-de-France. Bien évidemment, depuis la création de notre CPTS, nous sommes convaincus de l’intérêt de l’interpro, que ce soit pour les parcours de soins ou la prévention. Devenir une équipe pilote sur ce projet est tombé, pour nous, sous le sens, d’autant que nous exerçons dans un secteur particulier : schématiquement, nous avons 30 % de pathologies chroniques de plus que la moyenne nationale pour 30 % de médecins de moins, et l’espérance de vie est inférieure de trois à six ans par rapport au reste de la France métropolitaine…

On vous a demandé de commencer la phase pilote avec les 45-50 ans. Pourquoi cette tranche d’âge ?
Avec notre connaissance du territoire, nous savions que pour cette tranche d’âge, nous allions avoir deux types de populations différents. La première est composée de patients qui travaillent, qui sont souvent peu disponibles et qui recourent rarement au système de santé sauf pour leurs descendants ou pour accompagner leurs ascendants. La seconde est également éloignée des soins mais plutôt pour des raisons de précarité économique et sociale.

Comment avez-vous recruté les patients ?
Le but de la phase pilote n’était pas nécessairement de voir le plus grand nombre de patients possible mais plutôt d’éprouver les outils mis à disposition et les grandes lignes du projet (pertinence de l’autoquestionnaire, durée de l’entretien, thèmes abordés…). Pour ma part, j’ai recruté dans ma patientèle et nous nous sommes mis en lien avec les centres communaux d’action sociale (CCAS) de quelques villes aux alentours qui font partie des plus pauvres du département. Les élus locaux se sont montrés très motivés par le projet. Il y avait une quarantaine de patients éligibles, mais, malheureusement, les CCAS  malgré leur énorme travail, n’ont réussi à récupérer que cinq autoquestionnaires et, au bout du compte, seulement deux patientes se sont présentées au  rendez-vous. Or ce qu’elles ont exprimé à cette occasion, c’était plutôt leur détresse sociale, par exemple le fait de ne pouvoir manger qu’une fois par jour. Les autres patients, sur la presque quarantaine que nous avons vus dans cette phase pilote, étaient surtout des femmes et plutôt CSP+.

Les rendez-vous duraient entre trente et quarante-cinq minutes. À mon étonnement, alors qu’il s’agissait essentiellement de personnes de ma patientèle, nous sommes restés une heure et j’ai appris plein de choses ! Ce sont des patients qui, d’habitude, ne sont pas là pour eux et qui ont cependant besoin d’exprimer plein de choses. On se livre davantage que quand on ne vient pas pour un problème précis. Et avec ceux qu’on ne connaît pas, un lien peut se créer à ce moment-là. Je ne suis pas un doux rêveur, mais je crois que prendre le temps de parler avec les gens, c’est la base de notre métier, et ça nous fait du bien en tant que soignant !

Est-ce que l’autoquestionnaire rempli en amont du rendez-vous est utile ?
Oui, parce qu’il permet d’orienter l’entretien sur certains thèmes car, même en une heure, on n’aurait pas le temps d’aborder dix sujets. Cela n’aurait d’ailleurs pas d’intérêt. Pour les 45-50 ans, le fil rouge, c’est le risque cardiovasculaire et la prévention des cancers. Mais nous nous sommes rendu compte qu’il est également pertinent d’aborder l’alimentation ainsi que de l’épuisement professionnel et la charge mentale, en particulier chez les femmes actives. Nous avons ainsi demandé d’optimiser certaines thématiques et voudrions surtout une clause de revoyure avec le patient. La prévention est déjà assez à la marge dans notre système de santé et si le bilan reste du one-shot, c’est comme jeter une pierre dans l’eau.

L’absence d’examen clinique et de bilan biologique est-il une limite à l’exercice ?
Non, parce que l’idée, c’est de mettre en place un plan de prévention personnalisé à la suite du bilan. S’il y a, par ailleurs, des choses à investiguer, le patient sera réorienté vers son médecin traitant ou un généraliste qui pourra le prendre en charge. Ce n’est pas du tout la même idée, par exemple, que les bilans de santé de la Sécu où elle cible les personnes à partir d’un certain âge qui n’ont pas consulté depuis longtemps pour faire un bilan purement sanitaire. Ces entretiens, au contraire, visent à augmenter la connaissance et la responsabilisation du patient par rapport à sa santé. La population a besoin qu’un professionnel de santé lui donne des clés pour comprendre sa santé et surtout, encore une fois, qu’on ait du temps pour le faire. À mon avis, le fait que nos consultations de médecine générale soient aujourd’hui de plus en plus courtes, car nous sommes de moins en moins nombreux, est aussi une des causes d’échappement des patients du système de soins.

La faiblesse de la rémunération prévue risque de représenter un frein…
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