Pr Maria Gonzalez : "Les échanges entre médecins du travail et médecins traitants sont essentiels"

Article publié dans Concours pluripro, mai 2022

La santé au travail est-elle pluripro ?

Oui, c’est même nécessaire pour appréhender la complexité des risques professionnels. Les services de prévention et santé au travail, notamment interentreprises, disposent d’équipes pluridisciplinaires animées et coordonnées par les médecins du travail. Elles sont composées d’infirmières en santé au travail, d’ergonomes, de psychologues, de techniciens en métrologie ou d’ingénieurs en prévention des risques… Les médecins avaient l’habitude de travailler seuls ou en binôme avec des assistantes ou des infirmières. L’élargissement à d’autres professionnels a été un enrichissement mais a aussi été complexe à mettre en oeuvre du fait de cultures et de formations très diverses. Il a fallu apprendre à travailler ensemble, avec des compétences différentes mais complémentaires, dans le respect du rôle de chacun. L’expérience montre que cela prend du temps, nécessite de modifier nos pratiques, d’intégrer des temps d’échanges de manière régulière, de disposer de ressources et d’espaces suffisants.

Au-delà des équipes, existe-t-il une articulation entre le médecin traitant et le médecin du travail ?

Tout à fait, et d’ailleurs les échanges entre médecin traitant et médecin du travail sont essentiels dans le cas de patients ayant des maladies chroniques tant que le maintien au travail est possible et souhaité par l’intéressé. Une visite de préreprise alors que le patient est encore en arrêt de travail peut être sollicitée par le médecin traitant et permet au médecin du travail d’anticiper les aménagements et d’éviter l’exclusion du monde du travail par l’inaptitude. Des dispositifs permettent de préparer le retour au travail tel que l’essai encadré ou la convention de rééducation professionnelle (CRPE), mais cela nécessite du temps de préparation et de négociation. Le maintien en emploi est possible avec les aides notamment techniques ou organisationnelles qui peuvent être prescrites par le médecin du travail.

Pour cela, il doit être régulièrement en contact avec le médecin traitant afin de permettre une bonne adéquation entre, d’une part, l’évolution de la maladie, son pronostic, les éventuels effets indésirables des traitements, l’impact sur la capacité de travail et, d’autre part, les exigences du poste de travail et les contraintes de l’entreprise.

Au congrès de Strasbourg, plusieurs conférences seront dédiées à la santé des soignants. Comment se portent-ils en cette période post-Covid ?

L’épidémie est toujours présente, associée à une forte activité en lien avec les patients dits non-Covid. La charge de travail est même encore plus forte du fait de la pénurie en personnel et des absences de professionnels contaminés. Les soignants et médecins, ainsi que les étudiants et cadres de santé, sont usés, fatigués, aussi bien psychiquement que physiquement, mais aussi démotivés. La crise a accentué les difficultés déjà présentes. Le manque de personnel s’est aggravé avec le départ de nombreux soignants et étudiants qui ont choisi une autre voie. Les aider, c’est d’abord les considérer, reconnaître leur travail, respecter leur temps de repos et l’équilibre avec leur vie personnelle, leur permettre d’exercer leur métier dans de bonnes conditions aussi bien pour eux que pour leurs patients. Les services de santé au travail accompagnent ces professionnels, les écoutent, essaient d’agir auprès des directions pour alerter, conseiller sur la prévention des facteurs de risque psychosociaux, afin de mieux anticiper, accompagner les restructurations et les évolutions dans le secteur de la santé.