*Article rédigé par Anne Mosnier, Isabelle Daviaud et Jean-Marie Cohen (Open Rome), Béatrice Clairaz et Thierry Barthelmé (SFSPO), Didier Duhot, Rachel Collignon-Portes et Philippe Boisnault (SFMG)
 

En avril 2020, en pleine première vague de Covid-19, les professionnels de santé de premier recours étaient aux avant-postes de la crise sanitaire, mais les autorités sanitaires ne disposaient pas de relais d’informations structurés leur permettant d’avoir une vision agrégée et actualisée des retours d’expérience des soignants extrahospitaliers. C’est de ce constat qu’est né le projet Covigie, porté et animé par des organisations de soignants de premier recours*, avec l’appui du cabinet de conseil en santé OpusLine. Objectif : permettre à ces professionnels de santé de communiquer aussi bien entre eux que vers les autorités, notamment à travers une plateforme pour partager leur expérience et les signaux, même les plus faibles, qui traduisent la réalité du vécu sur le terrain et peuvent aider à la décision.

Capable également de mener des enquêtes "express" auprès d’un large panel de soignants, Covigie a voulu interroger les professionnels de santé de premier recours autorisés à vacciner contre la grippe, dans le contexte de la concomitance des campagnes de vaccination antigrippale saisonnière 2021-2022 et de rappels contre le Covid-19 : une enquête visant à explorer leur expérience et leur perception de ces deux campagnes de vaccination et des particularités de la campagne de vaccination antigrippale.
 

49 % de médecins généralistes, 41 % de pharmaciens

Diffusé via la plateforme Covigie, du 21 janvier au 7 mars 2022, ainsi que par envoi de mails (avec relances régulières), le questionnaire comportait 23 questions dont : profil du répondant ; position du professionnel quant à sa propre vaccination contre le Covid-19 et la grippe saisonnière, à la campagne de vaccination contre la grippe saisonnière, aux modifications proposées par les autorités de santé et aux autres particularités de cette campagne ; perception des patients/de la population quant à la vaccination contre la grippe ; concomitance de la vaccination contre la grippe et le Covid-19. Toute participation s’est faite de façon anonyme.

La grande majorité des répondants sont médecins généralistes (49%) et pharmaciens (41%). Ces principaux résultats portent donc uniquement sur ces deux professions :

87% vaccinés contre la grippe

Près de 9 médecins généralistes et pharmaciens sur 10 se disent vaccinés contre la grippe pour la saison 2021/2022. Un chiffre très satisfaisant et en accord avec les objectifs de santé publique [75% de couverture vaccinale, NDLR]… et comparable à celui d’une précédente enquête Covigie en février 2021 qui affichait un taux de couverture vaccinale des professionnels de 81% (voir ci-dessous) : 88% chez les généralistes (contre 91% en 2021), et 86% chez les pharmaciens (85% en 2021). Il faut peut-être noter, dans Covigie, un possible biais de sélection de répondants particulièrement en faveur de la vaccination.



Comparaison au taux relevé en février 2021 et à l’objectif fixé par l’OMS.

Par ailleurs, en mars 2022, 97% des répondants déclarent être vaccinés contre le Covid-19 (schéma complet + rappel) : 97% des MG et 98% des pharmaciens. Ceux qui ne sont pas vaccinés contre le Covid-19 ne le sont en général pas non plus contre la grippe (9/11 et 3/5).

Plus de 95% impliqués dans les deux campagnes de vaccination

En pratique, 95% des MG et 98% des pharmaciens ont vacciné contre la grippe cet hiver. Et 83% des MG et 95% des pharmaciens ont édité au moins un bon de prise en charge du vaccin antigrippal pour les personnes ciblées par les recommandations du calendrier vaccinal ; une possibilité aujourd’hui bien intégrée dans leur pratique puisque 40% des MG et 57% des pharmaciens éditent un bon au moins une fois par semaine.

Ils sont également très mobilisés face au Covid-19 : 94% des MG et 96% des pharmaciens vaccinent ou ont vacciné. Si 83% des pharmaciens vaccinent dans leur officine, les généralistes le font à leur cabinet (51%), en centre de vaccination (24%) et à domicile (23%).

Pour autant, en février 2022, plus de la moitié (58% des MG et 53% des pharmaciens) pensaient avoir vacciné contre la grippe moins de personnes durant la campagne 2021/2022 que lors de la campagne précédente. Comment l’expliquent-ils ? Moins de demande, estiment 79% des MG et 85% des pharmaciens, et davantage de refus des patients (13% des MG et 12% des pharmaciens).
 



 

La pandémie semble avoir eu un effet limité sur le comportement des patients vis-à-vis de la vaccination contre la grippe : allant d’un effet plutôt favorable (selon 41% des MG et 45% des pharmaciens), plutôt défavorable (selon 23% des MG et 27% des pharmaciens) et sans effet pour près d’un patient sur trois.
 


 

Des patients plutôt favorables à la co-administration des deux vaccins

La possibilité de co-administration des vaccins grippe/Covid-19 était proposée l'automne/hiver dernier. Une option plutôt bien acceptée par les patients : pour plus de 6 professionnels sur 10 (64%), les patients acceptent – d’emblée (23%) ou après un peu de réticence (41%) – d’être vaccinés contre la grippe et le Covid-19 lors de la même visite. Plus d’un tiers (36%) indiquent toutefois que leurs patients ont refusé cette vaccination concomitante.
 


 

Enfin, seulement 9% des MG et 16% des pharmaciens pensent que la vaccination concomitante grippe/Covid-19 a eu un impact négatif sur la couverture vaccinale grippe.
 

65% font confiance aux autorités de santé

La grande majorité des professionnels de santé de premier recours interrogés (78% des MG et 77% des pharmaciens) disent avoir confiance dans les informations scientifiques transmises par les autorités. Une information toutefois jugée encore insuffisante pour 34% des MG et 28% des pharmaciens.

L’élargissement de la liste des personnes ciblées par les recommandations du calendrier vaccinal est également ignoré par plus de 1 MG sur 4 et 1 pharmacien sur 10. Ainsi, 22,7% des MG ignorent l’ouverture de la pratique de l’injection vaccinale antigrippale aux préparateurs contre 0,9% des pharmaciens. De plus, 12,4% des MG ne sont pas au courant de la date du lancement de la campagne de vaccination contre la grippe et de la période de priorisation contre 2,8% des pharmaciens.
 


 

Concernant l’organisation de ces campagnes, une marge d’amélioration est également possible puisque seulement 60% des répondants se disent plutôt satisfaits et 65% déclarent avoir confiance dans les autorités.
 

Dans le cadre des deux campagnes de vaccination grippe/Covid-19, vous diriez que :

 

 

Ouverture de l’injection vaccinale antigrippale aux préparateurs : 90% des pharmaciens disent oui 

Plus de trois-quarts des professionnels de santé de premier recours vaccinateurs accueillent plutôt positivement l’ouverture de la vaccination de tous les adultes aux infirmières et aux pharmaciens (78% des MG et 97% des pharmaciens), l’augmentation du nombre de doses de vaccins disponibles à l’officine en amont (78% des MG et 87% des pharmaciens) et l’élargissement de la liste des personnes ciblées par les recommandations (71% des MG et 86% des pharmaciens).

En revanche, certains points semblent moins bien perçus tantôt par les MG tantôt par les pharmaciens. Ainsi, l’ouverture de la pratique de l’injection vaccinale antigrippale aux préparateurs (dans le contexte de la crise sanitaire) n’est bien perçue que par 49% des MG versus 90% des pharmaciens. "Les actes des préparateurs sont sous la responsabilité du pharmacien, c’est compliqué pour une vaccination", "La formation est hétérogène", disent ainsi les répondants.

Seulement la moitié des pharmaciens (56%) versus 87% des MG adhérent au principe d’une période initiale de priorisation du vaccin antigrippal aux personnes ciblées. "S’il y a suffisamment de doses, il n’y a pas besoin de prioriser et plus vite tout le monde est vacciné, plus vite la population sera protégée", "On a un stock trop important dans notre frigo", "Il ne faut pas mettre des freins aux patients qui désirent se faire vacciner", estiment les professionnels.
 

Les gens se mettent à choisir leur vaccin, comme pour le Covid !

Enfin, alors que 97% des pharmaciens sont bien évidemment plutôt satisfaits de l’ouverture aux infirmières et pharmaciens de la vaccination contre la grippe de tous les adultes, 13% des MG ne sont pas en faveur de ce changement : "Ce n’est pas leur métier. Cela relève d’un intérêt financier uniquement. On assiste au dévoiement des compétences." Alors que d’autres pensent qu’il est "très difficile de savoir qui est vacciné", que "cela ne sert à rien pour améliorer la couverture" et qu’il y a "une dilution des responsabilités et une perte d’informations".

Moins de 30% des professionnels ont utilisé le vaccin grippal haute dose

Mis sur le marché pour la première année pour l’hiver 2021-2022, ce vaccin, destiné spécifiquement  aux personnes âgées de 65 ans et plus, a été modestement utilisé : 81% des MG et 66% des pharmaciens ne l’ont pas utilisé durant cette campagne, principalement par méconnaissance de la place à lui donner : les patients ne sont pas venus avec (67%), les MG n’avaient pas connaissance de ce vaccin (36%), les pharmaciens n’en avaient pas commandé (72%) ou encore, pas de prescription/recommandation par les MG (67%). "Personne ne connaissait l’Efluelda®", estiment les pharmaciens, tandis que les médecins soulignent l’absence d’information "claire et en amont", la "complexification", la disponibilité d’un seul vaccin sur leur territoire… "Les gens se mettent à choisir leur vaccin, comme pour le Covid !", selon un médecin.

Enfin, 88% des professionnels ayant utilisé ce vaccin déclarent que leurs patients étaient d’accord pour être vaccinés avec ce nouveau vaccin quand il leur était proposé.
 

Covigie : une vision pluripro et pluristructurelle

Cette enquête a permis d’explorer les expériences et les perceptions des professionnels de santé de premier recours vaccinateurs concernant la concomitance des deux campagnes de vaccination grippe et Covid-19 et les modifications et nouveautés proposées pour la campagne de vaccination antigrippale. La diffusion des questionnaires en cascade (membres de Covigie et relais par des organisations professionnelles) donne aux résultats une dimension à la fois pluriprofessionnelle et pluristructurelle.

Si la couverture vaccinale contre la grippe des professionnels de santé répondants respecte l’objectif de santé publique, cette adhésion des MG à leur propre vaccination (88% dans notre étude) est ancienne : déjà en 2012-2013, 72% déclaraient être vaccinés. Une étude plus récente, réalisée auprès de 500 MG des Hauts-de-France, retrouvait un taux de vaccination de 81,2% en 2019-2020. Peu de données historiques sont disponibles concernant la couverture vaccinale des pharmaciens (86% dans notre étude), en particulier avant la mise en place de la vaccination à l’officine. En 2017-2018, une étude chez près de 1 500 pharmaciens de Nouvelle-Aquitaine retrouvait une couverture vaccinale de 78%. Dans notre étude, 97% des professionnels de santé de premier recours sont vaccinés contre le Covid-19 (schéma complet + rappel). En France métropolitaine, ce taux de vaccination pour les libéraux varie selon les départements (entre 76% et 92 %) avec une médiane à 88%.

L’impression des professionnels d’avoir vacciné moins de patients par rapport à la saison précédente est corroborée par les estimations de la couverture vaccinale de Santé publique France publiées dans son bilan préliminaire de l’épidémie de grippe 2021-22 [1er juin 2022, NDLR]. Au 28 février dernier, la couverture vaccinale des personnes à risque ciblées par la vaccination grippe était de 52,6% (56,8% chez les 65 ans et plus) contre 55,8% pour la saison 2020-2021 (59,9% chez les 65 ans et plus). Au-delà de l’extension du nombre de professionnels de santé vaccinateurs et de la campagne de vaccination antigrippale portée par l’Assurance Maladie, une démarche encore plus active de recherche et de motivation des personnes ciblées (voire "d’aller vers" pour certaines personnes) semble encore nécessaire.

Le défaut d’informations que soulignent les professionnels entraîne un accueil variable, parfois mitigé, de certaines modifications comme l’ouverture de la pratique de l’injection vaccinale antigrippale aux préparateurs (49% des MG et 90% des pharmaciens sont pour) ; la période de priorisation du vaccin antigrippal aux personnes ciblées (44% des pharmaciens et 13% des MG sont contre) ; l’ouverture aux infirmières et pharmaciens de la vaccination contre la grippe de tous les adultes (97% des pharmaciens et 87% des MG sont pour).

Il est évident que la connaissance et l’appropriation variables des nouveautés apportées à la campagne de vaccination antigrippale complexifient la coordination entre professionnels et pourraient limiter l’impact sur la couverture vaccinale de l’extension du nombre de vaccinateurs. Citons deux exemples : la démotivation possible des MG non informés de la vaccination de leurs patients par d’autres professionnels (trois ans après la généralisation de la vaccination grippe à l’officine, et malgré l’implication forte des pharmaciens, le taux de vaccination continue de stagner) ou encore, la non-compréhension de la place à donner au nouveau vaccin haute dose réservé aux personnes âgées de 65 ans et plus.

NOTE
*
Société française de médecine générale (SFMG), Société francophone des sciences pharmaceutiques officinales (SFSPO), Fédération des CPTS (FCPTS), Collège de médecine générale (CMG) et Open Rome



Le comité de pilotage Covigie remercie tous les participants, ainsi que Françoise Barat, Tan Taj Bui ainsi que le laboratoire Sanofi pour son soutien financier. La méthodologie et les questionnaires ont été validés et les résultats discutés par un comité scientifique composé de médecins généralistes et de pharmaciens (tous auteurs de cet article).

 

En chiffres

Qui sont les répondants ?

> Près de 1 000 professionnels de santé de premier recours autorisés à vacciner contre la grippe
> Toutes les régions françaises sont représentées
> 61% des répondants sont des femmes
> 50% des répondants ont entre 40 et 60 ans et 31% ont plus de 60 ans
> 49% de médecins généralistes, 41% de pharmaciens, 3% de médecins d’autres spécialités, 2% d’infirmières et 2% de sages-femmes.

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