Entre six et dix ans. C’est la durée moyenne de l’errance médicale pour les patientes atteintes d’endométriose avant la pose du premier diagnostic. Une maladie chronique qui touche environ 10 % des femmes en âge de procréer, indique l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm). Soit potentiellement 2 millions de personnes en France, selon les estimations basses des spécialistes. Comment réduire le délai de prise en charge ? Pourquoi est-ce si long ? Quelles alternatives ? D’Avignon à Lyon, médecins et agences régionales de santé (ARS) tentent de proposer des solutions à travers une approche pluridisciplinaire.
« Nous avons absolument besoin de travailler avec toutes les spécialités médicales possibles », lance Olivier Donnez, gynécologue à Avignon. À la clinique dans laquelle il exerce, il a initié des réunions pluridisciplinaires pour proposer de nouvelles solutions aux patientes. Car si l’endométriose est une maladie inflammatoire chronique, elle se caractérise par des symptômes qui peuvent différer d’une patiente à l’autre – douleurs, règles abondantes, fatigue chronique, problèmes de fertilité… Elle peut aussi être asymptomatique. Pris isolément, ces symptômes peuvent aussi ne pas alerter les soignants. « Tous les professionnels devraient être capables de diagnostiquer l’endométriose. Aujourd’hui, c’est loin d’être le cas », continue le gynécologue.
Des zones d'ombre
Décrite pour la première fois en 1860, l’endométriose se caractérise par la présence de tissu utérin en dehors de la cavité utérine, pouvant engendrer des lésions au niveau des organes touchés. Principalement situées au niveau pelvien, celles-ci peuvent s’étendre à l’appareil urinaire, digestif, parfois même aux poumons, et très rarement au cerveau ou au péricarde. « La principale difficulté, c’est que l’on ignore son origine et comment elle évolue », explique Marina Kvaskoff, épidémiologiste et chercheuse à l’Inserm. De fait, sans approche pluridisciplinaire, les patientes ne parviennent pas à trouver de réponses à leurs questions et à leurs douleurs. « À ce jour, l’endométriose ne se guérit pas, souligne Olivier Donnez. Mais une prise en charge rapide permet d’atténuer les symptômes. »
C’est la raison pour laquelle, au sein de la clinique privée Urbain-V (Avignon), chirurgiens, spécialistes de la douleur chronique et de la prise en charge de l’infertilité, urologues et sages-femmes discutent ensemble, une fois par mois, des dossiers patients. « L’objectif est de coordonner les soins et d’éviter, par exemple, une double opération. Le manque de prise en charge de l’endométriose peut être qualifiée de maltraitance faite aux femmes. Sans parler du fardeau économique pour la société, entre les frais de santé et les arrêts maladie », précise Olivier Donnez.
Opération Endora
À Lyon, François Golfier, gynécologue et président de la commission endométriose du Collège national des gynécologues et obstétriciens français (CNGOF), a rejoint Endora (Endométriose en région Rhône-Alpes), une association loi 1901 qui réunit des spécialistes de la région Auvergne-Rhône-Alpes lors de réunions de concertation pluriprofessionnelles (RCP). « On met autour de la table les experts du privé et du public. Car l’idée est de permettre un bon diagnostic, de trouver un traitement approprié et d’homogénéiser les pratiques, explique-t-il. On va chercher d’abord du côté des antidouleurs, puis des hormones de synthèse, et ne recourir à la chirurgie que si nécessaire. » Ces réunions servent aussi à recueillir, avec leur consentement, les informations des patientes qui alimentent ensuite une base de données (Endora) afin d’analyser les facteurs de risque, le diagnostic, le traitement… Au bout des cinq ans que durera l’étude, les médecins espèrent pouvoir comprendre d’où vient l’endométriose et comment elle se propage, afin d’améliorer la prise en charge.
Prochaine étape dans la région : impliquer médecins généralistes et sages-femmes. Souvent premiers contacts des patientes atteintes d’endométriose, ils restent peu associés aux dispositifs en place. « Nous y travaillons », répond l’ARS Auvergne-Rhône-Alpes, qui a lancé un appel à projets et dégagé un budget pour « sécuriser le financement pour les deux années à venir ». Cette démarche devrait aussi permettre de créer un dispositif régional spécifique (DRS) : « Une fois que nous aurons institutionnalisé la filière, nous allons pouvoir contacter tous les professionnels du premier cercle et voir qui souhaite l’intégrer », précise l’agence. Dès lors, des réunions seront organisées entre praticiens hospitaliers, médecins libéraux, sages-femmes et associations de patientes pour adapter « l’offre de soins aux attentes et aux besoins », poursuit l’ARS.
En parallèle, les services hospitaliers et les médecins spécialistes planchent sur un Mooc à destination des soignants, qui auront ainsi à disposition une fiche-conseil présentant l’offre de soins dans la région et indiquant les signes qui doivent alerter. « Une patiente peut par exemple ressentir des douleurs à l’épaule. Comment diagnostiquer une atteinte pulmonaire ou au niveau du diaphragme si le médecin ignore les différentes ramifications de la maladie ? », questionne François Golfier.
Du régional au national ?
L’Auvergne-Rhône-Alpes fait partie des trois régions pilotes, avec Paca et l’Île-de-France, à se pencher sur la prise en charge de l’endométriose. S’il est sélectionné au niveau national, le projet pourrait être étendu aux autres structures du pays pour alimenter les témoignages et évaluer l’impact de la prise en charge sur la qualité de vie et la fertilité. Quant à la recherche médicale, « de manière générale, il y a peu de moyens en France, la plupart des chercheurs sont aux États-Unis et depuis peu en Australie, qui a lancé un plan national pour soigner l’endométriose* », rapporte Marina Kvaskoff. Aujourd’hui, « on ne connaît toujours pas la cause de l’endométriose », ajoute Yasmine Candau, présidente d’EndoFrance. Pour tenter une nouvelle approche, son association a financé en partie une recherche qui interroge le lien existant entre globules blancs et endométriose. Car trouver l’origine de la maladie pourrait faire espérer un début de traitement.
* Un plan d’action a été lancé, en juillet 2018, autour de trois axes : une meilleure prise en charge des patientes, une recherche médicale financée et une meilleure communication autour de cette maladie chronique.