*  Le groupe de travail Pluritovac est composé de Olivier Rozaire (URPS Pharmaciens Auvergne-Rhône-Alpes), Marie Bauer (URPS Sages-femmes Grand-Est), Hélène Jeannin (Ehpad Mon Repos), Philippe Thébault (Alliance du cœur), Jean-François Thébaut (Fédération Française des diabétiques), Jean-Marie Cohen (Open Rome)

Bien que perçue comme bénigne, la grippe reste une menace grave avec un coût socio-économique élevé. En France, les épidémies grippales représentent chaque année environ 3 à 5 millions de cas graves de grippe, et entre 290.000 et 650.000 décès. Une mortalité qui concerne tout particulièrement les sujets vulnérables. De plus, l’impact économique de la grippe saisonnière est estimé par le ministère de l’Économie entre 0,5% et 1,5% du PIB.

Malgré
l'élargissement des compétences vaccinales aux pharmaciens, aux infirmières et aux sages-femmes, visant à améliorer l'accès à la vaccination (décrets de 2021 et 2023), la couverture vaccinale mesurée lors de la saison 2023-2024 est en baisse avec 47,1 % de personnes à risque vaccinées, 54 % chez les plus de 65 ans et 25,4 % chez les moins de 65 ans à risque, bien en dessous des 75 % recommandés par l’OMS. 


Il est donc urgent de mobiliser l'ensemble des professionnels autour d'un objectif commun : protéger les personnes les plus vulnérables. C'est dans cet esprit que s'inscrit le groupe de travail interdisciplinaire Pluritovac, composé de pharmaciens, de médecins, d'infirmières, de sages-femmes et d'associations de patients. En s’appuyant sur une enquête menée en Europe durant l'hiver 2022-2023 auprès de patients à risque, le groupe formule des recommandations concrètes pour mobiliser collectivement tous les acteurs de la vaccination, en soulignant l’importance du rôle des professionnels de santé dans la diffusion des messages liés à la vaccination. Il s’agit de ne pas rester de simples effecteurs, mais des promoteurs de santé publique au travers de la vaccination.

Au cours de l'hiver 2022-2023, une enquête observationnelle a été menée dans huit pays européens auprès de patients âgés de plus de 18 ans souffrant de maladies chroniques (asthme, BPCO, diabète, hypertension, cancer, maladies cardiovasculaires). Les résultats sont en cours de publication1. Cette étude, réalisée par Elma Research, visait à mesurer la perception et l’attitude des patients à risque envers la vaccination antigrippale. Réalisée du 24 février au 24 mars 2023, elle comportait 22 questions fermées. Les réponses ont été analysées selon le statut vaccinal des participants (vaccinés ou non dans les deux dernières années). À noter que les critères des patients à risque différaient légèrement des recommandations de la HAS en France. Un total de 1.106 patients a participé à l’enquête dans les huit pays, avec 58 % de vaccinés.

Les résultats des répondants français sont rapportés dans cet article.
 

Une opinion majoritairement positive, même chez les personnes non vaccinées

En France, la vaccination est bien acceptée : 75% des personnes interrogées en ont une opinion positive, quel que soit leur statut vaccinal. Concernant la vaccination antigrippale, 67% expriment une opinion favorable. Seuls 12% ont une opinion négative de la vaccination antigrippale, ce chiffre atteignant 25% chez les non-vaccinés.

Par ailleurs, 91% des vaccinés contre la grippe déclarent une expérience positive. Cette bonne acceptation se retrouve dans les huit pays étudiés, avec 61% d’opinions positives et seulement 12% d’opinions négatives.

 

A.  D'une manière générale, quelle est votre opinion sur les vaccinations ? Veuillez l'évaluer sur une échelle de 1 à 5 où 1 = pas du tout positif et 5 = très positif.
B.  D'une manière générale, quelle est votre opinion sur les vaccins contre la grippe ? Veuillez l'évaluer sur une échelle de 1 à 5 où 1 = Pas du tout positif et 5 = Très positif.



 


Pas assez d’informations sur les complications ou les bénéfices

Les principales informations recherchées sur la vaccination antigrippale concernent la protection contre l’infection (32%), l’atténuation des symptômes (27%), la durée de protection (27%) et la réduction des hospitalisations/décès (27%). Les patients vaccinés s’intéressent principalement à la protection contre l’infection (39%) et à la durée de protection (32%). En revanche, 21% des vaccinés et 33% des non-vaccinés n’ont pas recherché d’information.
 

Parmi les informations suivantes, lesquelles avez-vous reçues ou recherchées concernant la vaccination contre la grippe ? Dans l'ensemble, dans quelle mesure ces informations étaient-elles claires/utiles ? Veuillez donner une note sur une échelle de 1 à 5 où 1 = pas du tout clair/utile et 5 = très clair/utile.


 


La majorité des personnes vaccinées se disent satisfaites des informations reçues (92% contre 51% des non-vaccinés), un chiffre supérieur à la moyenne européenne (59%). Toutefois, des questions subsistent, notamment sur les effets indésirables (42%), l’efficacité (36%) et les complications potentielles (32%). Concernant ces dernières, 14% des personnes avouent n’en rien connaître et moins de la moitié se disent bien informés (47%). Les complications les plus connues sont l’aggravation des maladies chroniques (58%), la pneumonie (56%) et la bronchite (46%). Plus de la moitié des personnes (51%) réclament davantage d’informations, dont 49% des non-vaccinés.

En termes de compréhension des bénéfices du vaccin, 39% des personnes interrogées ne connaissent pas bien ses avantages. Si 70% des vaccinés estiment les connaître, seulement 49% des non-vaccinés partagent cet avis. Globalement, 42% des répondants souhaitent plus d’informations. Les bénéfices les plus connus sont la réduction de la sévérité des symptômes et des hospitalisations, bien que les non-vaccinés soulignent moins ces avantages. Toutefois, les deux groupes s’accordent sur la réduction des symptômes (82% des vaccinés contre 84% des non-vaccinés).
 

Quels sont les avantages de la vaccination contre la grippe que vous connaissez ?


 

L’influence des professionnels de santé est majeure dans la motivation

En France, la recommandation du médecin généraliste constitue le principal facteur de motivation à la vaccination antigrippale (63%), une tendance observée également dans les autres pays européens interrogés. D'autres facteurs incluent la prévention des complications liées à une autre maladie (26%) et l'initiative personnelle du patient (22%).

 

Cependant, la principale raison de non-vaccination est l'absence de recommandation du médecin traitant (45%), montrant ainsi l'influence décisive de ce dernier.

La deuxième raison invoquée est la perception de l'inutilité du vaccin (36%), soulignant l'importance de sensibiliser davantage aux bénéfices de la vaccination.
 

A. Principales motivations à la vaccination antigrippale chez les patients vaccinées
Vous avez déjà indiqué que vous aviez été vacciné contre la grippe au cours des deux dernières années. Parmi les affirmations suivantes, laquelle décrit le mieux la manière dont vous vous êtes fait vacciner contre la grippe ?


 

B. Principaux obstacles à la vaccination antigrippale chez les patients non-vaccinés
Vous avez déjà indiqué que vous aviez été vacciné contre la grippe au cours des deux dernières années. Parmi les affirmations suivantes, laquelle décrit le mieux la manière dont vous vous êtes fait vacciner contre la grippe ?


 


Les répondants choisissent majoritairement les professionnels de santé comme source d'information privilégiée et fiable, devant les sites d’information spécialisés et les recommandations gouvernementales. En revanche, les réseaux sociaux sont jugés les moins fiables par les participants à l’enquête.

Les propositions du groupe Pluritovac

L’attitude générale des patients à risque à l'égard de la vaccination reste majoritairement positive, même parmi les non-vaccinés, dont seulement un quart expriment une opinion négative. Toutefois, la faible couverture vaccinale s’explique par plusieurs facteurs. Pour le groupe Pluritovac, cette enquête permet de mieux comprendre les réticences et la campagne vaccinale, en identifiant deux enjeux clés, notamment l’importance de la communication auprès des patients à risque et le rôle crucial du corps médical :

> Une communication active auprès des patients

Une bonne acceptabilité du vaccin ne suffit pas à augmenter la couverture vaccinale. Malgré la communication annuelle sur la campagne antigrippale, seul un tiers des patients rapportent avoir reçu des informations sur les avantages du vaccin, et la majorité souhaite en savoir plus, notamment sur l'efficacité et la durée de la protection. Les effets secondaires préoccupent particulièrement les patients en France, et nous observons un manque de sensibilisation au fardeau de la grippe. Il est essentiel d’informer les patients sur la gravité de la maladie avant de les convaincre de se protéger, notamment les femmes enceintes et les parents.

 

Ce que les patients attendent, c'est une conversation directe avec leur médecin

Les associations de patients de notre groupe de travail insistent sur l'importance d'un accompagnement médical pour mieux comprendre les vaccins et la maladie, ainsi que pour rassurer sur les effets secondaires.

> Remettre tous les professionnels de santé au cœur de la communication

En France, en plus du médecin, tous les autres professionnels de santé jouent aussi un rôle prépondérant. De nombreux non-vaccinés seraient prêts à se faire vacciner si leur professionnel de santé le leur conseillait. Ce que les patients attendent, c'est une conversation directe avec leur médecin, et non pas une nouvelle campagne ou des publications scientifiques. Dans le contexte où l'hésitation vaccinale a été identifiée par l’OMS en 2019 comme l'une des 10 principales menaces pour la santé mondiale, il est essentiel que le corps médical s'engage à rassurer les patients sur les bénéfices et la sécurité des vaccins.
 

Cependant, cette hésitation n’affecte pas seulement les patients, mais aussi les professionnels de santé. Bien qu’ils soient généralement favorables à la vaccination, beaucoup n’ont pas confiance en certaines informations, notamment sur les adjuvants et l’efficacité des vaccins. Une formation approfondie et régulière est nécessaire pour qu’ils se sentent confiants dans leur rôle de conseillers.

> Encourager les patients à considérer la vaccination

Une bonne communication repose sur des outils efficaces. Nous proposons donc des stratégies concrètes, comme des campagnes de formation interprofessionnelle avant la saison vaccinale, qui pourraient réassurer les professionnels de santé et faciliter la diffusion d'informations. Des stratégies comportementales, telles que la technique du "nudge", incitant les patients à réfléchir à leur statut vaccinal lors de consultations, pourraient également être appliquées.

Au Québec, la stratégie PromoVac, basée sur la technique de l’entretien motivationnel a permis une augmentation de 12 à 15% de l’intention des parents de faire vacciner leur enfant, et une diminution du score d’hésitation vaccinale de 40%. La stratégie de cocooning, visant à protéger l’entourage des personnes fragiles, est particulièrement efficace dans le cadre de la vaccination des femmes enceintes. Vacciner ces femmes réduit le risque de grippe grave pour elles et pour leur enfant à naître, les protégeant jusqu’à ce que l'enfant puisse être vacciné.

> Implanter des initiatives locales pluridisciplinaires

Notre groupe de travail suggère de mettre en œuvre des organisations locales pluridisciplinaires, soutenues par les CPTS et les ARS, pour encourager la vaccination à l’échelle territoriale. Les bilans de prévention, testés dans certaines régions, pourraient également devenir un levier pour faire le point sur la vaccination.
 

> Un professionnel de santé convaincu est un professionnel convaincant ! 

Si le professionnel de santé n’est lui-même pas convaincu par la vaccination, il ne peut non seulement pas communiquer efficacement auprès des patients, mais il risque même d’augmenter les inquiétudes du patient, voire de les créer. Cependant, la formation initiale sur la vaccination est souvent insuffisante. Pour que les professionnels de santé puissent bien informer leurs patients, ils doivent avoir accès aux bonnes informations. Pluritovac propose d'intégrer un enseignement transversal sur la vaccination dans les cursus, et de compléter cela par une formation continue. Des modules de formation basés sur des données probantes permettraient aux professionnels de répondre avec confiance aux questions des patients.

> Agir pour mieux prévenir les pandémies futures

La crise de la Covid-19 a mis en lumière l’importance des stratégies de prévention et de protection. Pour se préparer à d’autres pandémies, il est crucial d’améliorer la compréhension des stratégies de gestion de crise parmi la population et les professionnels de santé. Sans action immédiate, les lacunes actuelles pourraient avoir de lourdes conséquences lors de la prochaine pandémie.

 

Tous ensemble, tous mobilisés

La vaccination antigrippale pour les personnes à risque est un enjeu majeur de santé publique, visant à protéger les individus les plus vulnérables contre les complications graves de la grippe. Pour atteindre une couverture vaccinale optimale et assurer une protection efficace à ces groupes, la mobilisation de tous les professionnels de santé est indispensable. Tout le personnel en contact avec des personnes à risque, aides-soignants, infirmières, sages-femmes, médecins, pharmaciens ont un rôle clé à jouer dans la promotion de la vaccination, et leur collaboration est essentielle pour sensibiliser davantage aux bénéfices de la vaccination et encourager une plus grande adhésion.

Il est crucial de souligner que tous ces professionnels, sans exception, doivent être impliqués dans ce processus. La mise en place d’un temps dédié à la vaccination pour chacun de ces groupes professionnels renforcerait leur capacité à informer et à accompagner les patients. Avec 90% de la population française non réticente à la vaccination antigrippale, il est urgent de faire de la vaccination un des piliers de notre système de santé et de nos politiques de prévention.

Une telle mobilisation collective, incluant chaque professionnel de santé, permettrait d’augmenter significativement la couverture vaccinale, de réduire le nombre de cas graves et d’hospitalisations, tout en allégeant la pression sur les systèmes de santé.
 

NOTE
*
"Flu vaccination among patients with noncommunicable diseases : A survey about awareness, usage, and unmet needs in Europe", L. Colombo et S. Hadigal, article en cours de publication

 

Liens d’intérêt des auteurs  :
Tous les auteurs ont bénéficié du soutien institutionnel de Viatris pour l’organisation des réunions du groupe de travail.

- Marie Bauer et Hélène Jeannin déclarent n’avoir aucun autre conflit d’intérêt.
- Jean-François Thébaut rapporte avoir participé à des interventions, des rédactions d’articles ou des expertises non rémunérées pour Amgen, Sanofi-Aventis, Novartis, NovoNordisk, Bayer et Lilly.
- Jean-Marie Cohen rapporte avoir participé à des interventions, des rédactions d’articles ou des expertises, certaines rémunérées, d’autres non rémunérées, pour Moderna, Pfizer, Sanofi-Aventis, Viatris, MSD, GSK, Urops Prévention et Mgéfi.
- Olivier Rozaire rapporte avoir participé à des interventions, des rédactions d’articles ou des expertises, certaines rémunérées, d’autres non rémunérées, pour Moderna, Pfizer, Sanofi-Aventis, Viatris, MSD, GSK
- Philippe Thébault déclare n’avoir aucun autre conflit d’intérêt.
Le laboratoire Viatris a apporté son soutien institutionnel au groupe Pluritovac pour l’organisation des réunions de travail, via l’agence de Medical Education KPL. Viatris n’est pas intervenu dans la réflexion ni la rédaction du manuscrit.
 
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