*Article rédigé par Anne Mosnier, Isabelle Daviaud et Jean-Marie Cohen (Open Rome), Béatrice Clairaz et Thierry Barthelmé (SFSPO), Didier Duhot, Rachel Collignon-Portes et Philippe Boisnault (SFMG)
En avril 2020, au coeur de la première vague de Covid-19, les professionnels de santé de premier recours étaient aux avant-postes de la lutte, mais les autorités sanitaires ne disposaient pas de relais d'information structurés leur permettant d'avoir une vision agrégée et actualisée des retours d'expérience des soignants extrahospitaliers. C'est de ce constat qu'est né le projet Covigie, porté et animé par des organisations de soignants de premier recours, avec l'appui du cabinet de conseil en santé OpusLine. Objectif : permettre, via une plateforme, à ces professionnels de santé de communiquer aussi bien entre eux que vers les autorités, de partager leur expérience et les signaux, même les plus faibles, qui traduisent la réalité du vécu sur le terrain et peuvent aider à la décision.
Capable également de mener des enquêtes "express" auprès d'un large panel de soignants, Covigie a voulu interroger les professionnels de santé, dans le contexte évolutif autour de la vaccination contre la diphtérie, le tétanos, la coqueluche et la poliomyélite (dTcaP) chez l'adulte, notamment de la nouvelle recommandation concernant la vaccination contre la coqueluche pendant la grossesse. Cette enquête vise donc à explorer leur perception des recommandations actuelles et leur pratique concernant la vaccination dTcaP chez l'adulte.
Qui sont les répondants ?
Diffusé via la plateforme du 28 septembre au 24 octobre 2022, ainsi que par l'envoi de mails, le questionnaire comportait 26 questions : profil du répondant, recommandations vaccinales en général, vaccination contre la coqueluche, et évolutions utiles à la pratique de la vaccination de l'adulte. Chaque participation était anonyme.
Plus de 1 400 professionnels de santé de premier recours vaccinateurs, exerçant dans toutes les régions françaises, ont répondu à l'enquête, dont une majorité de médecins généralistes (61 %) et de pharmaciens (32 %). Les cinq principaux résultats présentés ici portent donc uniquement sur ces deux professions, avec un focus sur les sages-femmes (3 %).
Médecins et pharmaciens plutôt bien informés...
À fin octobre 2022, plus de 80 % des médecins généralistes (MG) et des pharmaciens déclarent avoir pris connaissance des nouvelles recommandations du calendrier vaccinal 2022. Les autres invoquent ne pas être informés de sa parution (dont 52 % de MG et 31 % de pharmaciens), manquer de temps (22 % de MG et 35 % de pharmaciens) ou consulter le calendrier vaccinal au cas par cas si nécessaire (26 % de MG et 34 % de pharmaciens).
En cas de questionnement sur les recommandations, les professionnels se réfèrent principalement au calendrier des vaccinations (56 % de MG et 59 % de pharmaciens) et aux sites d'information mesvaccins.net (12 %) et Vaccination Info Service (9 %).
Pour la vaccination contre la diphtérie, le tétanos et la poliomyélite (dTP), les soignants déclarent se sentir "tout à fait" (49 %) ou "plutôt" (44 %) à l'aise avec les recommandations chez l'adulte. Les MG sont plus nombreux à se sentir tout à fait à l'aise (58 % contre 31 % pour les pharmaciens) et seuls 2 % (et 13 % des pharmaciens) ne le sont pas.
... Mais des lacunes
Certaines situations concernant la vaccination dTP peuvent poser problème aux professionnels, notamment l'évaluation du statut vaccinal des patients migrants et des situations de statut vaccinal inconnu, deux cas de figure pour lesquels plus de la moitié des généralistes et des pharmaciens sont peu à l'aise (voir graphiques).
Le rattrapage vaccinal, quel que soit l'âge, est également une situation à problème pour plus de la moitié des pharmaciens et 21 % des MG.
Enfin, plus de 3 pharmaciens sur 10 peuvent être en difficulté en cas d'annonce d'un voyage à l'étranger, de blessure ou dans l'évaluation du statut vaccinal dTP chez une femme enceinte.


DTP : surtout en cas de blessure
Trois situations principales conduisent les professionnels à parler vaccination dTP lors d'une consultation médicale ou d'un contact au comptoir :
- pour les pharmaciens, la présence d'une blessure (43 %) et le fait que le patient parle de vaccination de lui-même ou d'un prochain voyage à l'étranger ;
- pour les généralistes, le patient atteignant l'un des âges de rappel (28 %), celui présentant une blessure (27 %) et le fait d'être le médecin traitant (25 %) (voir graphiques).
Le choix du vaccin pose problème à près d'un tiers des professionnels, qu'il s'agisse du choix de la combinaison contenant la valence antitétanique (dTP, DTP, dTcaP, DTCaP) en fonction de la situation du patient (31 % des médecins et 38 % des pharmaciens ne s'estiment pas à l'aise), de la distinction entre dTP et DTP (29 % des MG et 32 % des pharmaciens pas à l'aise) ou de l'équivalence entre toutes les combinaisons et leurs noms commerciaux (30 % des MG et 29 % des pharmaciens pas à l'aise).
À la question explorant les raisons de la faible couverture vaccinale dTP des personnes de 65 ans et plus (44 % à jour de leur rappel décennal en 2011), deux tiers des professionnels disent souvent oublier de vérifier le statut vaccinal dans cette population pour laquelle beaucoup d'autres choses sont à suivre en consultation ou au comptoir.

Vaccination contre la coqueluche et DTP, quand les associer ?
Les situations liées à la présence d'un nourrisson dans l'entourage viennent en tête : chez les futurs parents (49 % des MG), dans le cadre plus large du cocooning (40 %) ou chez les grands-parents (38 %).
Près de la moitié des médecins (47 %) disent aussi l'associer systématiquement à toute vaccination dTP de l'adulte. Enfin, les MG y pensent aussi chez les patients présentant des risques respiratoires (asthme, BPCO...) (16 %) et chez les patients immunodéprimés ou aspléniques (17 %). Seuls 5 % des MG choisissent un vaccin dTP associant la valence anti-coqueluche chez tous les seniors et tous les patients en Ehpad (voir schéma ci-dessus "Au-delà du rappel à 25 ans...").
Pour les médecins ayant répondu privilégier un vaccin associant la valence anti-coqueluche "systématiquement" ou "chez tous les seniors", les principales motivations sont : une meilleure protection des nourrissons (82 % des MG), la nécessité de protéger tous les adultes contre la coqueluche (63 %) et la simplification de la pratique (23 %).
Nouvelle recommandation de vaccination contre la coqueluche : professionnels dans le flou
À fin octobre 2022, 1 MG sur 4 et 1 pharmacien sur 3 ne connaissaient pas la nouvelle recommandation de vaccination contre la coqueluche au cours du deuxième trimestre de la grossesse. Si les professionnels informés comprennent l'intérêt de cette vaccination (protection plus forte du nourrisson face à une infection potentiellement grave), moins de la moitié pense qu'elle sera applicable systématiquement (38 % des MG et 45 % des pharmaciens). Finalement, 60 % des MG et des pharmaciens pensent que moins de 5 femmes enceintes sur 10 accepteront de se faire vacciner.
D'après les vaccinateurs pour qui cette nouvelle recommandation n'est pas applicable, les difficultés tiennent au fait de faire accepter cette vaccination aux patients (66 %), à l'absence de disponibilité d'un vaccin monovalent contre la coqueluche (51 %) mais aussi au doute (50 %) et au manque de connaissance (35 %) des professionnels sur la justification de ces revaccinations potentiellement rapprochées.
Renforcer l'information des professionnels
En premier lieu, on peut noter que, six mois après sa parution, environ 1 MG ou pharmacien sur 5 n'a pas connaissance de l'ensemble du calendrier vaccinal de l'année en cours. Une communication renforcée et efficiente par les autorités de santé, autour des recommandations vaccinales, vers les professionnels de santé vaccinateurs semble donc nécessaire (diffusion proactive et promotion des nouvelles versions du calendrier vaccinal).
Lors de la mise en place de nouvelles stratégies de vaccination, comme cela vient de se faire pour la coqueluche, l'accompagnement des professionnels, avec un renforcement de l'information ainsi qu'une mise à disposition d'argumentaires validés, est indispensable. Même si les recommandations particulières, comme celles concernant la vaccination des migrants, sont incluses dans le document du calendrier vaccinal, des formations avec mises en situation et/ou des outils d'aide à la décision doivent venir faciliter la gestion de ces situations par les professionnels prescripteurs, dont les pharmaciens et les infirmières font désormais partie.
Un effort de communication doit aussi être fait en direction de la population, permettant d'améliorer l'acceptabilité des nouveaux schémas de vaccination, de faciliter la tâche des vaccinateurs et donc d'aboutir à une meilleure couverture vaccinale. Les âges clés des vaccinations de rappel dTP et la vaccination contre la coqueluche pendant la grossesse mériteraient des campagnes de communication des autorités de santé vers la population, comme cela existe déjà pour la grippe et le Covid-19.
De manière très pratique, la mise en place efficiente d'un suivi du statut vaccinal de chaque patient, partagé entre la population et les professionnels, via "Mon espace santé", devrait être un atout fort de la bonne gestion des vaccinations par les différents acteurs de santé.
Enfin, dernier axe cité par les soignants interrogés : la simplification des recommandations concernant la coqueluche, par exemple en l'associant à tous les rappels dTP ou la mise à disposition d'un vaccin monovalent anti-coqueluche, particulièrement pour les femmes enceintes. Notre enquête permet de pointer plusieurs pistes qui pourraient participer à améliorer la couverture vaccinale dTP/dTcaP des adultes :
• renforcer la communication par les autorités de santé vers les professionnels vaccinateurs :
- diffusion proactive et promotion des nouvelles versions du calendrier vaccinal ;
- information, formation et accompagnement des professionnels de santé concernant les recommandations, les règles de rattrapage... ;
- mise à disposition d'éléments d'argumentation concernant les nouvelles recommandations ;
• renforcer la communication auprès de la population ;
• mettre enfin en place des outils de traçabilité efficients, partagés (carnet de vaccination électronique) entre la population et les vaccinateurs.