Les étudiants en médecine ont été appelés à la grève le 14 octobre par leurs organisations représentatives, pour protester contre l’introduction dans le projet de loi de financement de la sécurité sociale de dispositions relatives à une 4e année d’internat de médecine générale, avec des stages à effectuer en priorité dans les zones sous-denses en professionnels de santé. Les étudiants sont soutenus par des organisations syndicales de professionnels en place. Expression du corporatisme du milieu, diront certains. Réaction plutôt à une initiative insuffisamment concertée, déclenchée sans doute pour contrecarrer des propositions de loi plus martiales, destinées à installer le conventionnement sélectif à l’installation ou d’autres mesures contraignant les jeunes professionnels à s’installer là où ils ne vont pas spontanément. Signal politique bien plus que solution aux déserts médicaux en vérité. Pourquoi sinon inscrire dans le PLFSS une mesure pour laquelle un décret aurait suffi?

Changer les comportements par décret ?

Une fois qu’on a écarté l’hypothèse de coercition (envoyer "de force" les internes dans les territoires les plus critiques), la simple arithmétique n’invite pas à prolonger les études des jeunes professionnels plutôt que de les laisser s’installer. Il est par ailleurs difficile de promettre de bons taux d’encadrement en maîtres de stage là où les médecins font défaut. Sauf, enfin, à prolonger les études des internes actuels, une telle solution ne se mettrait pas non plus en place sur le terrain avant quatre ans. Une éternité.

Les comportements d’installation sont aujourd’hui solidement ancrés dans la sociologie des jeunes professionnels concernés et, au-delà, des générations auxquelles ils appartiennent. On peut chercher à infléchir les recrutements (socialement parlant) ou vanter les atours des territoires concernés mais on ne changera pas les comportements par décret. Autant se l’avouer. Alors une quatrième année d’internat de médecine générale, pourquoi pas ? Ce n’est simplement pas la solution aux déserts médicaux et l’objectif doit rester pédagogique.

Au bal des chimères défilent régulièrement les mesures coercitives (mais comment contraindre des professionnels à s’installer en cabinet libéral quand ils ont tant d’autres possibilités ?), le conventionnement sélectif (qui fonctionne généralement correctement pour éviter les installations en zones sur-denses mais a bien du mal à peupler les zones en perte d’attractivité, les autres professions le montrent), les "officiers de santé", qui avaient failli resurgir du temps du ministre Olivier Véran.

 

Renforcer le dialogue entre les professionnels et les collectivités locales

Comme l’a dit raisonnablement l’actuel ministre, François Braun, il faut faire avec les ressources que l’on a. Il faut d’abord une opération vérité : cessons de nous bercer d’illusions sur les trajectoires quantitatives à venir. La situation va rester critique, durablement, et il faut donc mobiliser toutes les ressources disponibles… et opératoires.
Les étudiants sont aujourd’hui nombreux et il faut mieux organiser leur présence en dehors des CHU et des villes universitaires. Il faut travailler les infrastructures d’accueil, les questions de logement, de transport et, bien entendu, les ressources mobilisées pour l’encadrement des stages. Les maisons de santé, les (CPTS), les futures équipes de soins spécialisées doivent être mobilisées à cette fin, en lien avec les collectivités locales. Ces structures doivent attirer les étudiants par leur capacité à dispenser une formation pratique de qualité. C’est par l’accompagnement des plus jeunes – et en considérant le souhait qui est le leur de travailler en équipe – que ces organisations pourront mieux irriguer les territoires sous-denses.

Les collectivités territoriales (régions, départements, communes), justement, sont pour certaines à l’initiative aujourd’hui pour salarier les professionnels sur des territoires en difficulté. Ces dispositifs doivent être travaillés avec les professionnels et leurs représentants. C’est une solution dans la gamme des possibles. En tout état de cause, il faut renforcer le dialogue entre les professionnels et les collectivités locales, le décrisper parfois.

C’est par l’accompagnement des plus jeunes – et en considérant leur souhait de travailler en équipe – que les territoires sous-denses pourront être irrigués

Les assistants médicaux doivent être mobilisés de façon beaucoup plus massive : les 3 ou 4000 actuels ne permettent pas de dégager globalement un temps médical significatif. Il ne faut pas se leurrer cependant : dans le contexte actuel de l’emploi, ces métiers doivent être rendus plus attractifs si on veut en faire une solution à la hauteur des enjeux.
Contrairement à ce que l’on croit parfois, la situation sur certaines spécialités médicales est tout aussi critique, voire plus, que celle de la médecine générale. C’est donc bien un plan mobilisant l’ensemble des ressources médicales dont il s’agit.

Au-delà de ces ressources médicales, c’est toute la ligne de soins primaires qui doit être travaillée. On n’a tout simplement plus les moyens de se passer des compétences des pharmaciens, des infirmiers libéraux, des infirmiers en pratique avancée, des masseurs-kinésithérapeutes, etc. Elargissement des compétences et accès direct doivent se développer, résolument. Le ministre promeut ces solutions. Les ordres professionnels étaient d’ailleurs attendus sur le sujet. Ils ont conclu un premier accord, prometteur. Affaire à suivre.

Lever les obstacles

Sans être la panacée et sans méconnaître la fracture numérique, il faut aussi ancrer le développement des innovations technologiques, dont la télémédecine, stimulée au temps du Covid-19, dans une perspective d’ensemble, articulée à la présence des soignants sur le territoire.
Il faut enfin un effort de pédagogie à destination du grand public, en ne laissant pas espérer des lendemains d’abondance. Le principe doit être : pas de populations, pas de territoires sans solutions… mais il faut expliquer que les solutions en question sont diverses, parfois composites.

Il faut surtout un changement d’échelle, il faut en finir avec les expérimentations à rallonge. Il faut déployer les solutions de façon beaucoup plus massive, en levant les obstacles de toute nature. Les conventions de l’assurance maladie avec les professions font partie de la solution, à condition là aussi de changer d’échelle et de porter des dispositifs qui marchent. Si on croit en un nouveau partage des tâches et si on entend le promouvoir, il faut bien entendu adapter les tarifications en conséquence, du côté des médecins comme des autres professionnels.

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