* Article rédigé par Anne Mosnier, Isabelle Daviaud et Jean Marie Cohen (Open Rome), Béatrice Clairaz et Thierry Barthelme (SFSPO), Olivier Rozaire (URPS pharmaciens Auvergne Rhône-Alpes), Didier Duhot, Rachel Collignon-Portes et Philippe Boisnault (SFMG)
 

La triple épidémie virale covid‐grippe‐virus respiratoire syncytial (VRS) de l’hiver 2022-2023 a rappelé le poids des infections à VRS pour les nourrissons, leurs parents et le système de soins. À la rentrée 2023 (voir ci-dessous), les autorités de santé ont recommandé et pris en charge l’utilisation d’un anticorps monoclonal (nirsevimab, nouveau moyen d’immunisation) dans la prévention des infections à VRS chez les plus petits. Dans ce nouveau contexte, Covigie (voir ci-dessous) a souhaité interroger les professionnels de santé, et ce, malgré une situation complexe, notamment une adhésion forte et peu prévisible des parents ayant nécessité la priorisation du produit aux maternités, puis la suspension des délivrances du nirsevimab dans les officines. Son enquête – réalisée auprès de 1.000 professionnels de santé, dont une majorité de médecins généralistes et de pharmaciens – vise à explorer, pendant la campagne, la perception par les professionnels de santé des infections à VRS, des moyens de prévention et de la mise en place de l’immunisation des nourrissons par le nirsevimab.
 


Crédit: Covigie


Diffusé via la plateforme du 5 octobre au 11 décembre 2023, ainsi que par l’envoi de mails, le questionnaire comportait 24 questions : profil du répondant, questions générales sur les infections à VRS et ses moyens de prévention, communication, organisation et information autour de la nouvelle immunisation des nourrissons. Près de 1.000 professionnels de santé (voir ci-dessous), exerçant dans toutes les régions françaises, ont répondu à l’enquête, dont une majorité de médecins généralistes (56%) et de pharmaciens (28%).

Une bonne connaissance sur les infections à VRS utiles à leur pratique…

Plus de 8 professionnels de santé répondants sur 10 (87%) disent avoir les connaissances utiles à leur pratique concernant l’infection aigüe à VRS, ses complications possibles (85%), ses moyens de prévention (90%), sa prise en charge (86%) et le risque de saturation des services de soin (81%).

Seuls les aspects épidémiologiques et financiers semblent moins bien connus : 22% d’entre eux estiment ne pas avoir les connaissances utiles et 45% en avoir de manière très insuffisante.

Tous se disent bien informés sur les populations les plus à risque de forme grave de l’infection à VRS, à savoir : les nourrissons et en particulier les moins de 3 mois (cités par 80%) et les séniors (cités par 54%).

 

Focus

Qui sont les répondants ?

> Une majorité de médecins généralistes (56%) et de pharmaciens (28%). On compte également quelques infirmières (4%), des pédiatres (3%) et des sages‐femmes (3%).
> Majoritairement des femmes (66%)
> 54% ont entre 40 et 60 ans, et 23% ont plus de 60 ans.
> 50% des généralistes et 63% des pharmaciens participent à une CPTS. Une proportion en progression depuis l’enquête précédente réalisée fin 2022 où 45,5% des MG répondants et 47% des pharmaciens participaient à une CPTS (p<0,001 pour les pharmaciens et non significatif pour les MG).

… mais des connaissances inégales sur les moyens de prévention

Les gestes barrières et l’immunisation des nourrissons sont considérés comme très utiles (par 91% et 75% des soignants). Toutefois, les professionnels de santé semblent moins convaincus de l’utilité de la vaccination des femmes enceintes et des séniors (2/3 des répondants ne sont pas au courant de la disponibilité à l’automne 2023 d’un vaccin contre le VRS pour les personnes âgées sur prescription médicale mais non pris en charge par l’Assurance maladie).


Comment évaluez-vous le degré d’utilité des différents moyens existant de prévention des infections à VRS ? (*n = nombre de répondants)

Le nirsevimab : késako ?

Plus de la moitié des soignants n’ont entendu parler du nirsevimab qu’au cours de l’été 2023 (35%) ou à la rentrée (24%), soit lors du lancement de la campagne. L’information scientifique et médicale provient principalement des DGS‐Urgent (pour 49% des MG et 54% des pharmaciens) et de la HAS (13% des MG et 15% des pharmaciens). Viennent ensuite la presse médicale sans publicité (23%), les sociétés savantes de médecine générale (22%), leurs confrères (blogs de médecins, groupes professionnels sur les réseaux sociaux, réseaux périnatalité, réunions de formations, congrès, groupes de pairs) (17%) et les sites Infovac et mesvaccins.net (13%). Les pharmaciens ont, eux, cité les laboratoires pharmaceutiques (17%), la littérature scientifique (15%), l’ANSM (13%) et la presse médicale autre que celle sans publicité (13%).

Parmi les autres sources d’information, citées par 32 professionnels, on retrouve majoritairement les médias grand public, cités 21 fois ("Comme d'habitude les médias sont informés avant nous"), les syndicats et les Ordres, les parents et la CPAM.
 

Par quelles sources avez-vous été le mieux informé(e) sur les données scientifiques concernant le nouveau moyen d’immunisation des nourrissons (nirsevimab) contre les bronchiolites à VRS ?


(n = 426 MG et 216 pharmaciens)


Pour autant, un peu plus d’un tiers (36%) considèrent avoir eu accès aux données scientifiques nécessaires ; un autre tiers (36%) y a eu partiellement accès ; enfin 28% manquent d’information. Les MG semblent un peu mieux informés que les pharmaciens, sans que cela soit significatif.

Parmi les répondants, 455 manquaient partiellement ou totalement d’information. Les informations manquantes concernent prioritairement 3 axes :

> La tolérance et la balance bénéfice risque (98 items soit près d’une proposition sur cinq) : les propositions concernent aussi bien la tolérance et la balance bénéfice risque en général que des points plus précis comme le risque allergique ou la douleur à l’injection ; et le court terme autant que le long terme : "effets secondaires rares des anticorps monoclonaux ; fréquence réelle des réactions allergiques à ce produit ; innocuité d'un vaccin à si grande échelle ; le taux réel de complications vaccinales notamment cutanées généralisées... taux élevé selon Prescrire ; effets secondaires sur le long et très long terme ; manque de connaissance des risques encourus ; balance bénéfice risque nourrisson non à risque ; le manque de recul"…

> Les données et les études en général (65 items) avec à la fois une demande de libre accès à toutes les études, d’études indépendantes, mais aussi le constat d’un manque de temps pour les lire : "études indépendantes ; dossier clinique complet ; études objectives du ministère de la santé ; méta-analyses ; études sur son efficacité toujours pas accessibles ; le listing et l'accès gratuit aux études ayant permis la mise sur le marché de ce traitement ; les laboratoires apportent de très bonnes infos mais il subsiste toujours le doute d'informations non biaisées"…

Fiche d'identité

Le projet Covigie : qui ? quand ? pourquoi ?

En avril 2020, au cœur de la première vague de Covid-19, les professionnels de santé de premier recours étaient aux avant-postes de la lutte, mais les autorités sanitaires ne disposaient pas de relais d’informations structurées leur permettant d’avoir une vision agrégée et actualisée des retours d’expérience des soignants extrahospitaliers. C’est de ce constat qu’est né le projet Covigie, porté et animé par des organisations de soignants de premier recours. Objectif : permettre à ces professionnels de santé de communiquer, via une plateforme, aussi bien entre eux que vers les autorités, de partager leur expérience et les signaux, même les plus faibles, traduisant la réalité du vécu sur le terrain et pouvant aider à la décision. Covigie permet aussi de mener des enquêtes « express » auprès d’un large panel de soignants de premier recours.

> L’efficacité (54 items) : pour les nourrissons, pour la collectivité et pour le système de soins : "l'efficacité sur les enfants non à risque ; réalité de l'efficacité ; efficacité sur les complications ; y a t'il diminution du risque de complication grave sous anticorps ; efficacité chez les nouveaux nés à terme ; efficacité sur la contagion ; études plus solides sur l'efficacité ; durée d'immunisation"…

Quelques professionnels veulent également des informations plus précises sur le produit lui-même ("quid de la composition ; le concept de fabrication ; mode de fabrication ; nature du produit"…) et sur les conditions d’utilisation ("conduite à tenir si anaphylaxie au cabinet ; suivi post-injection ; modalités d’administration ; posologie ; peut-on l’administrer en même temps que les vaccins du calendrier vaccinal ; contre-indications"…)

Enfin, seuls 38% des soignants (40% des MG et 28% des pharmaciens) estiment avoir toutes les informations nécessaires pour répondre aux questions de leurs patients.


Estimez-vous avoir les informations nécessaires pour répondre aux questions de vos patients concernant cette immunisation ? (n = 639)

Organisation pratique et suivi de la mise en place du nirsevimab : accès mitigé aux informations

Comme pour l’accès aux données scientifiques, la principale source d’information citée pour l’organisation pratique de la campagne d’immunisation est le DGS‐Urgent (63% des MG et 70% des pharmaciens). La possibilité d’accès aux informations utiles dépend de ce qui est recherché : 75% des répondants estiment avoir eu toutes les informations utiles concernant la population ciblée. Pour les autres, les informations manquantes concernent les "cibles précises de la campagne", l'"âge prioritaire", l'"âge optimum, "les limites d'âge", la "priorisation en climat de manque de dose", "à qui ne pas le faire", la "vaccination séniors possible" ; l'"âge optimal pour les séniors".

68% des répondants estiment avoir eu toutes les informations utiles concernant les conditions de prise en charge et la liste des professionnels autorisés à faire l’injection.

En revanche, plus d’un professionnel sur quatre estime ne pas avoir eu les éléments suffisants concernant les modalités d’accès au produit : "Les modalités n'ont pas arrêté de changer", "La quantité de médicaments disponible, cela change tout le temps ras le bol", ont-ils fait remonter.

Il en est de même avec la date de début de la campagne pour 26% des soignants : "manque d'anticipation des pouvoirs publiques ; pas de date précise communiquée" ; "info trop tardive" ; "prévenus au dernier moment comme beaucoup de fois" ; "informations eues trop tard par rapport à la mise en place"…

 

Risque individuel de la bronchiolite à VRS : des parents bien informés

A l’automne 2023, selon 71% des professionnels répondants, les parents étaient bien informés du risque de la bronchiolite à VRS pour leur nourrisson (13% "oui" et 58% "plutôt oui") et de l’existence d’un nouveau moyen de prévention (14% "oui" et 56% "plutôt oui"). En revanche, les parents sont peu au courant du poids financier pour la santé publique (estiment 89% des professionnels), du circuit d’accès au nouveau moyen de prévention (70%) et du risque de saturation des services de soin (49%).

Quid de la nouvelle reco ?

Au total, plus d’un tiers (38%) des soignants ne se sent pas à l’aise avec cette nouvelle recommandation. A noter : le fait de se sentir à l’aise avec cette nouvelle recommandation ne signifie pas nécessairement y adhérer.
 

Vous sentez-vous à l’aise avec cette nouvelle recommandation ? (n = 688)


Néanmoins, 9 soignants sur 10 déclarent encourager les parents concernés à faire immuniser leurs nourrissons : tous les parents pour 69% des PS (70% des pharmaciens et 66% des MG), uniquement les parents d’enfants fragiles pour 20% (25% des MG et 14% des pharmaciens).

Cette proposition est en général bien perçue par les parents qui l’acceptent facilement d’après 56% des professionnels ou après échange pour 38%. Les rares refus sont rapportés à la peur des effets secondaires ou au fait que le nourrisson doit recevoir déjà beaucoup d’injections.
 

Au-delà des conseils d’allaitement et d’application des gestes barrières, encouragez-vous les parents à faire immuniser leur nourrisson contre le VRS ? (si produit disponible) (n = 606)

Difficultés rencontrées et améliorations attendues

Au-delà de l’insuffisance d’information, la lourdeur du circuit de distribution est, de loin, la difficulté la plus citée, notamment par 86% des pharmaciens. Viennent ensuite le délai entre prescription et injection (51% des pharmaciens et 38% des MG) et la nécessité de commande (48% des pharmaciens et 47% des MG). A noter que les pharmaciens ne semblent pas gênés par le fait de ne pas être dans la liste limitée des professionnels autorisés à injecter le produit.

Ainsi, notre enquête permet de pointer plusieurs pistes pouvant participer à améliorer l’immunisation des nourrissons pour les saisons suivantes.

> Amélioration de l’information vers les professionnels de santé et les parents :
- Mise à disposition précoce, facile et gratuite des articles scientifiques publiés : avis HAS, études ayant permis la mise sur le marché, études publiées depuis, mais aussi études épidémiologiques décrivant le poids des infections à VRS, prises de position des sociétés savantes. Reste aux professionnels de trouver le temps pour lire ces documents, dont une bonne partie est en anglais ;
- Implication forte de tous les types de professionnels concernés dans la réflexion d’amont ;
- Communication des informations par les autorités de santé en priorité vers les professionnels de santé et en amont des campagnes  ;
- Présentation claire des objectifs recherchés ;
- Mise en place de campagne de communication par les autorités de santé vers le grand public en visant une communication globale autour de la prévention des infections à VRS.

> Simplification des aspects organisationnels :
- Disponibilité du produit en quantité suffisante pour éviter les ruptures et l’image contre-productive renvoyée aux professionnels et à la population ;
- Disponibilité du produit dans le circuit habituel ;
- Envoi d’un bon de prise en charge pour chaque nourrisson concerné ;
- Insertion de cette recommandation dans un calendrier des vaccinations et immunisations ;
- Simplification des circuits d’immunisation ;
- Mise en place d’outils de suivi de la campagne et de ses effets.

 
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