Article initialement publié sur le site du Laboratoire d'idées santé autonomie (Lisa) et rédigé conjointement par Philippe Berbis, Sébastien Colson, Patrick Dehail, Florence Girard, Stéphane Le Bouler, Pauline Lenesley, Marie-Astrid Meyer, Yvan Tourjansky et Emmanuel Touzé.

 

Histoire et définitions

Selon le Comité international des infirmières, les pratiques avancées concernent "le professionnel paramédical [infirmière – Nurse practitioner/Advanced Practice Nurse -, …] ayant acquis des connaissances théoriques d’expert, une capacité de prise de décisions en situation complexe et des compétences cliniques lui permettant une pratique avancée dans un domaine spécifique pour lequel il sera [reconnu, identifié, désigné, validé]".

La pratique avancée est généralement définie par opposition/distinction à la pratique généraliste. Pour autant, elle ne se restreint pas seulement à une liste d’actes autorisés mais repose plutôt sur une gradation de niveaux de compétences (savoir, niveau de conceptualisation, expérience, gestion de situations complexes). Il y a donc une continuité au sein d’une même profession avec un niveau de compétences différent qui requiert des connaissances approfondies dans un domaine spécifique afin d’intervenir dans des situations complexes.

Les premières infirmières de pratique avancée* sont diplômées depuis peu en France, pourtant cette pratique a été initiée dès les années 1960 en Amérique du Nord. Il faudra une trentaine d’années pour que ce concept apparaisse en France, puis une quinzaine d’années supplémentaires pour qu’il trouve une traduction dans la réglementation. En 2003, le rapport du Professeur Berland préconisait pourtant déjà la coopération entre professionnels de santé et le transfert de compétences.

À la suite d’expérimentations dans de nombreux domaines médicaux (explorations fonctionnelles digestives, réalisation de ponctions médullaires, réalisation de bilans urodynamiques, prise en charge de maladies chroniques), le bénéfice de ces pratiques avancées est mis en évidence : optimiser la prise en charge du patient en facilitant l’accès aux soins dans certains territoires, économiser du temps médical et contribuer ainsi à faire face à la diminution de la densité médicale, régulariser des pratiques existantes non reconnues, apporter une reconnaissance de compétences à certains paramédicaux tout en contribuant à la maîtrise des dépenses de santé.

Si la loi HPST du 21 juillet 2009, et plus particulièrement son article 51, permettait déjà aux professionnels de santé de s’engager dans de nouvelles formes de pratiques interprofessionnelles, c’est l’article 119 de la loi n° 2016-41 du 26 janvier 2016 créant l’article L. 4301-1 du code de la santé publique qui introduit le principe de la pratique avancée des auxiliaires médicaux. Ce texte permet donc d’envisager d’étendre la pratique avancée à toutes les professions paramédicales. Les décrets d’applications seront pris à l’été 2018.

La pratique avancée vise donc à répondre aux nouveaux enjeux d’un système de santé en mutation. Elle identifie des compétences, des connaissances et des modalités de travail interprofessionnelles nécessaires pour pratiquer des soins de santé à un niveau avancé par rapport aux compétences reconnues à un métier socle. Elle est fondatrice d’une nouvelle forme d’exercice et donc d’une approche complémentaire et plus globale par rapport aux évolutions des décrets d’actes ou aux démarches relatives aux protocoles de coopération déjà prévus à l’article 51.6

Concrètement, le décret sur la pratique avancée précise que celle-ci recouvre : des activités d’orientation, d’éducation, de prévention ou de dépistage, des actes d’évaluation et de conclusion clinique, des actes techniques et des actes de surveillance clinique et paraclinique, des prescriptions de produits de santé non soumis à prescription médicale, des prescriptions d’examens complémentaires, des renouvellements ou adaptations de prescriptions médicales.

 

Enjeux ​

Dans le champ de la formation :

> Les objectifs quantitatifs en matière de formation en pratique avancée ont une chance d’être atteints, puisque ce ne sont pas moins de 3 000 infirmières en pratique avancée qui auront été formées entre 2018 et 2022 ;

> Les universités se sont donc mobilisées sur cette formation et cette filière est aujourd’hui présente dans l’ensemble des universités à composante santé ;

> Si les délais ont souvent été contraints (la rentrée étant généralement peu éloignée de la publication des textes réglementaires), cette innovation s’est insérée à l’université de façon non conflictuelle et on a constaté une forte émulation ;

> L’afflux de candidats a été important à l’origine et pour les différents domaines ouverts mais ce mouvement est en train de se tarir : conséquence de l’épuisement du vivier qui avait alimenté les premières promotions ou des difficultés d’implantation sur le terrain qui finissent par retentir sur l’attractivité des filières ? ;

> Il y a eu aussi des compromis boiteux à l’origine : notamment le fait de pouvoir faire la formation d’IPA sans période d’exercice préalable (à la sortie de la formation initiale donc) tout en ne pouvant pratiquer en tant qu’IPA à l’issue de trois années d’exercice**

Pour ce qui est de l’implantation dans le système de santé :

> L’émergence de ces professionnels a été lente : la réflexion a mûri, on l’a dit, entre le début des années 2000 et la loi Touraine de 2016 (qui pose les bases législatives) ; il a encore fallu attendre deux ans et demi (et l’été 2018) pour voir sortir les textes d’application sur la définition des compétences et du cadre de formation : le moins que l’on puisse dire est donc que les acteurs avaient le temps de s’y préparer mais peut-être doutaient-ils que la réforme serait menée à bonne fin ;

> L’impréparation est donc collective : les problèmes d’articulation entre les compétences des soignants et entre les professions ont été longs à décanter et les crispations n’ont pas manqué chaque fois qu’on ouvrait un nouveau domaine mais ces difficultés et les délais afférents n’ont pas été mis à profit pour préparer l’implantation dans les organisations (à l’hôpital et, pire encore, en vile) : les IPA n’existent pas dans les recommandations de la HAS sur les parcours de santé ; la question de la rémunération est, depuis l’origine, une source de crispation logique ; le positionnement des IPA par rapport aux autres professionnels, notamment les infirmier(ères) spécialistes, les acteurs de l’exercice coordonné ou les cadres de santé est une source permanente de tensions et d’inefficacité ;

> L’impréparation était aussi individuelle : les projets ne sont pas forcément toujours très construits de la part des candidats à la formation comme des structures qui financent leur formation ;

> Faute de voir émerger le bon modèle d’articulation interprofessionnelle, la question de l’organisation est posée : faut-il une organisation intégrée ou au contraire une organisation séparée (les IPA entre elles) ? ;

> Dès lors, les cas de "mésusage" sont nombreux : faute de préparation, il n’y a pas toujours de poste à la sortie ; la dimension clinique se perd parfois au profit de tâches de coordination ou de simple délégation de tâches sans réelle autonomisation de l’IPA ; l’IPA est aussi parfois dans l’incapacité de faire son travail faute d’avoir accès aux outils informatiques adaptés.

> Le bilan sur le plan du temps soignant disponible pour traiter les problèmes du système de santé et apporter un bénéfice aux patients est en tout cas médiocre, puisque toute une partie des effectifs formés n’exercent pas en tant qu’IPA.

 

Que faire ?

À ce stade, il paraît essentiel de redonner du sens à cette réforme.

Il s’agit avant tout d’améliorer le parcours des patients et indirectement de permettre aux médecins de se recentrer sur leur expertise. La thématique de la réponse aux déserts médicaux peut laisser penser, en revanche, qu’il y a une forme de substituabilité entre les médecins et les IPA et cela crispe évidemment les acteurs, au risque d’empêcher le travail concret sur les organisations.  Il faut le redire : l’IPA ne se substitue pas au médecin, elle devient un acteur incontournable dans le parcours de soins sur une expertise propre.

Il en va de même avec les cadres de santé et les spécialités infirmières : il n’y a pas concurrence. La reprise annoncée du décret d’actes infirmier peut être l’occasion d’apporter ces clarifications au sein de la profession.

Même s’il faut considérer l’implantation en vie réelle et s’adapter au contexte, les cas de mésusage ou d’usage en-deçà des compétences acquises dégradent la perception commune de ces nouveaux métiers et empêchent de faire la preuve de concept, sur le plan thérapeutique et sur le plan médico-économique.

Il importe de travailler sur les expériences concrètes d’implantation en ville et à l’hôpital pour dégager les bonnes pratiques et corriger les déviances (préciser ce qu’est… et ce que n’est pas l’IPA). À Marseille, une commission de suivi ARS-Aix-Marseille université a ainsi été mise en place pour évaluer régulièrement les implantations. Ce type de suivi est indispensable pour optimiser le système et éviter les mésusages. Il convient par ailleurs de communiquer plus largement auprès des médecins, en commençant par les chefs de service via les CME. Sur le terrain, l’expérience commune est en effet que les médecins, faute d’information ciblée, ne savent bien souvent toujours pas ce qu’est un/une IPA et ne sont donc pas moteurs lors de l’implantation, notamment auprès de leurs collaborateurs.


 

L'IPA ne se substitue pas au médecin, elle devient un acteur incontournable dans le parcours de soins sur une expertise propre

Il faut développer les études médico-économiques sur l’intérêt pour les structures de recourir à des professionnels en pratique avancée : façon d’éviter les mésusages et de justifier les embauches (celle de l’IPA et celle du professionnel qui va le remplacer sur le métier socle).

Il importe évidemment aussi que les responsables politiques se saisissent à nouveau de la problématique des pratiques avancées : il faut un discours clair, un dessein (pour l’organisation des professions entre elles) et la mobilisation des acteurs. Il est intéressant de se rapprocher des recommandations internationales, de développer des stratégies d’implantation nationales basées sur des données probantes [comme le cadre développé par Bryant-Lykosius par exemple, nommé Peppa] ou bien encore d’énoncer des principes de santé publique sur l’implantation de nouveaux rôles soignants.

Concrètement, il faut officialiser la place de l’IPA dans le parcours de soins dans les recommandations professionnelles et de la HAS ; il faut aussi clarifier les différentes formes de pratique avancée et spécialisée (cela vaut par exemple, au moment où l’on refond la formation d’Ibode) et mener une réflexion sur les pratiques avancées au sein d’autres professions paramédicales [Un travail est conduit en Ile-de-France par exemple sur la pratique avancée en kinésithérapie] : une réflexion sur le métier de bloc opératoire (incluant la radiologie interventionnelle) entre les infirmières et les manipulateurs d'électroradiologie médicale (Merm) doit par exemple être menée ; le champ de la réadaptation mérite aussi que se développe rapidement une réflexion précise.

Il faut des actes bien entendu aussi, notamment pour faire en sorte de reconnaître ces nouvelles compétences sur le plan financier et ne pas conforter par des pratiques tarifaires inadaptées les mésusages. Un rapport de l’Igas fait des propositions en ce sens.

Après le temps de l’implantation, l’université doit de son côté travailler à la mise en réseau des enseignants et à la mutualisation des outils pédagogiques pour accompagner cette restauration du sens et travailler concrètement à l’articulation des professions dans le temps de la formation. 

 

NOTE
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Note de la rédaction : nous féminisons volontairement cette profession, en accord avec notre ligne éditoriale
** Cette disposition n'est pas cohérente avec le fait que l'obtention du diplôme vaille validation de toutes les compétences par l'étudiant pour exercer sa profession.
 

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