Article initialement publié sur egora.fr

Les résultats présentés ce mercredi par la Direction de la recherche, des études, de l'évaluation et des statistiques (Drees), issus de son quatrième Panel d’observation des pratiques et des conditions d’exercice en médecine, peuvent expliquer la tendance à la hausse des installations de médecins en groupe, ces derniers y trouvant une multitude d’avantages. En 2019, en effet, 61% des généralistes libéraux exerçaient en groupe : 32% avec d’autres généralistes (groupes monodisciplinaires), et 29% avec des infirmières et d’autres professionnels de santé (groupes pluriprofessionnels). Les maisons de santé pluriprofessionnelles (MSP) notamment attirent de plus en plus les jeunes praticiens. Ces dernières fleurissent ainsi sur tout le territoire. Fin 2008, il en existait moins de 20 ; l’an dernier, en 2021, on en recensait plus de 1 800.

Plus qu’avant, les jeunes généralistes font de l’équilibre entre vie professionnelle et vie personnelle leur priorité dans le choix de leur installation. Et cet équilibre, nombre d’entre eux l’ont trouvé dans l’exercice en groupe. Cela s’observe dans les profils de médecins ayant épousé cet exercice : ils ont 49 ans en moyenne (contre 58 ans en moyenne pour ceux exerçant seuls) et sont plus fréquemment des femmes (43% contre 29% en cabinet seul). 25% des médecins travaillant seuls ont des enfants à charge, contre 43% en groupe monodisciplinaire et 53% en groupe pluriprofessionnel. "La présence d’un collectif peut contribuer à améliorer les conditions de travail, car il offre une plus grande flexibilité dans l’organisation de la pratique médicale et favorise, entre autres, le partage de la charge de travail et des contraintes associées à la permanence des soins", analyse la Drees dans son rapport.

 

La présence d’un collectif peut contribuer à améliorer les conditions de travail

L’organisme de statistiques rattaché au ministère de la Santé s’est ainsi attardé à étudier les différences de temps de travail déclarés et de conditions de travail perçues par les médecins généralistes en fonction de leur mode d’exercice (seul, en groupe monodisciplinaire ou en groupe pluriprofessionnel). Pour cela, il a mené une enquête* en France entière (hors Mayotte) auprès de 3 300 médecins généralistes libéraux, installés au 1er janvier 2018, ayant été déclarés comme médecin traitant par au moins 200 patients et sans modèle d’exercice particulier exclusif (comme homéopathe ou acupuncteur)

Plus d’heures pour les médecins seuls

Il ressort de cette étude que, quels que soient les territoires, les médecins qui exercent seuls travaillent plus que ceux qui se sont regroupés - surtout dans les espaces de tourisme et de retraite relativement bien dotés en offre de soins. Ils déclarent en moyenne 55,4 heures travaillées par semaine, contre 53,1 heures pour les généralistes exerçant en groupe pluriprofessionnel. En revanche, "dans les marges rurales et les espaces urbains défavorisés – dans lesquels ce modèle d’exercice est le plus représenté, notamment sous la forme de MSP conventionnées –, ces derniers consacrent 2 à 3 heures de plus à leur exercice que la moyenne nationale (53,2 heures)", soit 56 heures, constate la Drees.

 

 

Chez les généralistes travaillant avec d’autres généralistes (groupes monodisciplinaires), le temps de travail hebdomadaire est encore davantage réduit. Il est de 50,7 heures en moyenne par semaine. Cependant, l’effet du sexe du médecin sur le temps de travail déclaré reste le plus important quel que soit le modèle d’exercice considéré, nuance l’étude. Selon une étude menée en ligne en 2019, et rapportée par la Drees, "les femmes médecins généralistes déclarent travailler en moyenne plus de 5 heures de moins par semaine que leurs confrères, du fait d’un temps dédié aux activités libérales beaucoup plus faible (-4,5 heures)". Le quatrième panel précise que "des analyses descriptives complémentaires ont montré que cet écart subsiste quel que soit le modèle d’exercice considéré".
Le temps de travail varie par ailleurs en fonction de l’âge : il "augmente jusqu’à environ 58 ans et diminue ensuite jusqu’à la fin de carrière du médecin".

Davantage de congés dans les cabinets de groupe

Au cours d’une année, les généralistes exerçant en groupe prennent significativement plus de congés que leurs confrères qui sont seuls : une semaine supplémentaire en moyenne pour les médecins exerçant en groupe monodisciplinaire, et près de 0,7 semaine de plus pour les médecins en groupe pluriprofessionnel. "Ces écarts peuvent être liés au fait que l’exercice collectif facilite la gestion des absences ponctuelles et des congés annuels, grâce à la prise en charge des patients par des confrères ou des consœurs de la structure pendant les absences et/ou par mutualisation du recours aux remplaçants", indique la Drees.

L’engagement dans une CPTS entraîne cependant une augmentation du temps de travail hebdomadaire

Plus que sur le temps de travail total, c’est dans la répartition du temps entre activités libérales et activités secondaires (principalement salariées) que l’exercice pluriprofessionnel se distingue", constate la Direction de la recherche, des études, de l'évaluation et des statistiques. Il est globalement associé à un moindre volume horaire dédié aux activités libérales avec, en revanche, plus de temps consacré aux activités secondaires." En effet, si 28% des MG en groupe pluriprofessionnel – 36% pour ceux exerçant en MSP ACI – ont une activité mixte, ils ne sont plus que 21% en groupe monodisciplinaire et 20% des médecins exerçant seuls. Ces derniers y consacrent par ailleurs moins de temps (7,2 heures hebdomadaires en moyenne, contre 8,9 h par semaine tous modes d’exercice confondus, et 10,2 heures pour les généralistes exerçant dans un groupe monodisciplinaire).

"Que ces médecins aient choisi un exercice regroupé pour mieux concilier leurs activités libérales et secondaires ou que leur choix d’une activité mixte soit la conséquence de celui-ci, la plus grande flexibilité liée à ce modèle d’exercice semble être associée au fait de s’investir davantage dans des activités secondaires", avance l’étude. Cela est également vrai pour les investissements dans des projets de santé, peut-on observer. En effet, les généralistes exerçant avec d’autres professions de santé sont, "pour plus du quart d’entre eux", impliqués dans des projets territoriaux (27 %) : communautés professionnelles territoriales de santé (CPTS), équipes de soins primaires (ESP), etc. Ce taux monte à 67% pour les médecins dans les MSP conventionnées, soit 2 praticiens sur 3. En revanche, ils sont moins de 10% à l’être chez les médecins généralistes exerçant seuls.

L’engagement dans une ESP ou une CPTS entraîne cependant une augmentation du temps de travail hebdomadaire de plus de 2 heures par semaine.

Meilleur équilibre vie familiale et vie professionnelle

Globalement, les médecins généralistes exerçant en groupe se disent plus satisfaits quant à leur exercice. Ils déclarent plus souvent un meilleur équilibre entre leur vie familiale et leur vie professionnelle. Conséquence, selon la Drees, d’un temps de travail assoupli et de congés annuels plus nombreux. En effet, "en contrôlant des différences de temps de travail, les résultats changent significativement et seul l’exercice en MSP ACI continue à être associé à une meilleure perception des conditions de travail", précise-t-elle. Ainsi, pour l’organisme, les spécificités et missions offertes en MSP ACI (cahier des charges spécifique, dossiers partagés, temps de coordination dédiés, rémunération additionnelle de la structure…) apparaissent importantes pour les généralistes, "et ce, au-delà des conséquences qu’elles peuvent avoir sur les temps de travail".

*En collaboration avec les Observatoires régionaux de la santé (ORS) et les Unions régionales des professions de santé-médecins libéraux (URPS-ML) des régions Provence-Alpes-Côte d’Azur (Paca) et Pays de la Loire.
Focus

Dans les Hauts-de-France : l’exercice coordonné, un atout pour l’épanouissement professionnel

Dans sa thèse de médecine soutenue le 27 avril 2022, Lucie Roux a étudié "La qualité de vie des médecins généralistes en structures d’exercice coordonné dans les Hauts-de-France en 2021"*, une étude qui apporte un nouvel éclairage sur deux modes d’installations considérés comme attractifs pour les jeunes médecins.

Libéraux ou salariés, les praticiens interrogés ont des avis communs sur l’exercice coordonnée
Le travail en groupe au sein de structures pluriprofessionnelles est l’atout principal : il permet de rompre l’isolement, d’apporter une entraide professionnelle dans la prise en charge des patients et de partager ses expériences entre différents corps de métier. "Cette motivation qu’ont les médecins de notre étude à travailler de manière pluridisciplinaire, d’échanger avec leurs pairs est sûrement un facteur très déterminant dans leur qualité de vie professionnelle", analyse Lucie Roux. En revanche, chaque équipe au sein des MSP et des CDS exerce de façon différente cet exercice coordonné. Certaines missions peuvent être plus chronophages que d’autres, demander un investissement en formation personnelle et cela que l’on soit salarié ou libéral.

• Des libéraux en MSP écrasés par le poids des tâches administratives
L’exercice de la médecine générale libérale est soumis, quelle que soit la structure d’exercice, à des tâches administratives multiples. Celles-ci sont vivement critiquées par les médecins interrogés dans cette thèse. Les médecins libéraux interrogés doivent également fournir des démarches supplémentaires complexes pour gérer la MSP et son financement. Certains estiment que cette gestion était chronophage, et que le financement de la MSP était "lourd".

• Une charge de travail perçue plus intense en MSP que dans les CDS
Une grande majorité des médecins libéraux en MSP se plaignent d’une charge de travail intense, d’une "hypersollicitation", et certains estiment même être en surmenage. "Aucune étude n’a mesuré le taux horaire réellement effectué dans les deux structures d’exercice. Dans ma recherche, l’analyse n’a pas montré de différence statistique sur le temps de travail, compté en jours/semaine, des deux groupes, mais les libéraux semblent travailler plus que les salariés", note Lucie Roux.

• Des scores élevés de satisfaction de vie et du profil de santé dans les deux groupes
Dans l’ensemble, il existe peu de différences de qualité de vie entre les deux modes d’exercice dans l’étude. Ceci a été confirmé par la grande majorité des résultats. L’échelle visuelle de qualité de vie était identique en médiane à 8/10 dans les deux groupes et en moyenne à 7,75/10 pour les libéraux et de 7,84/10 pour les salariés. On peut considérer qu’il s’agit d’un niveau de vie élevé, car au-dessus de celui obtenu pour la population française en 2020 de 7,2/10 selon les recherches de l’Insee. Il est possible que les conditions matérielles et le niveau de vie élevé des médecins généralistes soit un facteur d’amélioration de cette note.
Concernant la qualité de vie au travail, calculée avec le score de Karasek, les deux groupes présentent un risque d’épuisement professionnel similaire.

• Des médecins salariés s’estimant restreints dans leur liberté d’exercice
L’exercice des médecins en centre de santé est soumis à une hiérarchie. En s’installant en CDS, le médecin salarié est relié par un contrat de travail à son employeur qui peut soumettre l’exercice du médecin à un certain nombre d’obligations qui n’existent pas en libéral. Dans l’optique de son bon fonctionnement financier, le centre de santé peut obliger les médecins à effectuer un nombre minimum d’actes médicaux par an. Cette obligation de rentabilité peut être une source de stress et être mal vécue par les médecins. 
De plus, les médecins ont un salaire fixe et ce quel que soit le nombre de consultations qu’ils effectuent par jour. Un médecin dans l'étude s’est plaint d’une 'rétribution moins importante' qu’en exercice libéral. Un autre estime qu’il faudrait augmenter ce salaire pour attirer plus de jeunes médecins vers l’installation. En effet, ce salaire est plafonné en CDS, alors que les revenus libéraux peuvent être plus importants selon l’activité réalisée.
La direction a aussi le droit de fixer le temps de travail du médecin, le rythme des consultations et de limiter le temps des congés accordés. Elle impose le mode de fonctionnement matériel et physique du cabinet. Un médecin salarié en CDS a même mentionné dans les commentaires ne pas disposer de son propre cabinet. D’autres ont trouvé qu’ils exerçaient dans de bonnes conditions et que l’exercice salarié était "confortable". Ne pas s’inquiéter des soucis matériels de son lieu de travail peut aussi être un avantage.

L'étude de Lucie Roux montre que les médecins généralistes exerçant en MSP et en CDS dans les Hauts-de-France ont un niveau de qualité de vie élevé. Ce niveau de qualité de vie, mesuré dans les dimensions subjectives de satisfaction de vie, de ressenti de santé physique et mentale, et de qualité de vie au travail, n’était pas très différent dans les deux groupes. L’exercice coordonné est vraisemblablement un atout pour l’épanouissement professionnel des médecins.

* Sur un total de 666 médecins exerçant en MSP dans les Hauts-de-France, 57 ont répondu, et sur 100 médecins généralistes salariés en CDS, 19 ont répondu à l’enquête.
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