Sous l’effet de l’évolution des besoins de prise en charge, les métiers se transforment, et de nouveaux profils émergent. Le dernier en date ? Les assistants médicaux… Leur « lancement » reste encore un peu timide avec 500 contrats signés (ou en cours de signature) avec l’Assurance maladie depuis septembre dernier, date d’entrée en vigueur officielle de ce nouveau « profil » censé décharger les médecins de certaines tâches et leur permettre de retrouver du temps médical. Mais pas seulement. « Le vieillissement de la population, la hausse des maladies chroniques et des facteurs de risque liés à des modes de vie ou des environnements s’intriquent à des situations sociales, elles aussi de plus en plus complexes avec la précarité de certains patients, les problèmes de logement des autres, des accès différenciés à certaines ressources », explique Cécile Fournier, médecin de santé publique, sociologue et chargée de recherche à l’Institut de recherche et documentation en économie de la santé (Irdes).

Cette intrication entre les problématiques sanitaires et sociales a amené les professionnels de santé à davantage d’articulation les uns avec les autres, et a conduit à la création de nouveaux métiers dans le champ sanitaire avec, il y a quelques années, les infirmières Asalée (Action de santé libérale en équipe) et, plus récemment, les coordinateurs ou encore les infirmières en pratique avancée (IPA). Enfin, elle a suscité une ouverture sur le secteur social avec l’arrivée de médiateurs, de travailleurs sociaux ou d’écrivains publics dans les structures d’exercice regroupé. L’objectif est triple : faciliter la coordination entre les soignants au sein de l’équipe, entre les soignants et les patients, et entre l’équipe et le reste du territoire.

Des métiers à adapter ou à créer

Les divers processus d’émergence des nouveaux métiers dans le secteur de la santé doivent toutefois être différenciés. « Chaque métier va suivre un mécanisme différent d’intégration à l’équipe de soins, indique Nadège Vezinat, maîtresse de conférences en sociologie à l’université de Reims Champagne-Ardenne. En sociologie du travail, l’apparition d’un nouveau métier peut survenir de deux manières. Il peut d’abord s’agir d’un métier déjà bien établi qui cherche à se séparer de certaines tâches et permet l’émergence d’un nouveau groupe professionnel. » Ce qui a motivé, par exemple, l’arrivée des coordinateurs de structure ? Le souhait d’hyperspécialisation [se recentrer sur son corps de métier, NDLR] des leaders des maisons de santé pluriprofessionnelles (MSP), souvent des médecins, contraints de gérer les emplois du temps de l’équipe ou d’organiser des réunions. Le second processus est contraire : « D’autres métiers sont plutôt créés en réponse à l’élargissement des missions des soignants au sein des MSP », poursuit-elle. Si les structures étaient à l’origine uniquement dédiées aux soins, la complexité des situations des patients a conduit les professionnels de santé à devoir gérer des problématiques davantage sociales, amenant ainsi au déploiement de nouvelles tâches et à l’arrivée des métiers du secteur social au sein de l’équipe.

Si les pratiques professionnelles évoluent, avec en toile de fond « la volonté de toujours améliorer l’accompagnement des personnes », rapporte Marie-Aline Bloch, chercheuse en sciences de gestion à l’École des hautes études en santé publique (EHESP), il ne faut pas pour autant crier victoire. Car sur le terrain, les cloisons restent présentes. En cause ? La construction historique des métiers générant une certaine hiérarchie entre les professionnels. « Certes, des liens se créent, mais sur le terrain, l’acceptation de changer les hiérarchies ou de faire évoluer les tâches demande un vrai travail, constate Cécile Fournier. On ne peut pas affirmer être passé d’un système de santé très cloisonné à un décloisonnement total, mais nous observons un décloisonnement en cours porté par des professionnels manifestant l’envie de travailler différemment et soutenu par les pouvoirs publics. » 

Expérimenter ou compléter

Là aussi, l’approche est double. Tout d’abord, l’arrivée de nouveaux métiers en raison d’un besoin localisé, précis, identifié par une structure. « La présence d’écrivains publics ou de médiateurs répond à un besoin local spécifique qui se construit avec les acteurs du terrain, explique Nadège Vezinat. L’interprétation singulière des besoins locaux conduit, selon les lieux, à rechercher certaines compétences plutôt que d’autres et à développer les nouveaux métiers de la structure en fonction des complémentarités souhaitées par les professionnels déjà en place. »

À titre d’exemple, la médiation fait partie intégrante des soins au sein de l’Association communautaire santé bien-être (ACSBE), centre de santé associatif situé dans le quartier des Francs-Moisins à Saint- Denis (Île-de-France). Dès 1985, le poste de médiateur y a été créé par les médecins pour faire adhérer à leur projet de santé les malades confrontés à des problématiques socio-économiques ou à des incompréhensions en lien avec une difficile maîtrise de la langue française. Si, à l’origine, les médecins s’appuyaient sur les habitants du quartier, les postes ont fini par évoluer.

Nathalie Coupeaux a rejoint le centre de santé associatif en 2015 comme médiatrice. Elle propose un accompagnement individuel et collectif dans le cadre de la promotion et de la prévention en santé, afin de faire le lien entre la structure, le territoire et les patients. « Le lundi matin, nous offrons un petit déjeuner aux habitants du quartier afin d’aborder, de manière informelle, des situations difficiles qui peuvent y avoir lieu, rapporte-t-elle. C’est un lieu où l’on repère les attentes et les besoins. » Pleinement intégrées à l’équipe, les médiatrices participent aux réunions pluriprofessionnelles mensuelles. « Nous sommes un soutien supplémentaire car nous permettons de mettre en place des projets de santé pour les patients et soulevons les difficultés qu’ils rencontrent », note-t-elle.

L’infirmière en pratique avancée (IPA), autre nouveau métier mis en place récemment, répond à un déploiement national avec une politique publique déclinée. Cependant, les négociations conventionnelles et l’avenant 7 signé le 4 novembre dernier « ont prévu un financement qui ne correspond pas à la pratique, avance Tatiana Henriot, infirmière libérale, IPA et présidente de l’Union nationale des infirmiers en pratique avancée (Unipa). L’Assurance maladie ne répond pas aux attentes des IPA et n’incite pas au déploiement de la pratique infirmière avancée libérale en soins primaires. »

En revanche, certaines ARS – comme celle de Provence-Alpes-Côte d’Azur – ont lancé une expérimentation au sein des communautés professionnelles territoriales de santé (CPTS), facilitant la rémunération des IPA. D’autant que certains médecins sont demandeurs. « Au sein du Pôle de santé du Sud-Ouest mayennais, nous avons eu la volonté d’être lieu de stage pour les IPA car nous pensons intégrer ce nouveau métier dans les deux prochaines années », explique Pascal Gendry, médecin généraliste. La présence du stagiaire a permis aux soignants d’élaborer la fiche de poste de la future IPA, une démarche collective importante car tous sont concernés par ses missions. « Sa présence doit s’intégrer dans les objectifs de l’équipe et de la structure », souligne-t-il. Deux infirmières libérales ont déjà manifesté l’envie de se former en 2020. « Avec les nouveaux métiers, nous sommes dans un projet collectif et, pour être acceptées, les nouvelles professions doivent lui apporter une plus-value ainsi qu’au parcours patient », poursuit le président d’AVECsanté.

Trouver sa (juste) place

L’acceptation de ces nouveaux profils est une question importante. « Les leaders doivent être convaincus de la nécessité d’intégrer un nouveau métier », soutient Marie-Aline Bloch. De leur côté, les nouveaux arrivants doivent user de pédagogie. « La grande difficulté est de les intégrer dans des équipes déjà constituées et qui fonctionnent, indique Nadège Vezinat. Il faut prendre le temps de discuter pour mieux se connaître. » Avant de prendre l’exemple du coordinateur : « Il repositionne complètement le rôle du leader. Son intégration se passe généralement bien si le leader a su se mettre en retrait et accepter un partage des tâches. » Et la formation peut y contribuer. L’EHESP en a d’ailleurs créé deux distinctes, à destination des leaders et des coordinateurs. Elles sont « nécessaires », pense Pascal Gendry, car « pour être leader, il ne suffit pas d’avoir du charisme. Mais aussi une méthodologie de projet, de stratégie ».

Le « flou » des missions de chacun peut tout de même avoir un avantage, estime Nadège Vezinat, car il permet aux équipes de déterminer ce dont elles ont vraiment besoin et de créer une fiche de poste adaptée. Car si le projet de santé est conçu par les professionnels de santé – gestion, gouvernance et définition de la stratégie d’équipe –, la coordinatrice en est le chef d’orchestre. Elle met en place le projet de santé, l’évalue et donne les méthodologies d’action.

… Et créer des ponts

Ces nouveaux arrivants permettent, « en ne faisant partie d’aucun clan, d’être à l’intersection de tous les professionnels déjà présents, souligne Nadège Vezinat. Ils ne s’inscrivent pas dans l’antériorité de conflits ». Ils peuvent donc participer à rompre une organisation du travail ancrée dans des routines. « Ce nouveau profil n’est pas pris dans les enjeux de concurrence ou de tensions au sein de la structure. Ce qui permet de recréer des ponts, par exemple entre deux médecins qui ne se parlaient plus ou entre deux infirmières qui ne faisaient plus que se croiser », ajoute-t-elle. « C’est une aventure humaine, celle d’une équipe dont chaque membre se remet en question et doit se repositionner », ajoute Cécile Fournier.

À l’exemple des métiers du secteur social, ces nouveaux métiers permettent de tisser des liens avec le territoire. « L’arrivée d’une nouvelle personne dans une équipe vient élargir les soins proposés aux patients et les collaborations possibles entre les professionnels », indique Cécile Fournier. Par exemple, si une coordinatrice se charge du lien avec les gestionnaires de cas de la Maia, les dispositifs d’appui à la coordination (DAC) ou les centres locaux d’information et de coordination (Clic), les soignants de la MSP peuvent, eux, se concentrer sur la prise en charge. D’ailleurs, quelle place est donnée aux patients dans cette reconfiguration ? « Ceux qui ont eu des problèmes de santé se disent les mieux placés pour venir en aide aux autres, explique Marie-Aline Bloch. On parle de savoir expérientiel, de patients-experts. » Mais les professionnels de santé sont parfois réticents à intégrer ces « nouveaux patients » au sein de l’équipe. « La question de la professionnalisation, et donc de la rémunération de ces patients-experts, n’est pas forcément acceptée », rapporte  Marie-Aline Bloch. Si de plus en plus de structures intègrent des comités des usagers dans leur fonctionnement, il semblerait que la démarche reste encore minoritaire pour le moment ; les professionnels de santé se laissant d’abord le temps de s’organiser entre eux.  

Des coordinateurs nombreux et variés

« Une multitude de coordinateurs sont apparus, et toute la problématique est de les positionner les uns par rapport aux autres » , rapporte Marie-Aline Bloch. Pour faire simple, deux niveaux de coordinateurs existent : les coordinateurs de parcours (et parmi eux les gestionnaires de cas) qui interviennent auprès des personnes malades, âgées et handicapées ; et les coordinateurs dits d’innovation, davantage institutionnels, qui font travailler ensemble les structures de santé, du médico-social et du social d’un territoire comme les pilotes Maia ou les responsables de dispositifs d’appui à la coordination (DAC). « Nous avons besoin des deux niveaux pour avancer au mieux autour de chaque cas patient, précise-t-elle. Toute cette gradation des soins et des aides doit être structurée sur le territoire. » 

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