* [Véronique Oms est coordinatrice de la MSP Lunelloise et du programme d’ETP ; Gaëlle Bacou est infirmière libérale, co-rédactrice et référente du programme d’ETP de la MSP Lunelloise ; et Laurence Safont est pneumologue libérale sur les MSP de Valras-Plage et de Thézan] 
 

L’éducation thérapeutique du patient est un pilier central dans la prise en soins des maladies chroniques. La loi "Hôpital, Patients, Santé, Territoires" (HPST) définit l’ETP comme un processus visant à aider les patients à réussir ou à maintenir les compétences nécessaires pour gérer leur maladie au quotidien. Reconnue comme essentielle par la Haute Autorité de santé (HAS), elle fait l’objet de dispositifs de soutien et de financements spécifiques de la part des agences régionales de santé. 

Aujourd’hui, l’offre d’ETP est largement portée par les structures hospitalières. Pourtant, par leur organisation en équipe pluriprofessionnelle et leur ancrage territorial, les maisons de santé disposent d’atouts considérables pour répondre aux besoins croissants liés aux pathologies chroniques, en assurant une prise en soins globale et coordonnée des patients. Malgré ce potentiel reconnu, nous savons – pour l’avoir vécu – que la mise en œuvre effective d’un programme d’ETP en MSP se heurte à de nombreux obstacles… 

 

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Pour cette enquête, nous avons ciblé les 270 maisons de santé occitanes signataires de l’accord conventionnel interprofessionnel (ACI), ayant mis en place un programme d’ETP ou non. Un questionnaire en ligne leur a été ensuite adressé – également relayé par la Fécop – qui a permis de récolter 80 réponses d’équipes. La majorité était déjà sensibilisée ou engagée, que ce soit dans le cadre d’un programme d’ETP ou d’actions éducatives hors programme. Nous avons exploré leurs pratiques et dynamiques en matière d’ETP, les caractéristiques d’équipes ainsi que les freins et leviers rencontrés ou perçus, à développer un programme d’ETP, qu’elles réalisent ou non un programme. Sur les 80 MSP répondantes, 18 mènent déjà un programme d’ETP. 

Des leviers et des freins… en miroir

L’enquête montre que les leviers cités par les équipes correspondent souvent, en creux, à leurs freins. Formation, coordination, financement, implication des acteurs… Lorsqu'ils sont présents, tout s’accélère ; lorsqu’ils manquent, tout se grippe. 

> Le temps, principal obstacle 

En tête des freins : le manque de temps des professionnels de santé : le temps pour concevoir et faire vivre un programme d’ETP, le temps pour orienter les patients, le temps pour suivre la formation ETP de 40 heures, obligatoire pour intervenir sur un programme... Malgré une motivation notable des professionnels de santé à diversifier leur activité via l’ETP, cette réalité temporelle bien ancrée dans les agendas de chacun cristallise les envies collectives. 

> Financements ; un catalyseur exigeant 

En Occitanie, l’ARS attribue, à chaque équipe, un financement annuel de 350 euros par patient ayant finalisé le programme d’ETP, afin de couvrir les outils, la coordination et l’intervention des professionnels. Mais cette aide est conditionnée à l’atteinte d’un seuil plancher annuel de 25 patients ayant finalisé le programme – en dessous de ce seuil, aucun financement n’est versé. Un obstacle d’autant plus difficile à franchir, compte tenu de freins cités fréquemment : manque d’orientation de la part des professionnels de santé et assiduité inégale des patients car tous ne vont pas au bout du programme. Ainsi, en 2023, seules 4 des 18 équipes ont atteint le seuil des 25 patients… 

Et notre enquête a révélé que 13 de ces 18 MSP mobilisent le financement ACI (à travers entre autres la mission de santé publique), pour donner à leur programme les moyens de leurs ambitions. 

> Mutualisation, une piste (en partie) porteuse 

Certaines structures (associations) endossent le rôle de porteur administratif dans un programme d’ETP, pour le mettre à disposition des équipes. 

Lorsque le programme est porté administrativement par une structure externe, la maison de santé est déchargée des formalités et contraintes administratives avec l’ARS – frein cité à de nombreuses reprises. Ce dispositif allège également la pression liée au seuil des 25 patients, celui-ci étant mutualisé entre l’ensemble des équipes impliquées.  Chaque équipe perçoit alors, via la structure porteuse, une partie des 350 euros attribués à chaque patient.  

La mutualisation a séduit 8 des 18 équipes engagées dans un programme d’ETP, mais elle ne suffit manifestement pas à lever tous les obstacles… Dans les faits, le nombre de patients inclus reste limité – le plus haut niveau observé s’élevant à 13 pour une équipe. Par ailleurs, 45 équipes déclarent vouloir se lancer dans l’ETP sans franchir le cap, signe que les contraintes administratives et le seuil de 25 patients ne sont pas les seuls freins à surmonter. 

> Formation : un prérequis, pas un sésame 

La formation initiale des 40 heures est un prérequis réglementaire qui acculture les soignants à un projet pluriprofessionnel ETP et à une posture éducative. Selon de nombreux répondants, la présence de professionnels formés aux 40 heures dynamise le projet mais son coût et le temps qu’elle exige, freinent pourtant son accès.  

Et la formation ne fait pas tout : même dans les équipes déjà bien armées – 41 d’entre elles comptent plus de trois membres formés – le passage à l’action ne suit pas toujours. La marche reste haute entre être formé… et se lancer réellement dans l’ETP. 

> Le coordinateur, pièce maîtresse  

Un programme d’ETP ne se pilote pas seul. Il faut un moteur : le coordinateur. Qu’il soit celui de la MSP ou dédié à l’ETP, le constat est clair : plus son temps rémunéré est important, plus la dynamique s'installe et les patients s'inscrivent.  

Les coordinateurs le confirment : là où leur fonction est inscrite noir sur blanc dans une fiche mission et est dotée du temps nécessaire, le projet avance et la participation décolle. Là où elle est floue, pas ou peu rémunérée, ou réduite à quelques heures, le projet s’essouffle et le recrutement patient patine… 

> Nouveaux métiers et patients partenaires : des atouts qui changent la donne 

Infirmières en pratique avancée (IPA), infirmières Asalée (Action de santé libérale en équipe), et assistants médicaux sont identifiés comme des leviers majeurs pour le recrutement et le développement de programmes d’ETP. D’ailleurs, plus de 83% des MSP (15/18) en comptent au moins un/une dans leur équipe. 

Quant aux patients partenaires, ils restent rares : seules 3 MSP engagées dans un programme en comptent au sein de leur équipe. Pour elles, leur présence apporte légitimité, sens, savoir expérientiel et expertise. Et les résultats parlent d’eux-mêmes : 2 de ces 3 structures affichent, en 2023, des taux de finalisation de programmes particulièrement remarquables.  

> Le bénéfice patients, entre évidence et complexité 

Les MSP qui pratiquent l’ETP soulignent avec force l’impact positif sur la santé et le quotidien des patients, impact qu’elles considèrent comme un levier fort de motivation et de satisfaction pour leur équipe. De leur côté, celles ne mettant pas en œuvre de programmes évoquent essentiellement des leviers très opérationnels (plus de temps, de financements, de coordination…), et mentionnent rarement ceux liés aux bénéfices patients. La dimension "patient" qui ne leur échappe pas (puisqu’elle est le sens de leur engagement au quotidien), se retrouve occultée par cette focalisation sur la complexité opérationnelle. 

Focus

Quand enquête et vécu se rejoignent

À la MSP Lunelloise, nous avons également été confrontées aux mêmes réalités que celles mises en lumière par l’enquête. Initié en 2017 avant même la création de la structure, notre projet phare – "Je suis diabétique, mais les complications ? Très peu pour moi !" – n’a cessé d’évoluer. L’équipe a testé, ajusté, exploré des nouvelles pistes parfois fait fausse route… puis rectifié le tir. Nous avons débattu, questionné, brainstormé jusqu'à enfin trouver ce qui fonctionne vraiment pour nos patients et notre équipe afin d’optimiser l’accès, l’efficacité et l’impact de notre action.  

En 2023 comme en 2024, 49 patients ont finalisé le programme. Les effets constatés sur la santé et l’état d’esprit des patients sont concrets : baisse de l’hémoglobine glyquée, de l’IMC, hausse de l’activité physique, amélioration de l’observance et du suivi médical. Ces indicateurs confirment un impact positif net sur la santé des patients, tout en renforçant leur autonomie et leur rôle d’acteur de leur santé. 98 % se déclarent satisfaits à très satisfaits et c’est là notre plus belle récompense.  Ce projet gratifiant et motivant pour l’équipe met en exergue les bénéfices pour le patient d’une approche pluriprofessionnelle qui va au-delà de la juxtaposition de nos suivis individuels. 

L’ETP un défi stratégique

Les retours des MSP engagées dans un programme d’ETP qui fonctionne sont clairs : sa mise en place est un défi, mais un défi payant. Porté collectivement, un programme devient un levier puissant, avec des bénéfices concrets tant pour les patients (amélioration de la santé, suivi renforcé, qualité de vie accrue) que pour les équipes (satisfaction professionnelle, valorisation de l’expertise et du travail collectif) et le système de santé (réduction des coûts liés aux maladies chroniques et performance renforcée grâce à des patients plus autonomes et mieux suivis). 

Ces résultats de notre enquête parlent d’eux-mêmes : l’ETP doit changer d’échelle, avec plus de programmes, plus de patients, plus d’impact sur la santé publique, et des économies substantielles à la clé.  

En Occitanie, l’ARS affiche une politique de santé ambitieuse en matière d’ETP, portée par un service dédié qui s’engage aux côtés des équipes par des financements ciblés et un accompagnement attentif des porteurs de projets. Ce soutien solide, généreux et structurant doit être pérennisé pour permettre aux MSP, de gagner en maturité et de développer des projets d’ETP ambitieux, ancrés dans une dynamique pluriprofessionnelle forte.   


Nous espérons jouer notre rôle pour que d’autres MSP passent le cap de l’ETP. 
 

* Les auteurs ne déclarent pas de liens d'intérêts

NOTE
* Nous remercions chaleureusement l’ensemble des équipes MSP qui ont répondu à notre enquête ainsi que notre équipe ETP, véritable moteur et boussole de ce travail, qui inspire et porte notre engagement depuis toutes ces années. 

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