Article publié dans Concours pluripro, novembre 2025

"Comment améliorer la coordination territoriale des soins ?" Ce mémoire, que vous finalisez, est réalisé dans le cadre d’un master Gestion et politiques de santé à Science Po. Vous êtes déjà médecin en exercice. En quoi cette thématique vous a semblé essentielle ?

Pour vous répondre, je vais tout d’abord faire un bref retour sur mon parcours. J’ai exercé comme infirmier pendant trois ans, dont sept mois en mission humanitaire avec Médecins sans frontières. Une expérience qui m’a donné le goût du collectif. Je me suis ensuite ré­orienté vers des études de médecine. Et après ces années d’exercice, où la notion de coordination est centrale, je me suis rendu compte, à la fois pendant la formation et dans l’exercice de la médecine générale, à quel point cette dimension du collectif manquait en ville. La coordination est partout invoquée, mais rarement rendue possible dans les faits.

En préparant mon mémoire à Sciences Po, j’ai voulu comprendre pourquoi la coordination restait un angle mort de notre système de santé. J’ai rapidement constaté que l’enjeu majeur des prochaines années serait la prise en charge des maladies chroniques, un domaine qui exige par nature une coopération étroite entre le sanitaire, le social et le médicosocial. Or notre organisation actuelle, encore très segmentée et verticale, ne facilite pas ce travail commun.

Ce mémoire en cours vise donc à identifier des leviers concrets pour rendre cette coordination réellement opérante – financements, formation, gouvernance, outils numériques et implication des patients. À partir d’une analyse documentaire et d’entretiens de terrain, j’explore la façon dont ces dimensions peuvent être articulées pour améliorer la coordination territoriale des soins.

 

La coordination territoriale n’est pas uniquement une affaire de médecins, "mais un projet collectif de santé publique fondé sur la complémentarité des compétences et la solidarité territoriale", dites-vous. Que peut et doit faire le médecin généraliste, comme "ambassadeur", "référent personnel" et "chef d’orchestre" dans ce projet collectif ?

Le médecin joue tous ces rôles à la fois, mais évidemment, en tant que chef d’orchestre, il ne fait pas tout lui-même. Il ne joue pas de tous les instruments ! Son rôle, c’est de connaître les autres acteurs : infirmières, kinés, pharmaciens, travailleurs sociaux... et de savoir à qui déléguer, dans un climat de confiance. Mais cette culture du travail en équipe reste très inégale.

Prenez les études médicales qui valorisent surtout la performance intellectuelle et technique, tandis que la formation infirmière repose davantage sur le savoir-être, la coopération, le collectif. Résultat : les médecins arrivent dans la vie professionnelle sans avoir vraiment été préparés à un mode d’exercice collégial. Pendant la formation infirmière, on apprenait l’équipe, l’équipe, l’équipe ! ça faisait vraiment partie de la culture professionnelle. Alors que les études médicales restent quand même grandement fondées sur la connaissance technique, le savoir intellectuel mais, finalement, les notions de coopération et de management ne sont pas abordées... ou très peu. Il faudrait apprendre ensemble avant de travailler ensemble. Certaines écoles de santé commencent à le faire : médecins, kinés, infirmières partagent des modules de formation, échangent leurs représentations, découvrent leurs complémentarités. C’est dans ce type de formation interprofessionnelle que se joue la culture de la coordination.

 

Aujourd’hui, le modèle économique des infirmières en pratique avancée (IPA) est complexe, du fait notamment d’une forme de réticence de certains médecins généralistes. Vous étiez infirmier, vous êtes aujourd’hui médecin… Comment faire pour mieux valoriser les uns tout en rassurant les autres ?

Le modèle économique des IPA est effectivement complexe, mais le vrai sujet dépasse le financement : c’est un problème de positionnement. Ayant été infirmier avant de devenir médecin, je comprends bien d’où viennent les réticences. À mes yeux, l’IPA n’est plus vraiment une infirmière, mais elle n’est pas non plus une véritable profession médicale intermédiaire. Et, d’ailleurs, les IPA elles-mêmes ne revendiquent pas ce statut.

La difficulté vient aussi du fait que ces réformes ont été pensées d’en haut : Pass/LAS, passerelles, création des IPA... Les professionnels ont été mis devant le fait accompli. Résultat : les médecins se demandent comment articuler leur pratique avec celle des IPA, et les IPA, faute d’un cadre clair, occupent difficilement la place que les tutelles voudraient leur attribuer.

Pour rassurer les médecins, il faut d’abord sécuriser la question de la responsabilité : qui fait quoi, jusqu’où, avec quel niveau de formation et de supervision. Beaucoup craignent l’émergence d’une « voie bis » vers l’exercice médical, plus courte et moins coûteuse : cette inquiétude doit être entendue.

Ensuite, il faut clarifier le statut des IPA, et éventuellement renforcer leur formation si l’on souhaite en faire de véritables professions intermédiaires. C’est ce que j’esquissais dans Un petit médecin*, avec une filière L-M-D en santé (L : sciences infirmières ; M : professions médicales intermédiaires [dont les IPA, mais avec un niveau de formation renforcé] ; D : docteurs en médecine).

Enfin, la coopération doit pouvoir exister au quotidien : aujourd’hui, médecins et IPA travaillent dans des systèmes d’information qui communiquent mal, voire pas du tout. Sans outils numériques communs, aucune organisation intégrée n’est possible.

La pénurie médicale contraint à envisager d’autres solutions, comme la délégation de tâches. Avec, d’une part, des crispations des médecins qui se sentent « dépossédés » de leurs missions. Et, d’autre part, d’autres professions de santé (pharmaciens, infirmières, kinés…) qui voient leur champ de compétences s’élargir. Est-ce que, pour autant, ça rend le système plus accessible, plus lisible ?

La pénurie médicale ne se résume pas au numerus clausus. Elle s’explique aussi par une sélection trop citadine, une formation hospitalocentrée et une survalorisation des spécialités techniques. Dans ce contexte, l’élargissement des compétences d’autres professions n’a pas automatiquement rendu le système plus lisible : on a ajouté des interlocuteurs mais sans clarifier l’organisation d’ensemble.

Pour que la délégation de tâches devienne un levier d’accessibilité, il faut organiser les parcours plutôt que juxtaposer des compétences
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