Sans chercher à les forcer, comment convaincre les professionnels réfractaires à cet exercice qu’ils considèrent comme chronophage ?
J’ai peut-être une vision plus optimiste ou positive que vous ! Il y a certes un effet de génération et d’habitudes, mais les contraintes de la démographie médicale, les inégalités d’accès aux soins sur le territoire, les évolutions des systèmes d’information... tout cela va dans le même sens. Si on regarde les dix à quinze dernières années, les positions des différentes organisations se sont massivement mises en soutien de cette logique de coordination. Mais il faut qu’on propose des outils et des incitations financières adaptés sur le terrain pour que certains puissent passer le
cap. En revanche, je ne vois pas beaucoup des positions profondément opposées à cette organisation. Mais je partage le fait que l’exercice coordonné ne doit pas être un modèle ou une formalisation unique.
Faire adhérer les professionnels à ce mode d’exercice, cela passe aussi par la formation ?
Oui, cela fait partie des leviers. Mais ça passe aussi, dans une autre mesure, par l’émergence des CPTS, certes à une échelle territoriale différente, qui va favoriser un dialogue entre les professionnels, offrir une meilleure visibilité des acteurs et attiser la curiosité… Je ne sais pas si c’est la formation « pure » qui va déclencher l’envie mais plutôt l’expérience de différentes formes de partage de pratiques et d’organisations. C’est la raison pour laquelle nous voulons agir plus vite et plus fort pour les soutenir à travers cet avenant sur l’ACI… D’ailleurs, en décembre dernier, cette forte dynamique s’est exprimée car nous avons eu une trentaine de signatures de CPTS sur l’ensemble du territoire. Il faut qu’on capitalise : c’est une offre d’organisation différente, à une
maille du territoire plus large, mais qui va progressivement structurer le paysage…
Justement, le plan « Ma santé 2022 » pose comme objectif de déployer 1 000 CPTS à l’horizon 2022. Les derniers chiffres recensent 597 projets en cours. L’objectif initial sera-t-il atteint ?
Rendez-vous fin 2022 ! (rires) Plus sérieusement, on voit qu’il y a une émergence des projets et une accélération du passage de projets en communautés fonctionnelles. Notre priorité est d’accompagner ces projets, notamment grâce à des financements plus conséquents qui interviendront plus tôt dans la vie du projet, dès l’amorçage de la CPTS, et grâce à un soutien administratif et juridique… Il ne s’agit pas de faire à la place des professionnels mais de mettre à leur disposition des équipes administratives, juridiques et financières afin de traduire leur projet en projet en santé et de lui donner corps.
2020 a été marquée par la crise qui a gelé des projets ou retardé leur éclosion. Je suis persuadé qu’on aura un effet d’accélérateur significatif en 2021. Arrivera-t-on aux 1 000 CPTS en 2022 ? Il est trop tôt pour le dire, mais on est très aligné avec nos partenaires (professionnels de santé et ARS) sur le fait qu’au-delà de l’objectif quantitatif, il y a, avant tout, la nécessité d’avoir des CPTS qui ont
une réalité. Rien ne serait pire que compter 1 000 CPTS mais dont certaines seraient des coquilles vides. C’est aussi la raison pour laquelle ça prend du temps.
Vous parlez de l’échéance 2022. Qu’en sera-t-il des outils, type dispositif « article 51 », actuellement en expérimentation ?
Il y aura évidemment des évaluations et donc des enseignements à en tirer. Je salue la dynamique extrêmement forte de cette initiative qui compte des projets qui touchent plusieurs secteurs, professionnels, territoires et acteurs… Et je crois que le ministère de la Santé, l’Assurance maladie et leurs partenaires s’assurent tous que le terrain s’exprime en fonction de ses besoins, propose desorganisations innovantes et des modes de financement différents ou une évolution des compétences. Il y a un travail d’évaluation systématique et exigeant en place pour chaque projet, avec ce souci d’expérimenter pour en tirer des leçons. Il faut rappeler que si on a abouti aujourd’hui à la structuration des MSP et des nouveaux modes de rémunération, c’est grâce notamment aux expérimentations qui ont eu lieu dans les années 2000 et début 2010. Le challenge sera de tenir une évaluation rigoureuse et, sans faire de tri, d’en tirer les enseignements pour un déploiement éventuel sur la France entière.
Quelles leçons tirer de la gestion de la crise sanitaire par rapport à la notion de coordination et des organisations coordonnées ?
On a vu que dans les territoires qui comptaient déjà des CPTS formalisées ou embryonnaires, cela a été plus simple de construire des centres Covid, d’organiser des équipes mobiles de dépistage coordonné entre biologistes, infirmières et médecins… La crise a révélé l’intérêt de cette coordination en ville mais aussi vis-à-vis du secteur hospitalier. Toutefois, elle a aussi montré les
limites de nos systèmes d’information et notamment le recours à la messagerie sécurisée de santé, qui reste peu utilisée aujourd’hui. On voit que sur un certain nombre de sujets, on peine à organiser des circuits d’information efficaces et un peu automatisés, obligeant les professionnels à « bricoler ». Le déploiement de la feuille de route numérique en santé fait partie de nos priorités sur 2021, notamment développer l’usage de cette messagerie dont les chiffres sont aujourd’hui trop marginaux pour en faire un vrai outil de coordination.