Interview à retrouver dans Concours pluripro, mars 2023
 

Vous êtes directeur du Pôle fédératif des soins primaires. Comment est né ce Pôle ?

Cette structure a été constituée après un appel à projets lancé conjointement par les ministères de la Santé et de l’Enseignement supérieur en vue de "renforcer les échanges entre les formations de santé, mettre en place des enseignements communs et garantir l’accès à la formation par la recherche". Alors que l’équipe universitaire que je dirige comportait de nombreux médecins généralistes en exercice dans des maisons de santé ou en équipe de soins primaires, et que beaucoup étaient investis dans la création des CPTS, cet appel à projets a retenu notre attention et celle de nombreux acteurs avec lesquels nous travaillions dans l’environnement universitaire. L’idée était de mettre en place des approches transversales et pluridisciplinaires permettant, dès la formation initiale, de créer les interactions que l’étudiant rencontrera ensuite en situation de soins dans les maisons de santé, les équipes de soins primaires et les CPTS.

Nantes Université a donc déposé un projet de consortium associant de très nombreux acteurs. Le Pôle fédératif des soins primaires associe ainsi plusieurs organismes de formation et de recherche : les facultés de médecine, de pharmacie, d’odontologie, l’UFR Staps, le CHU, son institut de formation en soins infirmiers et son école de sages-femmes, l’Institut de formation aux métiers de rééducation et de réadaptation (IFM3R) avec les kinésithérapeutes et les podologues. Le CHU amène aussi une expertise en recherche sous l’en-tête de la direction de la recherche, tout comme d’autres partenaires de recherche. Sont finalement membres les partenaires institutionnels suivants : l’ARS, le conseil régional, l’Assurance maladie, qui connaissent bien les problématiques de l’exercice pluriprofessionnel.

La gouvernance du Pôle fédératif des soins primaires s’appuie aussi sur un conseil territorial où sont représentés différents acteurs professionnels ayant une expertise sur l’évolution des métiers : Ordres professionnels, URPS, représentants des modes d’exercice en maisons ou centres de santé, en équipes de soins primaires, représentants des CPTS. L’observatoire régional de santé amène ses connaissances sur l’évolution des modes d’exercice.

Quels sont les objectifs du Pôle ?

Sur le versant formation, il s’agit de mieux former les étudiants aux nouveaux modes d’exercice en équipe de soins primaires et de les sensibiliser à l’existence de compétences partagées. Mais aussi d’identifier que certaines compétences sont mobilisées en complémentarité, alors que d’autres sont communes entre plusieurs métiers et interviennent en recoupement. C’est le cas par exemple entre sages-femmes et médecins généralistes qui peuvent, de la même façon, faire des frottis ou assurer le suivi de grossesse. Des compétences peuvent aussi être partagées entre IPA et médecins généralistes pour le suivi des patients chroniques… Il s’agit de travailler sur ces compétences partagées alors que nos formations par filière amèneraient spontanément certaines professions à vouloir se prévaloir de certaines capacités, de façon exclusive ou prioritaire.

Dans le cadre de la valence recherche, un objectif du Pôle est de développer une expertise sur les pratiques innovantes qui deviendront les pratiques de référence de demain. Alors que les universitaires de diverses disciplines peuvent participer à développer de nouvelles thérapeutiques qui seront utilisées dans la pratique courante après une phase d’évaluation et de validation, les acteurs académiques travaillant dans le champ des soins primaires ont vocation à développer une expertise sur de nouvelles organisations, sur les nouveaux modes de fonctionnement, dès lors qu’il s’agit du coeur de l’innovation dans nos métiers.

Le Pôle permet également de mettre en lien, d’une part, les acteurs de la formation et de la recherche et, d’autre part, les acteurs professionnels, qui sont peu représentés dans l’environnement académique alors même que ces acteurs professionnels expérimentent parfois des fonctionnements très innovants. On pourrait citer deux chantiers qui ont mobilisé les acteurs du Pôle ces derniers mois, deux chantiers pour lesquels le Pôle a travaillé à identifier les priorités dans la formation initiale.

Premier chantier : la formation à la pratique en soins primaires des IPA. À Nantes, les IPA étaient essentiellement formées à exercer dans un domaine disciplinaire spécifique, comme la cancérologie, la cardiologie ou l’hématologie. En revanche, le fait de travailler dans l’environnement
particulier qu’est celui de la ville, avec des patients polypathologiques, n’est pas forcément simple quand on bénéficie d’une formation, durant seulement deux ans. Le Pôle a donc fait évoluer le programme de façon à garantir une meilleure acculturation mais aussi à ce que les étudiants soient en capacité, une fois formés, de prendre leur fonction dans un environnement de soins primaires.

Deuxième chantier : les stages interprofessionnels, qui doivent permettre aux étudiants (médecins, pharmaciens, kinésithérapeutes) d’aller découvrir le métier del’autre lors d’un stage en soins primaires. L’enjeu est qu’en arrivant sur un territoire les professionnels nouvellement diplômés aient plus de capacité à interagir et à s’interpeller entre collègues. Alors que le nombre de terrains de stage interprofessionnels n’est pas assez élevé pour pouvoir proposer ces stages à tous les étudiants, le conseil territorial du Pôle participe à activer le réseau des équipes et soignants sur le terrain.

Vous évoquez les difficultés d’accès à des terrains de stage interprofessionnels. Que proposez-vous comme solution ?

Le travail de réseau et de mobilisation est primordial, mais nous avons aussi constaté qu’il fallait lever des freins organisationnels liés à des logiques de filière. Dans chaque filière, l’usage est d’adresser l’étudiant à un maître de stage. Le terrain de stage est référencé sous l’en-tête de ce maître de stage dans une cohérence monoprofessionnelle. La réalité montre que sur le terrain le maître de stage travaille avec une équipe, plus ou moins formalisée, comportant les autres acteurs professionnels de soins primaires. Dans le cadre du développement des stages interprofessionnels, nous avons travaillé à placer un étudiant non pas auprès d’un maître de stage mais au sein d’une équipe dont la porte d’entrée serait le maître de stage. Les services de l’université nous ont aidés à rédiger des conventions secondaires pour formaliser le fait que, quand un étudiant va chez un médecin généraliste et qu’il doit découvrir l’exercice du kinésithérapeute, il puisse être accueilli dans un cadre juridique approprié. La qualité du stage sur le site secondaire implique d’une part que les objectifs pédagogiques soient bien définis, d’autre part que le cadre assurantiel permette au stagiaire de participer au soin. Le stagiaire ne doit pas être cantonné à un strict travail d’observation.

Aujourd’hui, rien n’est prévu pour indemniser un professionnel qui accueille un étudiant d’une autre profession ou spécialité…

Grâce au soutien de l’ARS, nous avions pu mettre en place un modèle de financement entre 2017 et 2020 pour dix équipes investies dans une contractualisation avec l’université et qui accueillaient des étudiants. Le professionnel accueillant un étudiant d’une autre discipline était indemnisé pour le temps passé en situation d’accueil. La découverte de l’exercice interprofessionnel se faisant sur un temps réduit à l’échelle des stages, l’indemnisation allouée était modeste mais permettait la reconnaissance d’un investissement professionnel. Malheureusement, ce mode de financement n’a pas été pérennisé.

La démarche que porte le Pôle est-elle bien soutenue par vos collègues ?

J’exerce en Pays de la Loire où l’exercice coordonné – en maison de santé, en équipe de soins primaires, en CPTS – est largement développé. Pour autant, il est vrai que cette modalité d’exercice ne concerne pas l’ensemble de nos maîtres de stage. Elle reste minoritaire… et c’est en cela qu’elle est innovante !

À l’heure où il existe des interrogations dans la profession, où les universitaires de médecine générale font état de leur vigilance sur l’évolution du système de soins, il ne faut pas tout mélanger : il y a un réel engagement au sein du Pôle fédératif des soins primaires, car tout le monde est convaincu que l’évolution des métiers est incontournable. L’enjeu est cependant de créer l’expertise appropriée pour garantir une prise en charge de qualité au service de la population.

À vos yeux, comment se porte la recherche en soins primaires en France ?

Elle se développe. Il faudrait d’ailleurs un article dédié pour en parler. Le gouvernement en a fait l’une des trois priorités dans sa lettre de cadrage confiée à l’organisme F-Crin. Il existe désormais des appels à projets dédiés (comme ReSP-Ir piloté par la DGOS), de sorte qu’il y a des opportunités de financement. Un sujet pour les années à venir sera la capacité des acteurs de soins primaires à concevoir eux-mêmes des projets de recherche. À cet égard, le sujet pour notre communauté sera d’avoir des chercheurs. Pour cela, il faut les former... et ça ne se fait pas du jour au lendemain !

Depuis une quinzaine d’années, la dynamique de la filière universitaire de médecine générale a permis de constituer un contingent de chercheurs dans les départements de médecine générale. Ces chercheurs, eux-mêmes acteurs de soins primaires, portent des projets construits en équipe avec des chefs de projet, attachés de recherche clinique, data managers, biostatisticiens mais aussi avec des sociologues, des économistes de la santé, des épidémiologistes. La recherche, c’est une aventure collective.

Pour demain, il faudra que les équipes de chercheurs en soins primaires s’étoffent, avec des IPA, des kinésithérapeutes, des pharmaciens qui vont s’inscrire en cursus doctoral et construire un parcours de chercheurs. Ils amèneront leur expertise issue d’un exercice en soins primaires ambulatoires. Des collègues à Nantes mais aussi à Grenoble, à Angers sont dans cette dynamique. La recherche en soins primaires, c’est quelque chose qui va se développer, qui doit se développer.
 

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