Vous avez codirigé, avec Claire Perrin, le rapport "Mailler les réseaux sport-santé" publié en avril dernier. Pourquoi cet intérêt de plus en plus appuyé et affirmé pour l'activité physique à visée de santé ?

L’intérêt renforcé pour l’activité physique à visée de santé s’inscrit dans une double dynamique. D’une part, une transition épidémiologique et démographique majeure affecte nos sociétés contemporaines : la prévalence des maladies chroniques explose (plus de 20 millions de personnes concernées en France), en lien avec l’allongement de la durée de vie et l’élévation de l’âge moyen. D’autre part, une accumulation de données probantes démontre que l’inactivité physique est un facteur de risque majeur, mais également que l’activité physique adaptée agit à tous les niveaux de prévention (primaire, secondaire, tertiaire)

La sédentarité représente un fardeau économique considérable : près de 16,7 milliards d’euros par an selon le Bureau de l’économie du sport (2018), et plus de 90 milliards d’euros pour la prise en charge des maladies chroniques. Ce contexte a justifié une mise à l’agenda politique du "sport-santé", dans une logique de performance sanitaire, économique et sociale. À cela s’ajoute une dynamique de professionnalisation du champ autour des enseignants en APA notamment, et une volonté politique d’agir sur les modes de vie pour contenir les coûts de santé, améliorer la qualité de vie et répondre à une demande sociale croissante.

Quels sont les principaux freins dans la mise en pratique aujourd'hui ? 

Notre enquête identifie plusieurs freins majeurs : 
Un empilement de dispositifs non coordonnés : l’écosystème du sport-santé français souffre d’un enchevêtrement d’acteurs et de dispositifs qui coexistent sans régulation centrale claire. Cette fragmentation nuit à la lisibilité de l’offre pour les prescripteurs, les professionnels et les bénéficiaires eux-mêmes ; 
Des outils numériques et des annuaires peu fonctionnels : la prolifération d’annuaires et de cartographies locales, souvent hétérogènes et non interopérables, aboutit paradoxalement à une désorientation des utilisateurs et des professionnels. Ces outils sont à l’échelle nationale peu utilisés, peu mis à jour, et souvent redondants et/ou contradictoire ; 
Des tensions interprofessionnelles persistantes : o
n observe une absence de reconnaissance des compétences spécifiques entre professions (enseignants en APA, masseurs-kinésithérapeutes, éducateurs sportifs, médecins etc.). Cela génère des conflits de légitimité, des concurrences de périmètres et des doutes sur les rôles respectifs. Ce flou nuit à la coordination et à l’efficacité des parcours, pourtant essentiels pour transformer les habitudes de vie en matière d’activité physique ; 
Des contraintes économiques majeures : les ressources financières sont très limitées pour structurer durablement les dispositifs territoriaux. Beaucoup de MSS, d’associations ou de plateformes sont dépendantes d’appels à projets temporaires, sans financement pérenne. Cela entraîne une forte instabilité des équipes, une faible professionnalisation et une fatigue organisationnelle. Les logiques de file active, parfois au détriment de l’inclusion des publics les plus éloignés et avec une trop faible centration sur l’engagement des bénéficiaires à long terme. De même, l’absence de prise en charge généralisée de l’activité physique adaptée est un frein déjà largement identifié ; 
 Un manque d’opérateurs sur certains territoires : dans de nombreux départements, en particulier dans les zones rurales ou défavorisées, l’offre de pratique est insuffisante et le nombre d’enseignants en APA ou d’éducateurs sportifs formés disponibles ne permet pas d’absorber la demande potentielle. Le risque est alors une dégradation qualitative, la difficulté voire l’impossibilité à trouver une pratique et un accueil adaptés pour l’usager et plus globalement, une rupture du parcours d’activité physique ; 
Des difficultés propres au mouvement sportif : le mouvement sportif fédéral, bien qu’interpellé par les pouvoirs publics, investit très inégalement la question du sport-santé. Certaines fédérations ont engagé une politique ambitieuse mais beaucoup restent centrées sur la compétition ou le loisir sportif traditionnel. De plus, la professionnalisation insuffisante des structures locales (clubs, comités) et l’hétérogénéité des compétences, des ressources et des formations rend difficile la prise en charge de publics à besoins spécifique ; 
Une difficile instauration de la prescription médicale : la loi de 2016 a introduit la possibilité de prescription d’activité physique par les médecins, mais cette approche reste très médico-centrée. Elle ne suffit pas à structurer des parcours durables. Beaucoup de patients ne reçoivent pas de prescription, ou n’y donnent pas suite faute d’accompagnement. L’accent reste mis sur la prévention secondaire/tertiaire, avec une sous-utilisation de la prévention primaire.

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