D’après la conférence d'André Grimaldi, professeur émérite d’endocrinologie-diabétologie au CHU La Pitié-Salpêtrière, lors du Cycle 2018 de la Chaire Santé SciencesPo : "La 'révolution' hospitalière : 1958-2018".
Dix ans après la réforme voulue par Robert Debré (encadré), le mouvement de 1968 anti-autoritaire fut marqué à l’hôpital par un mot d’ordre, la collégialité, et par la fronde des chefs de clinique contre les "patrons", qui aboutit à la disparition du pouvoir mandarinal : "Avec l’externat pour tous puis l’internat pour tous, les patrons cessèrent d’avoir la toute-puissance sur la carrière de leurs élèves !". Mais avec la séparation des médecins et des infirmières, le placement des cadres de santé sous l’autorité directe de l’administration, les 35 heures et la mobilité des personnels, le travail d’équipe est devenu chaotique, le pouvoir médical s’est étiolé. L’instabilité des moyens humains a été de pair avec la généralisation du glissement des tâches à tous les niveaux.
La réforme HPST a raté la transition épidémiologique La loi hôpital, patients, santé et territoires (HPST) "a institué un seul patron, le directeur de l’hôpital", qui place le soin au service de la gestion. En réaction, certains médecins ne veulent entendre parler ni du codage ni du tableau d’activités, d’autres jouent le jeu de la gestion, la plupart, résignés, épuisés, se démotivent, voire démissionnent. Sans réelle communauté médicale hospitalière, il n’y a plus qu’une somme d’individualités, de disciplines, voire d’intérêts corporatistes. Dominée par les concepts de médecine industrielle et de médecin ingénieur promus par Claude Le Pen, Jean de Kervasdoué ou Guy Vallancien, la réforme HPST a raté la transition épidémiologique, les deux problèmes majeurs de notre système de santé étant l’épidémie des maladies chroniques et le coût de l’innovation.
La tarification à l’activité (T2A) s’avère inadaptée à la prise en charge des maladies chroniques (alors qu’avec une dotation globale, on aurait pu développer l’ambulatoire). La baisse régulière des tarifs condamne l’hôpital, pour éviter le déficit budgétaire, à l’augmentation permanente de l’activité. Aux missions (enseignement, soins, recherche) fixées par la réforme Debré, se sont ajoutées la gestion et des missions de santé publique. La création dans les années 1980 des mono-appartenants (praticiens hospitaliers [PH], non universitaires mais qui, le plus souvent, enseignent et font de la recherche) montrait la nécessité de corriger les effets pervers de cette réforme : la coupure avec la ville, liée au plein temps, et le fait que seul un hospitalo-universitaire pouvait de fait être chef de service. Si André Grimaldi salue la création des instituts hospitalo-universitaires (IHU), dont le statut fait débat, il s’inquiète du financement insuffisant de la recherche clinique à l’hôpital, de l’excès de réglementation et de pouvoir accordé aux comités de protection des personnes.
Côté enseignement, outre "l’absurdité des modalités de la sélection des étudiants en médecine par le concours de P1", l’enseignement au lit du malade s’est dégradé (brève durée de séjour des malades) et celui de la relation médecin-malade ne progresse pas assez. Dans ce contexte, les médecins généralistes ont légitimement demandé à enseigner la médecine générale de premier recours…
André Grimaldi propose des pistes de réforme : donner aux hôpitaux la liberté de s’organiser, différencier structures de soins et structures de gestion, adapter le financement aux trois médecines (maladies aiguës bénignes et gestes techniques simples, maladies aiguës graves et gestes techniques complexes, maladies chroniques et leur prévention), créer une dizaine de groupements hospitalo-universitaires (GHU, têtes de pont de la recherche, de niveau international et dotés d’IHU thématiques), organiser les 4 pouvoirs (des médecins, des soignants, de gestion et de régulation, et des usagers) et changer la "gouvernance" fixée par la loi HPST, revoir le statut des médecins et formaliser les horaires du plein temps, limiter le nombre de mandats de la chefferie, créer des infirmières cliniciennes revalorisées…
Le pire serait de continuer à détruire l’hôpital public sans construire un service de la médecine de proximité en ville, puis de transformer l’hôpital public en hôpital privé à but non lucratif. Il a rencontré un jeune chef de service, certes moins motivé par son "devoir" de gestion que par la recherche, et épuisé par les consultations ("un tri") et la visite (qui se résume à savoir "quand le malade va-t-il sortir ?"), mais heureux d’exercer cette triple mission. Ultime hommage à Robert Debré.