D’après la conférence de Rachel Bocher, psychiatre des hôpitaux, CHU de Nantes, présidente de l’INPH, lors du Cycle 2018 de la Chaire Santé SciencesPo "La 'révolution' hospitalière : 1958-2018". 

Charitable de 1789 à 1941, prodiguant ses soins gratuitement aux pauvres jusqu’en 1958, hospitalo-universitaire à temps plein, après la réforme de 1958, avec une triple mission de soins, d’enseignement et de recherche et, s’il ne pouvait l’assumer, devenu "mono-appartenant" grâce à la loi de 1970, le médecin hospitalier d’aujourd’hui, submergé par l’explosion des savoirs et des nouvelles technologies, aspire à une reconnaissance professionnelle et à une meilleure qualité de vie.

Après les ordonnances de 1958, les lois marquant l’hôpital public se succèdent, d’autant qu’après avoir été une force économique, l’heure de la rigueur sonne pour l’hôpital en 1983 (rationné et soumis à la dotation globale). La loi du 30 décembre 1991 aboutit au schéma régional d’organisation des soins (SROS) et au projet médical d’établissement, tandis qu’est créée l’Andem (future Anaes, puis HAS). Les ordonnances de 1996 amènent à la création des agences régionales de santé, à la contractualisation, la coopération, l’accréditation des établissements et à la formation médicale continue pour le praticien hospitalier.

Le plan 2007, voulu par François Mattéi pour pallier la vétusté des établissements, met en place la tarification à l’activité (T2A), regroupe les services en pôles d’activité (faisant des chefs de pôle des managers), et fait craindre une démédicalisation de l’hôpital public. Avec le Plan hôpital, patients, santé et territoires (2007, promulgué en 2009), le directeur devient le seul chef d’établissement, et les médecins, simples exécutants et prestataires de soins, partent vers le secteur libéral ou à l’étranger, d’où l’émergence de médecins "mercenaires". La loi Touraine rééquilibre la gouvernance hospitalière, redéfinit les pôles dans leur fonction, décrète un nouveau processus de nomination des chefs de pôle et la fin de la convergence public-privé, mais sans revalorisation salariale du praticien hospitalier ! Mais hôpitaux et rentabilité ne font pas bon ménage. En 2018, les professionnels souffrent (fréquence accrue des suicides), et le système semble "à bout de souffle".


Enjeux : un statut unique ?

L’évolution du statut du médecin hospitalier (décret de 1984) doit beaucoup au syndicalisme médical, lequel s’affiche clairement à partir de 1980, où 45 syndicats (pour 20 000 praticiens) finissent par se regrouper en 4 inter-syndicats, auxquels s’ajoute un cinquième en 2011 (le seul à revendiquer l’intégration des médecins hospitaliers à la fonction publique hospitalière, que les autres refusent pour préserver l’indépendance des médecins, en adéquation avec l’article 5 du code de déontologie). Entre 2000 et 2003, revalorisation salariale, repos quotidien, gardes intégrées au temps de travail, compte épargne-temps, améliorent la vie des praticiens hospitaliers ; mais avec la T2A, leurs rapports tendus avec chefs de pôles et directeurs d’établissement sont à l’origine de démissions ou départs à la retraite prématurés.

Malgré 40 000 médecins hospitaliers (soit deux fois plus qu’il y a trente ans) et le recrutement de gériatres, urgentistes, praticiens étrangers, la vacance des postes (de 22 %, jusqu’à 40 %, pour les radiologues à temps partiel) révèle le manque d’attractivité et de perspective des carrières hospitalières (chirurgie, anesthésie, psychiatrie sont sinistrées). Cette "pénurie médicale" tient aussi au "manque de médecins qui soignent". Ce qui amène Rachel Bocher à réfléchir à la nature de l’acte médical : "La médecine est un art qui s’appuie sur le raisonnement scientifique, et qui exige une intuition et une activité loin des protocoles et des guidelines".

Le médecin hospitalier, dont le "statut social a changé, et l’influence a décru face à l’emprise administrative", est-il un prestataire de services, un gestionnaire de soins, un décideur de santé ? La culture de la performance et de l’efficience crée "des mandarins d’un nouveau type, les médecins managers qui orientent et arbitrent". Et les jeunes médecins s’inquiètent de la diversité de leurs métiers et statuts (contractuels, assistants, etc.). "Les soins aux malades ne sont pas assez valorisés, il y a nécessité de remédicaliser, de revenir à une éthique de responsabilité, à un hôpital pour soigner, de favoriser l’enseignement pratique au chevet du patient pour redonner le goût de l’hôpital… public", où le patient tient désormais une place nouvelle (décision partagée), dans une relation à long terme (maladies chroniques : "avec ce passage du cure au care, la charge psychique pour les soignants est plus lourde, d’où l’intérêt de travailler en équipe").

Outre revaloriser la rémunération, encourager l’indépendance professionnelle et la créativité dans l’art de soigner, l’Inter-syndicat national des praticiens hospitaliers (INPH) propose que le médecin hospitalier puisse choisir ses missions, car "les PH ne peuvent pas soigner, enseigner, chercher et devenir aussi managers !"), de bâtir des collectifs de soignants pluriprofessionnels. À défaut d’un statut unique pour les médecins, y compris libéraux, Rachel Bocher rêve à une convergence entre praticiens hospitaliers et hospitalo-universitaires (deux syndicats d’hospitalo-universitaires PU-PH ont récemment rejoint l’INPH).

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