Article publié dans Concours pluripro, février 2022

Vous expliquez que, pour la science, la pandémie était un désastre annoncé…

Oui, je pense que si l’on considère l’histoire des épidémies, tout laissait entendre que l’humanité subirait une nouvelle pandémie, sans pouvoir en "prédire" les détails. Et je peux également affirmer que, sans en connaître l’agent viral, nous subirons une autre pandémie dans les années à venir. Animaux comme hommes, de plus en plus nombreux, circulent davantage et interagissent de façon exponentielle (élevages, animaux domestiques, animaux de la faune sauvage transportés illicitement, déforestation…). Beaucoup d’agents infectieux sont capables de passer de l’animal à l’homme (zoonoses), comme ce fut le cas, selon toute vraisemblance, pour la pandémie de Covid-19… Il faut donc se préparer.

 

Selon vous, personne n’était "prêt"…

Disons… qu’il y a un fossé entre la prévision scientifique d’un tel événement et la capacité à convaincre les responsables politiques de s’y préparer. La grippe aviaire H5N5 de 2005-2006 fut un déclencheur convaincant, mais, après la pandémie H1N1 de 2009, il s’est révélé compliqué de mobiliser des efforts et des financements dans la durée pour un risque "un peu lointain". Je dirais que les scientifiques sont des Cassandre. L’héroïne grecque avait la possibilité de prédire les catastrophes, mais Apollon avait décrété qu’aucune de ses prédictions ne serait crue. Les scientifiques sont également capables de voir "loin" – les météorologistes le prouvent chaque jour –, mais de là à ce qu’il en résulte des décisions durables et effectives à l’échelon politique… Il peut y avoir des hiatus.

 

Face à la crise sanitaire, la production scientifique a été importante. L’effort de recherche appliquée aurait-il pu être mieux coordonné ?

La communauté scientifique s’est fortement mobilisée dès le début de la pandémie afin d’apporter des réponses, notamment sur les actions à mener en termes de santé publique. Il y a eu une émulation entre les chercheurs. Dans cette circonstance exceptionnelle, la science appliquée a eu loisir de se développer et elle l’a fait avec un grand succès pour les vaccins, moins dans d’autres domaines. Le défaut de coordination s’applique selon moi plutôt au domaine de la recherche clinique. Il y a eu des tentatives de faire travailler des équipes ensemble, mais cela n’a pas été facile avec la distance géographique et la situation d’urgence. Encore une fois, je pense que cela aurait été mieux coordonné si cela avait été mieux préparé.

 

Comment mieux préparer cet avenir ?

Une des leçons de cette pandémie c’est qu’il faut faire confiance à la science. Mais se préparer, du point de vue stratégique, c’est aussi anticiper, planifier, financer. On a déjà progressé : je pense à la création de l’Autorité européenne de préparation et de réaction en cas d’urgence sanitaire (HERA) qui, en vue d’une future pandémie, préparera la mise au point, la production et la distribution de médicaments, de vaccins et d’autres contre-mesures médicales, ou à l’initiative Covax, une alliance entre les industriels et les États pour produire rapidement des vaccins.

Mieux aborder l’avenir, c’est aussi trouver des solutions pour lutter contre l’infodémie (fake news, désinformation, théories complotistes). Il y a toujours dans ce type de crises des intentions malveillantes, qui doivent être contrées avec l’appui des sciences humaines et sociales, notamment des sciences de la communication.

 

La crise sanitaire aura-t-elle un impact sur la science ? Est-elle porteuse de leçons ?

Je le pense. On peut bien sûr considérer qu’il y a eu de la cacophonie, des dérives de quelques scientifiques qui se sont exprimés de manière non scientifique, mais cette crise et la façon dont elle a été gérée sont quand même une démonstration de la confiance dans la science. Personne n’a mis en doute les données épidémiologiques de Santé publique France, la vaccination et les mesures de santé publique ont globalement été acceptées.

 

Science et crises sanitaires : une union contre-nature ?

Dans mon exposé, j’ai en effet comparé cette union à celle de la carpe et du lapin. La crise est soudaine, dynamique et nécessite d’être ultraréactif – c’est le lapin. La science est un travail profond, plus silencieux – la carpe. Ces deux mondes ont dû se rejoindre. Ce mariage monstrueux s’est révélé fertile.

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