Article publié dans Concours pluripro, juin 2025
 

"Territoires ? Accès aux soins ? On peut, sur les routes de France et les plateaux télé, former des processions en répétant ces mots comme un mantra. Ces incantations n'auront pas plus de succès que le Saint-Voyage – en 1212, durant la Croisade des enfants et annoncé à grandes déclarations – n'en eut sur la libération des lieux saints de Palestine. On sait ce qu'il advint : les Sarrasins qu'on se promettait de bouter hors de Jérusalem ne virent pas un seul de ces pauvres croisés, morts de faim, de soif, de maladie ou de meurtre avant même d'embarquer pour traverser la Méditerranée... Ainsi en va-t-il d'un sujet sur lequel, depuis tant de décennies, les politiques promettent que, demain, grâce à eux, tout ira mieux et qu'il n'est que de les suivre.

On peut aussi, aujourd'hui, voter une loi qui dira que l'on mettra des médecins partout... Dont acte, mais si on ne les a pas ? Il n'y a, certes, jamais eu autant de médecins en France : 230 000 actifs au moins partiellement contre 30 000 à la Libération. Et on compte 69 millions d'habitants aujourd'hui contre 39 millions en 1945. Donc presque 8 fois plus de médecins pour nettement moins de deux fois plus de population. Mais le besoin de médecins, la demande de soins, avec la Sécurité sociale, le vieillissement de la population et la chronicisation des maladies, n'ont fait que croître.

Aujourd'hui, on peut voter une autre loi qui dira qu'on les prendra ici pour les mettre là-bas, mais s'il n'y en a pas plus ici que là, que fera-t-on ? On prolongera le bal de l'internat en organisant un ballet à l'échelle des territoires ?

 

Il faut mettre en place une gradation complète de toute la chaîne de soins et développer des métiers sanitaires

 

On peut fixer au fronton de tel ou tel hôpital des panneaux lumineux où l'on aura écrit "Urgences" ou "Maternité"... Mais si on pousse la porte et qu'on y cherche le gynéco, le pédiatre, l'anesthésiste-réanimateur qu'il faudrait en cas de pépin et qu'ils ne sont pas là ? Comme dans la Russie de la Grande Catherine, à la fin du XVIIIe siècle, pour masquer la misère, peut-on se contenter en France en 2025 de créer un paysage sanitaire qui ne soit qu'une série de villages Potemkine ? Le carton-pâte n'abuse pas longtemps. Finalement, on crée de nouvelles colères.

Ces chiffres sont incontournables. Alors que faire ? Pour le système de santé, il n'y a pas 36 réponses. Il faut d'abord apprendre à nous passer de médecins en ayant moins souvent besoin de soins, parce que, par une vie plus saine, on se portera mieux. Il faut apprendre ensuite à nous passer de médecins en ayant un meilleur usage de ses soins et en évitant d'obérer du temps médical à son profit au détriment de celui qui serait plus utile à d'autres. Il faut s'adresser au bon endroit, au bon moment, où il le faut, quand il le faut. Et pour cela, il faut renforcer par tous les moyens la coordination des soins (dont Concours pluripro est un important vecteur), mettre en place une gradation complète de toute la chaîne de soins et développer des métiers sanitaires (IPA et autres, qui ne soient pas médicaux), si utiles à la santé.

Frugalité, responsabilité et, en échange, organisation impeccable ne laissant personne sur le bas-côté, où qu'il soit, quel qu'il soit.

Il y a, en revanche, beaucoup plus de réponses à apporter dans les domaines sociaux, éducatifs, sportifs, alimentaires, économiques, culturels, en matière d'aménagement du territoire, pour parvenir enfin à un système de santé juste et équilibré où la médecine et la science pourront s'épanouir pour le plus grand bienfait de tous. Ceci est l'affaire de tous, vraiment, des élus mais aussi de chacun, par le développement des activités de solidarité et de partage, soins apportés aux êtres comme les jardiniers en apportent aux roses pour évoquer Saint-Exupéry qui se voyait si laid et Consuelo qui avait tout pour elle et qui le trouva beau."

 

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