D’après la conférence du 12 septembre 2019 du Dr Agnès Soucat, directrice du département  de la gouvernance et du financement  des systèmes de santé à l’OMS, enseignante  à Sciences Po, à l'occasion du cycle 2019 de la Chaire santé SciencesPo « Des outils pour faire évoluer le système de santé »

Citant le Dr Tedros Adhanom Ghebreyesus, directeur général de l’OMS, pour qui la couverture santé universelle (CSU) – une ambition des Nations unies, donc de l’OMS – est un choix politique (« Il est de la responsabilité de chaque pays de tenter de l’atteindre »), le Dr Agnès Soucat insiste sur le fait que les services de santé (10 % du PIB) sont devenus un moteur de la croissance économique, à un tel niveau de productivité que ce secteur contribue à un ajout de 4 % du PIB. Avec un effet levier sur la productivité des secteurs de l’industrie pharmaceutique et des équipements médicaux, et un effet indirect sur la réduction des inégalités.

En outre, le secteur social, dont l’effet de charge n’est plus constaté, est aussi devenu un secteur productif. Grâce à l’analyse de l’évolution des dépenses de santé à partir de sa base de données, effective depuis 2000 dans plus de 150 pays, l’OMS constate que tous les gouvernements, même ceux des pays émergents (bien que leur engagement marque le pas depuis 2016), financent de plus en plus la dépense de santé. Or, plus les gouvernements augmentent leurs dépenses de santé, moins les ménages s’appauvrissent. Pour autant, c’est la manière dont les gouvernements financent la protection sociale qui importe. En la matière, les deux modèles « purs » de couverture universelle, celui de Bismarck, à l’origine d’une assurance santé universelle en Allemagne, et celui de Beveridge, fondé sur l’impôt à assiette large et à l’origine du National Health Service en Grande-Bretagne, sont dépassés.

En effet, si la CSU de Bismarck a fait chuter l’appauvrissement des ménages, elle a marqué le pas pour les plus pauvres, sans emploi et ne cotisant pas. Pour mettre en place un système universel, il faut recourir aux deux systèmes, en sachant que les réformes nécessaires ne peuvent pas être identiques pour tous les pays. En France, celle en cours depuis les années 2000 fait passer le financement assurantiel de la santé (partenariat employeurs-employés) à un financement plus large par l’impôt. Ce changement de concept résulte des évolutions économiques : la couverture santé s’est développée avec le plein emploi, mais parallèlement, le coût des technologies médicales et les demandes de soins ont explosé. La part des dépenses de santé a augmenté de 3 % par an entre 2000 et 2015, et de 6 % dans les pays pauvres.

La question n’est pas tant de savoir s’il faut dépenser encore plus que de savoir comment organiser la dépense publique pour obtenir des résultats sur les indicateurs de santé (les pays les plus riches ont les meilleurs indicateurs). Agnès Soucat rappelle que l’hygiène, l’assainissement et la nutrition ont permis d’augmenter l’espérance de vie, à travers les soins primaires. Or, les ménages couvrent 60 % des dépenses de soins primaires, et la plupart des gouvernements investissent surtout dans les soins tertiaires en fin de vie, avec des technologies médicales sophistiquées. Puisque actuellement, la moitié des dépenses de santé concernent 5 % des patients dans les derniers mois de leur vie, et souvent aux dépens de leur qualité de vie, ne vaudrait-il pas réfléchir à mieux financer les soins primaires, sachant que leur absence de financement retentit sur les plus démunis ? 

Financer les soins primaires ? L’augmentation des dépenses de santé paraît inévitable : tandis que les pays émergents entrent dans une phase de vieillissement, avec un taux de dépendance très élevé, les citoyens plus riches et mieux éduqués veulent obtenir plus de prestations de santé, et de financement correctif. Mais savoir comment répartir ces dépenses est une question de choix et de volonté politique, et suppose un changement institutionnel requérant l’articulation des citoyens, des politiques, et des prestataires, selon un rapport de la Banque mondiale auquel le Dr Soucat a participé en 2004. Trois principes doivent guider ce changement : rendre le système équitable, ce qui oblige à le faire reposer sur la dépense publique (impôt à assiette large) ; réduire la fragmentation ; évaluer la fonction « achats stratégiques », devenue un outil puissant, avec les nouvelles technologies de santé. Pour rééquilibrer les dépenses (soins de santé primaires versus soins tertiaires), il faudrait utiliser de nouveaux outils budgétaires comme les taxes santé sur le tabac, le sucre et l’alcool, destinées à changer les comportements.

Afin de comprendre ce qui influence le plus les dépenses de santé publique, Agnès Soucat pointe la nécessité de développer l’intelligence du système grâce aux données (à protéger), au dialogue (États généraux de la santé) et à la décision politique (institutions pour évaluer le service rendu). Enfin, ce secteur étant productif, elle déplore le numerus clausus et toute limitation de la formation du nombre de professionnels de santé ! Fort heureusement, d’ici 2030, 80 millions d’emploi devraient être créés dans le secteur au niveau mondial.

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