Depuis son origine, notre système de santé solidaire a eu le souci, puis l’ambition, de l’équité du service rendu ; équité individuelle tout comme équité populationnelle. Cette dernière dimension s’est trouvée davantage interrogée quand se sont révélées, de manière croissante depuis une vingtaine d’années, les inégalités de santé « géographiques » que l’on dénomme de plus en plus volontiers territoriales. Des spécificités épidémiologiques, des différences d’accès aux soins, des pertes de chance pour les malades ont ainsi été mises en exergue, appelant une réponse de l’État jacobin organisateur. On trouve là, certainement, l’un des motifs de la mise en place des agences régionales de l’hospitalisation (ARH), devenues, voilà tout juste dix ans, les agences régionales de santé (ARS).

Sur ces ARS, dont la direction est confiée à des hauts fonctionnaires, nommés et le cas échéant révoqués en Conseil des ministres, on peut d’emblée faire une remarque : certes, elles sont toutes issues du même « moule » légal et réglementaire et elles ont toutes les mêmes lois et textes d’application à mettre en œuvre. Mais chacun s’accorde à reconnaître que leur action est étroitement dépendante des personnalités de leur équipe de direction – ce qui se traduit par les regrets ou la satisfaction des professionnels de santé « administrés  » à chaque changement de direction – et qui pourrait bien signifier l’importance et la prédominance du facteur humain même quand il s’agit d’appliquer des normes…

Du régional au national

Avec les 50 États qui constituent les États-Unis d’Amérique, l’administration fédérale américaine est également confrontée à l’application plus ou moins uniforme (et équitable ?) des dispositions arrêtées à Washington par le Président et le Congrès. Il se pourrait cependant que le « fédéralisme » – en l’occurrence le degré d’initiative et de liberté que peut revendiquer chacun des 50 États de l’Union – soit, au contraire, perçu comme une opportunité et un avantage. C’est du moins le point de vue qu’avançait un économiste de la côte est des États-Unis dans le JAMA Forum de septembre 2019 (une rubrique du Journal où des experts de diverses disciplines apportent leur éclairage en relation avec une problématique du système de santé). Stuart M. Butler*, économiste universitaire, identifie au moins deux types d’action que peuvent mener à leur niveau chaque État de l’Union, pour finalement bénéficier à la politique fédérale et à l’ensemble des États-Unis :

1) porter des innovations et, en quelque sorte, les tester. Butler rappelle ainsi que, voilà longtemps, le vote des femmes et, plus récemment, le mariage homosexuel avaient été portés par quelques États, avant d’être reconnus à l’échelon fédéral. Surtout, la mise en œuvre du controversé « Affordable Care Act » (ACA), c’est-à-dire de la « réforme Obama », s’était accomplie au prix de 1 332 dérogations accordées aux États par l’autorité fédérale ; 2) enregistrer et débriefer les oppositions. Ainsi, Butler rappelle que le programme Medicaid – sorte d’accès aux soins pour les plus démunis – avait été, en 1965, refusé par la moitié des États, avant qu’ils ne l’acceptent quelques années plus tard. Plus récemment, des « voies de sortie d’urgence » (« exit ramps ») ont été utilisées dans certains États – soit conservateurs, pour se dispenser d’appliquer certains aspects de l’Obamacare, soit davantage libéraux au cours des deux dernières années, pour se soustraire à des dispositions antagonistes prises par l’administration Trump.

Pour finir, ce degré de latitude dans l’application des réformes, dont bénéficient les 50 États qui constituent l’Union, nous renvoie au débat actuel en France, au terme duquel il faudrait – pour les ARS et sur bien d’autres sujets – arbitrer et, le cas échéant, choisir entre des modes de gouvernance soit « top-down », où la direction est donnée au sommet pour s’appliquer sur le terrain,- ou bien au contraire « bottom-up », où les initiatives de terrain se développent pour venir irriguer des politiques plus globales. Vaste débat.

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