"Être utile." C’est sans doute le fil rouge des choix posés par le Dr Paul Frappé : le lancement d’une maison de santé, son installation dans un quartier précaire de Saint-Étienne, son engagement à la présidence du Collège de médecine générale, sa volonté de transmettre... Et, bien sûr, sa vocation médicale, avec une conception particulièrement humaniste de son métier. "Si je ne m’étais pas senti utile dans mon boulot ou si j’étais en concurrence avec des collègues, cela ne m’aurait pas plu. En allant travailler pour des gens qui ont un vrai besoin, je sais pourquoi je me lève le matin. Pour moi, la médecine, c’est aider les gens à vivre et à traverser des étapes qui peuvent être difficiles. Ce n’est pas les guérir ou reculer leur espérance de vie", expose-t-il.

Au sein de la MSP inaugurée en 2013, le cabinet de Paul Frappé est le lieu d’accueil et d’écoute de migrants, de personnes désinsérées qui ont "besoin de retrouver des rails", de celles souffrant de troubles psychiatriques… "J’aimais bien l’urgence mais j’ai l’impression de sauver davantage de vies ici qu’en faisant de l’urgence. Que ce soit en faisant de la psychothérapie de soutien ou, de manière plus classique, en adressant rapidement, aux bonnes personnes et dans les meilleures conditions, un jeune atteint de leucémie", confie-t-il. La forte prévalence de certaines pathologies, comme le diabète, l’hypertension ou encore la thalassémie*, reflète la mixité sociale et culturelle de la patientèle.


Vivre l'interprofessionnalité

À Saint-Étienne, un quart de la population vit sous le seuil de pauvreté (23,8 %) avec moins de 1 000 euros par mois. Nichée sur la colline de Montreynaud, la MSP compte 29 % de patients bénéficiaires de la CMU. "Si la tolérance à la frustration est moindre avec ce type de population, les rapports sont plus francs", estime Paul Frappé. Quatre autres médecins généralistes, quatre infirmières, une sage-femme, une gynécologue, une orthophoniste, deux secrétaires, une neuropsychologue et une orthoptiste travaillent au sein de cette structure de près de 450 m2. Dans les couloirs ou dans la salle commune, les échanges sont informels. Une manière simple de vivre l’interprofessionnalité : "On a essayé de faire quelques protocoles mais finalement, la vraie coopération interpro, c’est déjà de mieux comprendre les métiers et de dialoguer au quotidien, en échangeant sur les patients."

Le choix de la médecine générale s’est imposé petit à petit, au gré de ses stages. S’il dit ne s’être jamais identifié à l’exercice de son père, qui travaillait dans la médecine nucléaire, Paul Frappé aspirait depuis toujours à "aller vers les autres". Engagé à l’Isnar-IMG [union syndicale représentative des résidents et des internes de médecine générale, NDLR], au moment où émergeait la filière universitaire de médecine générale, il inaugurait, en 2008, le premier poste de chef de clinique en médecine générale dans la Loire. "Il y avait tout à faire pour construire et développer la recherche en médecine générale à Saint-Étienne."

Aujourd’hui, le généraliste est officiellement à mi-temps à la faculté, à 10 minutes de là. Il y donne des cours méthodologiques sur la thèse de médecine générale, sur la régulation et la demande de soins non programmés, un enseignement sur la gestion des liens d’intérêts, et anime des groupes d’échanges de pratiques sur des cas concrets auprès d’une douzaine d’étudiants suivis pendant trois ans. "L’enseignement, la pratique et la recherche se nourrissent bien les uns les autres", assure-t-il. Côté recherche, il a travaillé sur la thrombose et la gestion des anticoagulants [étude Cacao menée auprès de 7 154 patients et 463 médecins généralistes investigateurs, NDLR], et mène aujourd’hui une étude sur l’électrocardiogramme en médecine générale (étude EGG). "Ce qui me plaît, c’est de voir que les collègues généralistes accrochent à ce sujet, il y a un côté créatif", explique celui qui veut combattre des idées reçues telle que "la recherche en médecine générale, c’est bien joli, mais c’est du bricolage". "Il y a toute la gamme des niveaux de preuve dans la science. Elle commence toujours par des choses très humbles et des séries de cas."


Des chantiers autour de la transparence

Élu pour trois ans à la présidence du Collège de médecine générale, entité qu’il a vu naître en 2009, le Stéphanois passe en moyenne deux jours par semaine à Paris. "Heureusement, il y a aussi les soirs et les week-ends pour avancer sur tous les sujets", sourit ce père de trois jeunes enfants (9, 7 et 4 ans), marié à une pneumologue qui exerce à l’hôpital de Saint-Chamond. "Elle comprend les enjeux et je ne fais rien sans son autorisation !"

En tant que conseil national professionnel, le Collège de médecine générale, qui compte 98 groupes de travail sur différentes thématiques, a d’abord pour mission de répondre aux questions et sollicitations des divers interlocuteurs. Autre ambition, "avoir des référentiels, notamment scientifiques, compatibles avec notre discipline". Lancée il y a un an et développée par le Collège, la base de données Ebmfrance.net est une plateforme qui fait une synthèse des recommandations francophones à disposition des généralistes, en partenariat notamment avec la Haute Autorité de santé et l’Assurance maladie. Le Collège vient par ailleurs de lancer une première partie du portail de médecine générale – Archimède.fr – qui permet aux médecins de faire leur déclaration publique d’intérêts (consultable par tous). "Chacun choisit ce qu’il y met. Il s’agit de savoir ce qui nous mettrait mal à l’aise et pourrait poser un problème si ce n’était pas dit. Le lien d’intérêts, c’est la crédibilité du discours." Tous les membres du bureau du Collège l’ont déjà mise en ligne. Une veille professionnelle et scientifique accessible à tous devrait être proposée dans les prochains mois sur Archimède, ainsi qu’un référentiel de connaissances, orientées sur la pratique, d’ici trois ans.

Autre projet : un registre sur la problématique de "santé environnement" pour permettre au public de consulter le taux de pathologies sur leur secteur. Plusieurs leviers devraient être activés. "Il y a probablement la possibilité de faire des appels d’offres DPC sur cette problématique pour favoriser l’appropriation par les médecins", indique Paul Frappé, qui évoque aussi un projet de référentiel "compétences" pour définir la médecine générale au regard des problématiques de coopération interprofessionnelle et du développement de la télémédecine. "Cela fait bouger les lignes mais ne doit pas se faire n’importe comment."

Accueillie comme interne dans la MSP stéphanoise, Fatine Maniani ne tarit pas d’éloge sur son maître de stage : "Il m’impressionne tous les jours. Il est enthousiaste dans tout, souriant, à l’écoute. Il a une vision globale de la personne et de la médecine et est particulièrement bienveillant dans le compagnonnage. Je suis à l’affût de tout ce qu’il peut m’apporter. Seul bémol : le manque de temps !".

* Maladie qui touche essentiellement les personnes originaires du pourtour méditerranéen, du Moyen-Orient, d’Asie et d’Afrique subsaharienne.

 

Bio express

2007 : engagement à l’Isnar-IMG

2008 : DES de médecine générale, installation à Chambon-Feugerolles (Loire), et nomination comme chef de clinique  à la faculté de médecine  de Saint-Étienne

2014 : maître de conférences (université Jean-Monnet, faculté de médecine, service de médecine générale)

2017 : mobilité universitaire à l’unité des internistes généralistes et pédiatres de Genève

2019 : professeur des universités et présidence du Collège de médecine générale 
 

RETOUR HAUT DE PAGE