À ses débuts, dans les années 1990, "l’exercice était très isolé, se souvient Éric Prou. Mais avec les autres professionnels de santé du territoire où je me suis installé, nous avons naturellement commencé à travailler ensemble, même si nous n’étions pas physiquement regroupés au sein d’une maison de santé. Et l’histoire nous a donné raison ! Aujourd’hui, avec la montée en puissance des communautés professionnelles territoriales de santé (CPTS), auxquelles vont être alloués des financements de plus en plus importants, l’exercice coordonné va devenir la règle". Autant dire qu’en février dernier, quand un projet de CPTS a émergé dans le pays de Retz (Loire-Atlantique), où il exerce depuis près de trente ans, Éric Prou n’a pas hésité une seconde à embarquer dans l’aventure. Car la notion du collectif, ce pédicure-podologue libéral l’a dans le sang. En témoignent les multiples engagements, associatifs ou plus institutionnels, qui jalonnent son parcours.


Partir dans l'inconnu

Ce goût des autres profondément enraciné se devine dès les prémices de son engagement professionnel. "Tout jeune, j’ai su que je voulais travailler dans le milieu médical ou paramédical, par appétence pour le soin en général." C’est pourquoi, une fois le bac en poche, il se présente au concours d’entrée dans les écoles de kinésithérapie, de pédicure-podologie et d’infirmière. Il est reçu aux deux derniers. Mais après quelques jours de réflexion, il prend la décision qui donnera tournure à toute sa carrière. "C’était comme partir dans l’inconnu, car je connaissais moins bien la pédicurie-podologie que les soins infirmiers, même si j’avais bénéficié d’orthèses plantaires dans ma jeunesse."

Trois ans de formation, et c’est le retour du côté de Sainte-Pazanne, petite commune entre Nantes et Pornic, dont il est originaire, pour une installation en libéral. Il choisit alors de s’associer avec un collègue kiné, "alors qu’à l’époque, on ne parlait pas encore de coordination des soins", se souvient-il. Depuis, un autre kinésithérapeute et trois infirmières libérales ont rejoint le cabinet.


"L'enseignement m'attirait depuis toujours"

On pourrait croire que les difficultés inhérentes à l’installation suffiraient à occuper un jeune professionnel. Mais très vite, Éric Prou se sent appelé vers d’autres missions. Dès 1993, il prend la présidence du Syndicat régional des pédicures-podologues des Pays de la Loire (SRPP), dont les missions comprennent notamment la formation professionnelle. "L’enseignement m’attirait depuis toujours, donc quand l’hôpital Saint-Jacques de Nantes s’est mis en quête d’un formateur, j’ai répondu présent." Ainsi, à partir de l’an 2000, il s’investit comme enseignant et maître de stage au sein des services de rééducation fonctionnelle, de psychiatrie et de gériatrie de l’établissement. Une expérience enrichissante pour ses étudiants comme pour lui. "L’exercice à l’hôpital est très différent de celui en libéral. Il y a des patients lourdement accidentés, parfois tétraplégiques, qu’on ne voit jamais en ville…"

Bien qu’il décide de quitter l’hôpital en 2006, trop pris par de nouveaux engagements, sa passion pour la transmission ne le quittera jamais. Il y reviendra en 2014 avec la création du Collège national de pédicurie-podologie, qui fixe les orientations prioritaires du développement professionnel continu (DPC) et élabore des parcours de formation. Et en 2012, il intégrera la Commission scientifique indépendante des professions paramédicales, qui choisit les organismes agréés au titre du DPC. Mais si Éric Prou a dû se séparer de ses étudiants, c’est avant tout pour s’atteler à une tâche particulièrement chronophage. En 2006, il devient secrétaire général du Conseil national de l’Ordre des pédicures-podologues, avant d’en prendre la présidence en 2012. À ce poste, il se bat sans relâche pour faire reconnaître les spécificités de sa profession. "Nous faisons du diagnostic tous les jours. Les médecins le savent bien puisqu’ils nous envoient des patients pour des bilans podologiques en précisant sur l’ordonnance 'orthèse si nécessaire' ! Or cette compétence n’était pas reconnue… jusqu’à ce que la loi Touraine de 2016 nous l’attribue officiellement. Plus récemment, en 2019, nous avons aussi obtenu le remboursement par la Sécurité sociale des renouvellements d’orthèses plantaires. À présent, nous travaillons à l’extension de nos compétences, par exemple la prescription d’imageries, qui nous permettraient d’affiner nos diagnostics."


Vers une pratique avancée ? 

Ses semaines sont bien remplies, partagées entre son cabinet à Sainte-Pazanne et ses déplacements à Paris pour assurer ses fonctions officielles, avant un retour en Loire-Atlantique pour une demi-journée de consultation supplémentaire… Pourtant, il trouve encore du temps à consacrer à une association qui lui tient particulièrement à coeur, "Amandine polyhandicapée vendéenne", créée en 2004 pour sa nièce. Son combat : la reconnaissance d’un statut pour les polyhandicapés adultes car "à 16 ans, ils n’ont plus de structures adaptées. On les place donc avec des personnes qui n’ont pas le même type de handicap, comme des trisomiques. Nous sommes heureux d’avoir obtenu en 2005, avec d’autres associations, l’inscription dans la loi d’un statut de la personne handicapée". En soirée, Éric Prou assiste parfois à des réunions avec une association citoyenne de sa commune, et le dimanche, il "donne un coup de main au club de foot local. Mais ça, c’est de la détente", sourit-il.

Malgré les fonctions nationales accumulées au fil des années, il a toujours veillé à entretenir son ancrage local. Dès 2005, il lance un réseau diabète en Loire-Atlantique. "On a été précurseurs avec cette coordination entre médecins, diabétologues, infirmières, diététiciennes… Nous avons formé plus de 80 pédicures-podologues à travers le département à la prise en charge du pied diabétique." Une expérience qui le mène naturellement à entrer au conseil d’administration de la toute nouvelle CPTS de son territoire, dès juin 2020.

Dans ce secteur semi-rural, à la population vieillissante, il a été décidé de mettre l’accent sur le parcours de soins de la personne âgée, la prise en charge des malades chroniques mais aussi l’autisme. "Environ 80 professionnels ont déjà rejoint les groupes de travail. Nous nous sommes aperçus que les uns ne savaient pas toujours ce que faisaient les autres, et souvent, ils sont étonnés des compétences des pédicures-podologues ! C’est pourquoi l’un de nos axes de travail prioritaires est la communication professionnelle. La coordination, c’est le sens de l’histoire : mieux vaut l’accompagner que la subir. Nous voulons développer des parcours de soins, avec des consultations pour chacun, clairement identifiées et rémunérées."

Pour les années à venir, Éric Prou a encore bien des projets dans sa musette. En octobre, il a présenté à Olivier Véran des propositions pouvant s’inscrire dans le cadre du Ségur : universitarisation des études paramédicales, extension des compétences, accès à l’innovation, avec une définition des actes qui pourraient être effectués en télésoins... Le développement de la pluridisciplinarité y figure aussi en bonne place : afin que les pédicures-podologues trouvent leur place au sein des parcours de soins coordonnés, l’Ordre propose d’étendre leurs pratiques avancées, ce qui permettrait de libérer du temps médical et de mieux accompagner les patients les plus fragiles. "Le ministre m’a fait remarquer que partout où il se rend, les pédicures-podologues étaient très investis dans les CPTS. C’est vrai qu’elles représentent une chance pour nous, dont les actes ne sont pratiquement jamais pris en charge s’ils n’entrent pas dans un parcours de soins. Or on peut en imaginer de très utiles, par exemple autour de la prévention des chutes chez les plus de 65 ans." Jouer collectif, encore et toujours.

 

Bio express

1993 : président du Syndicat régional des pédicures-podologues de la région Pays de la Loire. 

2005 : membre du comité de pilotage du Réseau diabète 44. 

2008 : membre du Haut Conseil des professions paramédicales. 

2012 : président du Conseil national de l'Ordre des pédicures-podologues. 

2020 : membre fondateur et du conseil d'administration de la CPTS du Pays de Retz. 

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