"Sur Internet, les informations qui circulent à propos de l’exercice coordonné sont très institutionnelles. Je voulais, pour ma part, une écriture plus vivante à laquelle les lecteurs pourraient s’identifier." Il y a un an et demi, Estelle Parrot, coordinatrice du pôle de santé Bercé Santé à Château-sur-Loir (Pays de la Loire), se lance dans la création d’un blog. "La grande aventure de la maison de santé" a pour objectif de donner à d’autres professionnels, à partir de son propre témoignage, le goût du travail en équipe et l’envie de s’engager dans cette voie. Trois posts plus loin, le blog est cependant en pause car, sous ses multiples casquettes, Estelle Parrot ne trouve pas toujours le temps de l’alimenter.

Car, outre son activité de coordinatrice, elle est également pédicure-podologue, membre du conseil d’administration de l’Association des pôles et maisons de santé libéraux des Pays de la Loire (APMSL-PDL) et présidente du conseil de développement de la communauté de communes de Loir-Lucé-Bercé. "Notre système de santé est en cours de transformation, souligne- t-elle. Je veux inventer l’exercice coordonné et pouvoir choisir comment nous allons travailler demain."

Lorsqu’Estelle Parrot commence son blog mi-2017, l’équipe de la MSP – qui regroupe une trentaine de professionnels – vient tout juste de se structurer en société interprofessionnelle de soins ambulatoires (Sisa) et de contractualiser avec la CPAM. Les professionnels se préparent alors à emménager dans les nouveaux locaux et à changer de logiciel métier. "J’étais sous l’eau, se souvient la coordinatrice. Je ne conseille d’ailleurs pas de tout faire la même année. Nous avons tous été au bord du burn out !" Mais pas question pour autant de reculer au dernier moment : ce projet d’exercice coordonné, la pédicure-podologue l’a dans la tête depuis longtemps…


Le pied à l'étrier

Installée à Château-du-Loir depuis 2004, Estelle Parrot n’était pas satisfaite de son exercice en solitaire : "Je n’avais aucun contact avec les podologues et les autres professionnels de santé du territoire." Lorsqu’elle se rompt le tendon d’Achille en mars 2013, ses patients – qu’elle croise souvent dans la rue – la chambrent : "Quel est le comble pour une podologue ? Se casser le pied", lui lancent-ils. C’est pourtant bien cet arrêt maladie qui lui met le pied à l’étrier : elle fait connaissance avec ses homologues et découvre la force du travail en réseau. "J’avais du temps, donc j’ai proposé de donner un coup de main à l’Union nationale pour l’avenir de la podologie, un syndicat de pédicures-podologues. J’en suis devenue la présidente pendant deux ans."

En parallèle, elle s’investit dans la création d’une maison de santé sur son territoire. Le projet émerge en 2009, poussé par des médecins partant à la retraite et soucieux que le territoire ne se transforme pas en désert médical. "Lorsque les élus ont commencé à s’inquiéter de la désertification médicale sur leur territoire, ils ont pensé à un projet de regroupement de professionnels en termes de projet immobilier et pas de projet de santé." Une erreur encore trop courante, selon la coordinatrice. "Le terme 'maison de santé' peut prêter à confusion, mais il n’y a pas obligatoirement besoin d’un bâtiment commun pour que des professionnels de santé pratiquent l’exercice coordonné pluriprofessionnel', souligne-t-elle dans son blog.

Sur la communauté de communes Loir-Lucé-Bercé, la construction du bâtiment est lancée, tandis que le projet de santé, qui soude et fédère une équipe, tarde à s’écrire. Le découragement se fait sentir quand la nouvelle présidente de la communauté de communes décide d’annuler le permis de construire. Pugnaces, Estelle Parrot et ses collègues s’accrochent pourtant, trouvent un terrain d’entente avec la communauté de communes et remettent l’exercice coordonné au centre de leur projet.

L’équipe commence alors à se réunir régulièrement, mais l’efficacité n’est pas au rendez-vous. "C’était très brouillon. Personne n’avait les compétences pour animer des réunions. Elles duraient des heures et nous en sortions sans avoir pris de décision." Lorsqu’en 2016 l’ARS lance une réunion d’information pour la première formation courte des coordinatrices, Estelle Parrot saute sur l’occasion et recueille l’aval de ses collègues pour présenter son dossier de candidature. "Je leur ai dit que nous n’étions pas organisés : les informations arrivaient parfois chez certains professionnels, parfois chez d’autres, mais rien n’était centralisé. À cause de cela, nous étions passés à côté de l’enveloppe de financement des nouveaux modes de rémunération."


Tous égaux ! 

Aujourd’hui, les réunions de concertation pluriprofessionnelle (RCP) du pôle Bercé Santé animées par la coordinatrice ont gagné en méthodologie. "L’acculturation à l’exercice coordonné se fait de manière progressive", souligne celle qui fait autant preuve de patience que de persévérance. Avant chaque réunion, elle motive ses collègues les plus hésitants à inscrire à l’ordre du jour les cas sur lesquels ils souhaiteraient échanger. "En RCP, les professionnels se dévoilent et ils ont peur d’être jugés sur leur pratique. Ils pensent que c’est un aveu de faiblesse d’alerter sur un patient qui ne peut plus être pris en charge de la même façon, alors que c’est un passage de relais." 

Elle a ainsi longuement échangé avec ses collègues orthophonistes sur le sujet avant qu’elles se décident. "Malgré le fait qu’elles soient extrêmement pertinentes, elles s’interrogeaient sur leur légitimité à mettre un patient en RCP, parce qu’orthophoniste est un métier paramédical", estime-t-elle. Au quotidien, Estelle Parrot s’attache ainsi à ce que chaque professionnel de santé soit mis sur un pied d’égalité et s’affirme dans la prise en charge du patient. "On ne doit pas limiter l’exercice coordonné à la coopération entre médecins, infirmiers et pharmaciens."

À force de leur réaffirmer leur légitimité, elle parvient à motiver les orthophonistes à mettre un patient à l’ordre du jour d’une RCP. "Elles m’ont confié en fin de réunion qu’elles recommenceraient à la prochaine occasion." Objectif atteint ! Mais persuader les uns et les autres de leur place dans l’équipe est une tâche de tous les instants. "Récemment, il y a de nouveaux professionnels qui sont arrivés dans l’équipe. Il faut aussi les convaincre." Pendant la réunion, tout est question de diplomatie pour faire comprendre aux professionnels, sans les brusquer, que le suivi du patient doit être repensé et adapté. "Parfois, je pose des questions qui gênent." Estelle Parrot a d’autant plus cherché le ton juste qu’avec sa casquette de pédicure-podologue elle fait partie intégrante de ces professionnels de santé.

Pour éviter que ses successeurs tâtonnent à leur tour trop longtemps, Estelle Parrot a consacré un article de son blog à cette question. C’est d’ailleurs le but de cet outil de communication qu’elle a décidé de créer à la suite de ses rencontres avec d’autres professionnels de l’APMSL-PDL. "L’exercice coordonné pluriprofessionnel est une notion très nébuleuse quand on travaille de manière isolée. Ça fait envie, mais ce n’est pas une évidence." Les prochains articles du blog attendent une brèche dans l’emploi du temps de l’autrice pour être publiés. "J’ai tellement écrit que j’ai fini par scinder l’article en deux." Normal, il est consacré aux outils de la parfaite coordinatrice. Tout un programme.

Bio express

1980 : naissance à Ivry-sur-Seine.

2004 : installation à Château-du-Loir comme pédicure-podologue.

2013 : présidente de l’Unap. 2014 : création du pôle de santé Bercé Santé.

Début 2016 : formation à l’EHESP.

Juin 2016 : coordinatrice de la maison de santé.

Avril 2017 : intégration du conseil d’administration de l’APMSL-PDL.

Juin 2017 : création du blog La grande aventure de la maison de santé et présidente du conseil de développement de la communauté de communes de Loir-Lucé-Bercé.

RETOUR HAUT DE PAGE