"Bonjour, je suis l’infirmière du pôle. Si vous êtes d’accord, j’aimerais vous rencontrer… pour qu’on parle un peu. Ça vous dit ?" Les mots sont simples et le ton enjoué. Quand Odile Anna Mathellon évoque son rôle auprès des usagers du pôle de santé de Saint-Méen-le-Grand (Ille-et- Vilaine), situé à 40 km à l’ouest de Rennes, son sourire irradie. À 60 ans, la coordinatrice de parcours de soins enchaîne les prises de rendez-vous et les entretiens avec la même disponibilité, que ce soit pour un usager ou un professionnel de santé. Elle occupe, depuis 2014, la fonction de gestionnaire de parcours, dans le cadre d’une expérimentation ART70 (Paerpa).

En plus d’accentuer les liens entre la ville et l’hôpital, son objectif premier reste la prévention de la perte d’autonomie dans un secteur géographique morcelé, à la lisière des départements des Côtes-d’Armor et du Morbihan. "Je fais le lien entre toutes les personnes qui gravitent autour des patients. Mais je ne suis pas là pour dire 'je vois tout, je sais tout, je décide'. Je suis plutôt celle qui met de l’huile dans les rouages." Car la mission de cette ancienne infirmière libérale est double. D’une part, elle se rend au domicile des patients dits "fragiles" repérés par les professionnels du pôle. De l’autre, elle fait le lien entre tous les acteurs de la prise en charge et du soin, professionnels de santé, sociaux et médico-sociaux.

À chaque fois, un travail en équipe… un travail de l’ombre aussi. "L’envie d’anticipation des professionnels n’est pas toujours une évidence et il y a encore du boulot là-dessus, glisse Odile Anna Mathellon. Mon rôle relève souvent de l’invisible. Pourtant, parfois, un simple mail suffit." Elle évoque ainsi la situation d’une personne suivie par trois assistantes sociales d’organismes différents : "Chacun bossait dans son coin sur un pan des besoins... Un mail commun pour leur dire qu’elles étaient trois à s’occuper de madame Machin, et le lien était fait. Souvent, chacun voit sa réalité dans sa lunette mais tout est question de coordination et de faire ensemble. Mon travail ? Du compromis et de la médiation en permanence."


Un accompagnement rapproché

Créé en 2008, le pôle pluridisciplinaire de santé de Saint-Méen-le-Grand compte aujourd’hui 45 infirmiers, médecins, pédicures-podologues, kinés, etc., qui prennent en charge des usagers de tous âges et pathologies. En cas d’inquiétudes pour l’avenir du patient, ils font appel à Odile Anna Mathellon. "Ça prend souvent des allures de 'Tiens, tu ne voudrais pas prendre contact avec monsieur Bidule ? Là, ça va, mais je crois que d’ici quelques mois, ça pourrait se compliquer'", rapporte celle qui se présente aux usagers comme "l’infirmière du pôle". Des termes simples pour ne pas en rajouter aux situations parfois complexes que traversent les patients.

Car certaines situations sont plus compliquées que d’autres. Odile Anna Mathellon connaît bien le secteur pour y avoir exercé en libéral pendant une vingtaine d’années et reconnaît avoir du mal à toucher certains patients. Manque de confiance en soi, baisse des capacités physiques, pluripathologies déclarées… Pour diverses raisons, certains font la sourde oreille. "Il y en a qui refusent leur condition ou leur état de santé, mais trop souvent, on ne leur demande pas ce qu’ils veulent. Or nous sommes des êtres humains... Je ne force jamais les gens mais, en cas de refus, je ne les perds pas de vue." L’infirmière baroudeuse tente alors le rapprochement par un autre biais. Une de ses plus jolies victoires ? "Cette dame qui avait perdu toute confiance en elle après une chute. Comme elle était proche de sa femme de ménage, j’ai ainsi pu la rencontrer malgré ses réticences et lui proposer de participer à des ateliers Equilibr’âge avec une kinésithérapeute. Des rendez-vous réguliers, pas loin de chez elle, où elle s’est fait des copines. Trois mois plus tard, je la vois qui marche seule dans la rue… Et ça, moi, j’adore !"

Odile Anna Mathellon carbure aux bonnes énergies et est aussi inspirée par la proximité et la confiance que lui offrent, plus ou moins rapidement, les patients. "Oui, tu perds peut-être un quart d’heure à la première consultation. Mais au final, tu gagnes trois consultations." Chaque mois, elle réalise ainsi entre 10 et 15 visites à domicile : "Ici, on ne peut pas être sur un mode prescriptif. Il n’y a qu’un accompagnement rapproché et le relationnel qui portent leurs fruits. Il y a un côté simple, qui s’articule autour du médecin traitant, mais cela repose avant tout sur l’alliance avec le patient. Sans cela, on ne fait rien."


Respecter l'altérité

Diplômée en soins infirmiers depuis 1981, Odile Anna Mathellon entre à l’École française d’analyse psycho-organique en 1990 et prépare son mémoire intitulé "De l’intérêt de psychologues en service de cancérologie". Un travail inédit, "à un moment où il n’y en avait pas", glisse-t-elle. Son intérêt pour la dimension relationnelle du soin se traduit par des stages et missions à l’étranger. Des séjours d’un an dans des dispensaires et centres de soins en Inde, au Japon, au Canada et plus récemment au Mali qui aiguisent et colorent sa réflexion sur le rapport à l’altérité. "Tout est autre. Quand tu débarques dans un endroit où tu ne maîtrises ni la langue, ni les usages, ni le rapport au corps, tu observes et finis par respecter l’altérité. Là-bas, comme partout, chacun est unique !"

Odile Anna Mathellon n’aime pas les cases et brise les codes avec plaisir. Dans les années 1990, elle fait partie des pionniers qui parlent sans détour du sida. Elle lutte contre les clichés qui collent à cette "maladie de drogués et d’homosexuels" comme elle l’entend souvent à l’époque. En 2000, elle devient adhérente puis administratrice du réseau Sida ville hôpital 35, pour "que les collègues cessent d’enfiler les gants blancs avant même la sortie des malades séropositifs du taxi".


"C'est important que l'info circule bien"

Titulaire d’un DU d’éducation thérapeutique du patient depuis 2013, Odile Anna Mathellon est aussi coordinatrice d’un programme ETP au pôle de santé de Saint-Méen. Son approche se veut modeste. "Il ne s’agit pas de faire des personnes diabétiques de 'bons' patients, sages et disciplinés. Il s’agit de comprendre la personne, le regard qu’elle porte sur elle-même et de travailler sur ce qu’elle peut faire pour elle au quotidien."

Depuis quelques mois, la coordinatrice des soins prépare la mise en place de la plateforme territoriale d’appui (PTA) du Pays de Brocéliande dont elle est la référente "parcours" depuis mi-février. Un changement d’échelle avec un secteur plus vaste (849 km² pour 3 intercommunalités et 34 communes), qui compte quelque 450 professionnels de santé de premier recours pour 68 000 habitants. "Une chance pour mieux se connaître entre nous", appelle de ses voeux l’infirmière. C’est aussi la promesse d’une offre de soins plus efficace et d’une approche territoriale plus cohérente. "Quand on vit à l’autre bout du département et qu’on sort d’une hospitalisation à Rennes, c’est important que l’info circule bien."

Odile Anna Mathellon a ainsi quitté son bureau du pôle de santé de Saint-Méen pour de nouveaux locaux à Montfort-sur-Meu où "grâce à l’équipe de la PTA, la dynamique va pouvoir s’amplifier". Et si désormais elle est moins au contact des usagers, elle voit ses nouvelles missions comme une suite cohérente à son parcours. "Un moyen de diffuser son état d’esprit aux collègues du terrain."

* Adossé à l’agglomération rennaise, le Pays de Brocéliande compte 34 communes regroupées en 3 intercommunalités : communauté de communes Saint-Méen Montauban, communauté de communes de Brocéliande et Montfort communauté.

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