"Promis, après, je ne vous embête plus." C’est ainsi que commence le message que nous envoie le Dr Sabrina Cecchin, quelques minutes après notre entretien pour réaliser son portrait. Elle est intarissable ! Non sur elle – comme on l’espère quand il s’agit de rédiger un portrait – mais sur ses rencontres. Car toute sa carrière est une affaire de rencontres. Sa rencontre avec la médecine, elle la fait dès l’enfance, par un puzzle d’anatomie en 3D. "J’y ai beaucoup joué et, aussi loin que je m’en souvienne, j’ai toujours voulu devenir médecin. Ce n’était pas évident à l’époque. Mes parents sont d’origine étrangère (mère polonaise et père italien, NDLR) et nous n’avions pas beaucoup de moyens financiers. Mais ils m’ont transmis l’amour du travail et l’endurance. En optant pour la médecine, j’ai réalisé le rêve de ma mère, mais sans qu’on me l’ait vraiment imposé. Et je n’ai jamais regretté…" Sa thèse, qu’elle consacre à l’intérêt de la musique-communication pour les enfants hospitalisés, est encore l’occasion d’une "rencontre littéraire bouleversante" avec Boris Cyrulnik et la notion de résilience.


Le goût des autres

Après ses études et quelques années en tant qu’urgentiste à Lille puis Maubeuge, elle a eu "envie de voir ce qui se passait en amont, comment et pourquoi les patients en arrivaient là, aux urgences…" Elle fait donc des remplacements, puis reprend la patientèle d’un médecin qui part à la retraite dans un cabinet en association. Comme les locaux deviennent vite trop exigus pour sa patientèle composée de beaucoup de mères et d’enfants, elle déménage ensuite, seule. Mais cet exercice isolé n’est pas fait pour elle. Elle choisit alors de s’installer, seule, mais dans un bâtiment qui abrite déjà un laboratoire d’analyses médicales et un masseur-kinésithérapeute notamment, et convainc une infirmière, Anne Glacet, de s’installer à côté d’elle : "Je lui ai dit “On peut faire de belles choses, tu me suis dans cette joyeuse galère ?” Et elle a dit oui. Dès ce moment-là, ça a été un point de non-retour. Elle est toujours là pour partager nos idées parfois... décalées mais toujours pleines d’humour et d’enthousiasme."

C’est à la même époque que le médecin généraliste commence à s’intéresser à l’éducation thérapeutique et à la prévention. "C’était la première fois que je faisais des formations en pluriprofessionnel. Ça a été une révélation. Cela m’a permis de mettre des visages sur des professions et de voir ce qu’ils pouvaient m’apporter. J’ai beaucoup appris aussi des “entretiens motivationnels” : comprendre les valeurs des patients, leurs priorités, ne plus dire “pourquoi”, ne plus être dans le jugement. Je reprends souvent cette histoire de Charles Péguy, que cite Boris Cyrulnik dans Parler d’amour au bord du gouffre, où un homme demande à trois ouvriers pourquoi ils cassent des cailloux. Le premier répond “Je casse des cailloux, j’ai raté ma vie”, le deuxième le fait pour être à l’air libre et nourrir ses enfants, et le troisième, “Je construis une cathédrale”."

Autre rencontre : Dr Pierre-Marie Coquet. Ce médecin de Maubeuge, qui a créé la première MSP du territoire, lui parle beaucoup d’exercice à plusieurs. Aussi, quand l’ARS Hauts-de-France lui propose de construire une MSP, cela lui semble naturel : « On avait un bâtiment aux normes, j’étais maître de stage, je faisais des tours de garde… » Elle réunit alors les professionnels des environs et une vingtaine s’engagent dans l’association qui s’appellera Pôle santé de l’Écluse. S’ensuit un projet de santé : "On l’a construit sans a priori avec les affinités de chaque professionnel. Les questions ouvertes ont mis en exergue un puits de ressources inépuisable. Une formidable aventure humaine où l’enrichissement est permanent."


Le temps de l'ingénierie

Pour financer tout ce travail, ils se lancent dans l’aventure des appels à projets auprès de l’ARS, de la CPAM… "Il y a une phase d’ingénierie importante", mais c’est une autre activité "addictive" pour le Dr Cecchin : "Là, il faut que je vous parle d’une autre rencontre formidable avec la Femas Hauts-de-France et la sociologue Adeline Dubromel, tellement précieuse, accessible et pédagogue." L’équipe participe ainsi à la mission « Retrouve ton cap » pour la prise en charge de l’éventuelle surcharge pondérale des enfants de 3 à 8 ans : bilan et suivi avec un diététicien, consultation avec un psychologue pour chercher l’estime de soi, la représentation de son corps et son rapport avec la nourriture, travail avec un kinésithérapeute ou une infirmière sur l’activité motrice… "Faire changer le comportement d’un enfant peut faire changer celui de toute la famille. Ce qui est de bon augure pour les générations futures", se réjouit le médecin.

À ce premier projet succèdent d’autres, sur les addictions ou encore sur le dépistage du cancer du sein et du côlon. Ce dernier a fait l’objet d’un poster – cosigné avec les diététiciens Dimitri Dedecq et Valérie Noël – récompensé lors des Journées de la Fédération française des maisons et pôles de santé (FFMPS) en mars dernier. Elle nous parle de son immersion dans le monde des associations, d’enlever sa casquette de soignant, de parler à des citoyens plutôt qu’à des patients : "Le but est d’effacer le travail par le travail et de savoir s’adresser à tout type de population, en particulier les personnes en difficulté d’accès aux soins, tenir compte de leurs priorités plutôt que d’imposer les nôtres. Dimitri et Valérie, grâce à leur formation et leur générosité, m’ont été d’une aide extraordinaire dans l’élaboration des ateliers ; après tant d’heures partagées, nous sommes devenus amis, ils sont autant “addict” que moi !"

"Pourquoi je fais tout ça alors qu’il suffit d’ouvrir la porte et les patients affluent ? Parce que je ne peux pas m’arrêter. Je fais ça comme un loisir. Et un loisir, c’est du temps et de l’argent." Malgré tout, "cela suppose qu’on s’éloigne du paiement à l’acte. J’ose parler de salariat, c’est important pour ce type de missions. On peut créer une génération de non-fumeurs, mais ça ne se fait pas en une heure…" Elle espère aller vers de nouvelles vocations de généralistes : "On ne peut plus dire à un jeune médecin “Tu vas poser une plaque et rester là pendant trente ans”. Ils ont besoin de liberté. On peut leur proposer un salariat, qui leur laisse la possibilité de partir. Mais finalement, quand on se sent libre, on ne part pas…" Elle souligne aussi à quel point les patients la guident dans cette zone déficitaire : "Il y a peu de médecins, encore moins de spécialistes. Les patients savent qu’il faut agir en amont, que s’ils sont malades, c’est la galère, alors ils font tout pour ne pas le devenir et comprennent naturellement le principe de prévention." Et leur bienveillance se lit autour d’elle puisque le cabinet est entièrement décoré de leurs oeuvres.

Et demain ? Encore des projets, bien sûr : "J’aimerais aller visiter la MSP du Dr Didier Ménard, militant d’une santé communautaire, qui accueille les citoyens autour d’un café et non des patients dans un box." L’Espace ressource santé de la MSP, investi pour ses ateliers d’éducation à la santé, est un début.

Bio express

1986 : début des études de médecine

1998 : première installation à Hautmont

2012 : 3e cabinet médical dans le bâtiment de l’Écluse

2016 : création de la MSP de Hautmont

2018 : début du projet "On l’a fait, c’est pas compliqué"

RETOUR HAUT DE PAGE