Dans la famille Prin, Daniel, le père, médecin généraliste, a été le premier à se lancer dans l’exercice coordonné, “il y a 14 ans”, rembobine-t-il. À l’origine, une rencontre avec une diététicienne – Valérie Cadoret –, qui “a fait tilt”, alors qu’ils œuvraient à améliorer le régime de joueurs d’un club de hand-ball. Ils avaient tant aimé travailler ensemble qu’ils ont voulu l’étendre. Le projet de MSP est né. Avec pour base le quartier de Saint-Nazaire où Daniel Prin exerçait en cabinet de groupe, et la “patientèle des sept médecins” de la structure. À l'époque, c’est “l’aventure”, car il y a “peu de MSP”, les projets de santé ne sont pas encore “aussi bien ficelés”... Mais ils se lancent à plusieurs, encouragés par l’ARS, aiguillés par deux maisons de santé grandes soeurs, et portés par “l’intuition” qu’il ne faut pas “rater le coche”.


crédits : la famille Prin 
 

Labellisée en 2013, dans ses murs actuels depuis 2015, la MSP Laënnec est devenue une “grosse structure”. Et Daniel Prin ne regrette pas son investissement, ravi de “travailler différemment”, soit de façon horizontale avec l’ensemble des professionnels, et non plus verticale. Chaque expertise, (recueillie via des RCP formelles ou non, les passages d’un bureau à l’autre, les appels, la messagerie sécurisée) compte. Ce fonctionnement, juge-t-il, permet aux professionnels de “gagner en estime de soi”. C’est aussi un “anti-burnout”, car les praticiens ne sont plus seuls face aux cas complexes. Le service rendu aux patients, désormais pris en charge en équipe, est “indiscutable”.

“À l'époque, c'était l'aventure, aujourd'hui, c’est l’avenir”

Le deuxième à s’élancer : le fils aîné, Pierre-Charles, pharmacien. Avec sa femme Sara, rencontrée à la fac, il est co-titulaire à Moisdon-la-Rivière. C’est là, dans cette commune rurale, à une heure et quart de Saint-Nazaire, qu’ils ont, à leur tour, participé à bâtir une MSP. Tout a commencé fin 2019 : le maire avait, pour réfléchir à l’organisation des soins, réuni les professionnels de la commune, ces derniers étant assez nombreux, mais fonctionnant en silos. C’est à cette occasion que l’un des binômes de médecins a sorti le mot “MSP”.

Pierre-Charles a “toujours eu envie de partir vers l’interpro”, se souvient-il. Il faut dire qu’il y a été “biberonné”, comme disent des acteurs alentour. Par la fac. Par son père et ses collègues. Pour lui et Sara, l’évolution était “logique” : dans les officines où ils sont passés, ils conversaient déjà avec les infirmiers, les médecins… Et puis, dit-il, cette opportunité s’est présentée à eux à une époque où la dynamique interpro était déjà bien lancée : “On a pris le train en marche.”

Ils n’ont pas craint de sauter le pas, et ce en couple, comme pour leur officine. Mais pour que ça fonctionne, pose Pierre-Charles, il est crucial de “ne pas se marcher dessus”. De scinder les rôles, car il est impossible que tous deux s’investissent de manière égale pour tout. C’est ainsi que lui s’est davantage impliqué dans le MSP, fournissant notamment un gros travail personnel. Et bénéficiant des conseils de son père, du guidage de l’APMSL. “On a mis 16 mois à devenir MSP”.

Aujourd’hui, l’implication du pharmacien dans la structure (il est au comité de gestion) est toujours prenante, mais ça vaut le coup, juge-t-il. Évoquant sa “fierté” de voir les protocoles pluriprofessionnels “fonctionner correctement”, la création de "Santé vous bien 44" ; la mise en place d’actions de prévention (ex : sur le mouchage) ayant “super bien marché” ; l’absence de bisbilles sur le terrain ; l’acceptation de la critique (dans le cadre d’un double contrôle d’ordonnance, dans une optique de déprescription par exemple) quand elle est constructive et bien amenée…

Les deux MSP, en raison de leur (plus moins grande) ancienneté, de leur bon fonctionnement, sont sollicitées. Par les tutelles : Olivier Véran, alors ministre de la Santé, s’est rendu à Laënnec pour y observer le travail de l’IPA et de l’infirmière Asalée, la Sécu a sélectionné trois MSP - dont Moisdon - pour recueillir leur avis. Par les structures en devenir, surtout, qui font appel à leur expérience. Tous deux sont aussi ravis d’échanger lors des événements, régionaux et nationaux d’AVECsanté. Père et fils le disent volontiers, ils sont des militants de l’exercice coordonné. “C’est l’avenir de la médecine de ville”, selon Pierre-Charles. Le temps qui passe le montre, estime Daniel : les MSP “prennent leur essor”, tandis que “les médecins restés seuls ou à deux disparaissent progressivement”.

Préserver la sphère privée

Axel, le 3e enfant, aussi médecin, pourrait renforcer les rangs. Pendant l’internat, il a été en stage dans la MSP paternelle. Depuis, il a remplacé à droite à gauche, et sa préférence pencherait pour le pluripro… Il a, entre autres, remplacé à plusieurs reprises à Laënnec, et jamais hésité à solliciter son père pour un 2e avis, une pratique dans “l’ADN de la maison”. Est-ce difficile de travailler côte à côte ? Non, pour Daniel, à condition de rester pro au travail, et de ne pas parler de cas à la maison. Pour le reste, ils s’appellent facilement pour des conseils. Le projet d’Axel sera “probablement, mais ce n’est pas encore écrit, au sein de la MSP”, augure Daniel Prin.

Lui qui fêtera bientôt ses quarante ans d’exercice se réjouit que ses fils (et sa belle-fille) aient opté pour l’interpro : “Ils ont compris l’intérêt, et surtout la joie, d’aller dans ce type de structure”. Pour lui, l’exercice en MSP permet “d’avoir plus souvent le sourire”. Mais aussi d’améliorer les conditions de travail, les prises en charge. Et de favoriser l’accès aux soins. Les autres membres de la famille y contribuent aussi : Solène, la cadette, est sage-femme à l’hôpital ; Marie-Noëlle, la maman, est secrétaire dans un service d’imagerie lourde. “On est tous dans le soin à l’autre”, résume Daniel Prin et, de fait, le sujet “revient assez régulièrement” en privé.


Pour préserver leur vie de couple, de famille, Pierre-Charles et Sara observent une règle : “Quand on est au boulot, on est au boulot” et, de retour à la maison, “on n’en parle plus”. Ou presque. Il leur arrive d’évoquer l’officine, quand l’un des co-patrons n’y était pas la journée, mais juste pour se transmettre “l’important”, et il n’y a pas de “débriefs de cas de patients”. Il leur arrive aussi de parler pluripro, quand “quelque chose se monte au niveau France”.

Et entre impliqués en MSP ? Ils ne parlent pas que de ça, assurent-ils, mais oui, c’est un sujet. Que la discussion se fasse à deux, entre médecins, entre médecin et pharmacien. Ou à 4. Ils dissertent sur les rapports entre professionnels, les initiatives intéressantes, réfléchissent aux moyens pour attirer les médecins… L’idée est que ce soit positif, constructif. Lorsque les petits-enfants sont de la partie, en revanche, il est plus compliqué “d’avoir une discussion efficace”, rit Daniel Prin.

Il est trop tôt pour savoir si cette nouvelle génération empruntera, à son tour, la voie de la santé et de l’exercice coordonné. Ils sont “trop petits”, pour savoir ce que recouvre concrètement une MSP, glisse Pierre-Charles, au sujet de ses trois enfants. Mais ils connaissent le mot, “pour l’avoir entendu à la maison”, et ils croisent chez eux des collègues de leurs parents, devenus amis. De quoi intégrer tôt que le pluripro est, avant tout, une aventure humaine.
 

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