Pour Myriam Edjlali, neuroradiologue (Paris), s’exprimant dans le cadre des "Mardis de l’imagerie" organisés par la Société française de radiologie, la téléradiologie (qu’il s’agisse de télédiagnostic, gestion à distance de la lecture d’images, le patient n’étant pas sur le même site que le radiologue, ou de télé-expertise, quand le radiologue demande l’avis d’un radiologue expert) est un moyen de répondre à la problématique de l’accès aux soins et à l’imagerie(1). À condition que patients et médecins aient confiance (le consentement du patient est requis), la téléradiologie est amenée à se développer, d’autant qu’après des années d’expérimentation et la signature, à la mi-juin, par les syndicats médicaux de l’avenant 6 de la convention médicale d’août 2016 sur la télémédecine, les actes de téléconsultation (0,3 % des actes médicaux en 2015, selon la Cour des comptes) sont inscrits au remboursement par l’Assurance maladie depuis le 15 septembre 2018, et ceux de télé-expertise depuis février 2019 (il s’agit là de rémunérer une pratique déjà existante, et même quotidienne).

Lutter contre l'inégalité d'accès à la thrombolyse

Jean-Pierre Pruvo, neuroradiologue (CHRU Lille), décrit le dispositif télé-AVC Artois-Hainaut (voir encadré) mis en place dès 2011 par Isabelle Girard-Butaz (hôpital de Valenciennes) et François Mounier- Vehier (hôpital de Lens) pour lutter contre l’inégalité d’accès à la thrombolyse des patients de territoires trop éloignés d’une unité de soins intensifs neurovasculaires (Usinv). Actuellement, ce dispositif, actif 24h sur 24, 7 jours sur 7, réunit un urgentiste, un manipulateur radio, un médecin urgentiste, une infirmière et une aide-soignante dans chacun des hôpitaux de Lens, Arras, Valenciennes, Maubeuge, Cambrai.

Pris en charge par le médecin urgentiste de l’établissement où il est admis (le service d’urgences est équipé en caméra et prise audio pour une transmission en visioconférence des données cliniques au neurologue et au radiologue), le patient bénéficie d’une IRM. Cet accès à l’IRM, 24 heures sur 24 comme dans les stroke clinic (une performance !), est essentiel pour le succès du dispositif, insiste le Dr Pruvo. En effet, cet examen est un meilleur marqueur que le scanner, car il permet le diagnostic différentiel avec les déficits focaux dus à des causes non vasculaires (qu’une fibrinolyse pourrait aggraver), et le diagnostic de l’origine ischémique de l’AVC. Avec le télédiagnostic radiologique, chaque unité neurovasculaire de référence peut requérir l’avis du neuroradiologue interventionnel, qui décidera d’une fibrinolyse ou d’une thrombectomie (intervention effectuée au CHRU de Lille).

Le Dr Pruvo souligne l’intérêt du télé-AVC : "Avec cette communication à distance, on est plus efficace parce qu’on intervient plus tôt", sachant que la fibrinolyse doit être réalisée dans les quatre heures trente (au-delà, le risque d’hémorragie est présent), et la thrombectomie (possible depuis 2015) dans les six heures après l’accident vasculaire. Outre le bénéfice pour le patient (accès plus rapide au traitement), le télé-AVC rapproche les équipes médicales de différents hôpitaux, d’où une meilleure coopération pluriprofessionnelle ("la télémédecine nous force à nous structurer, le dispositif réunit les équipes encore mieux que lors du fonctionnement habituel" : urgentistes, neurologues, radiologues échangent leurs compétences, "infirmières et manipulateur radio se rencontrent sur le terrain"), et permet de mutualiser les équipes neurologiques et radiologiques (un seul neurologue et un seul radiologue de garde sur place, 24h sur 24, pour les six hôpitaux), d’éviter des transferts inutiles (d’où des économies). Un autre intérêt est la traçabilité des actes (demande d’examen informatisée, compte-rendu structuré, rédigé immédiatement), sachant que toutes les structures reliées partagent un logiciel commun, garant de la rapidité (quinze minutes pour transférer les données d’une IRM) et de la qualité de la transmission des images (une des limites de la télé-expertise, précise Laurence Rocher, uroradiologue à l’hôpital Bicêtre).

Déjà déployé dans le littoral nord et sud des Hauts-de-France, le Grand Est (une UNV à Reims et à Troyes, pour 3 000 alertes par an), en Auvergne- Rhône-Alpes (3 centres hospitaliers pour une UNV en Limousin), en Bourgogne-Franche-Comté, ce dispositif gagnerait à être étendu et homogénéisé sur tout le territoire, afin de réduire les disparités régionales des taux de mortalité (plus élevés à La Réunion, en Guadeloupe, Guyane, Martinique, dans les Hauts-de-France et en Bretagne, plus faible en Île-de-France) et de prise en charge en UNV (encadré et figure dans la revue imprimée).

Malgré une prise en charge parfois encore trop longue des alertes AVC, en partie en raison des délais d’imagerie, le télé-AVC, pour laquelle la Haute Autorité de santé (HAS) a publié dès janvier 2013 des indicateurs de pratique clinique et qui s’inscrit dans un cadre réglementé(3), est un modèle pertinent pour montrer l’intérêt de la téléradiologie. Mais ce dispositif ne vaut, souligne Julien Carricaburu (CnamTS et chef de projet HAS), que par l’organisation qui le sous-tend ("la télémédecine est un outil pour renforcer un parcours de soins coordonnés") et par sa pertinence, évaluée à l’aune du bénéfice pour le patient et de la nécessité d’une prise en charge rapide. L’Assurance maladie s’est dotée d’un observatoire pour surveiller à quels patients la téléradiologie profite et comment elle se développe, l’évaluation de ses bénéfices étant confiée à la HAS.

 

1. Selon un sondage BVA, réalisé en décembre 2018 pour les Contrepoints de la santé, 18 % des 1 117personnes interrogées ont eu un problème de rendez-vous pour un examen d’imagerie, 45 % ont eu des problèmes pour accéder à un spécialiste et 55 % pensent que la téléconsultation est efficace. En 2018, pour un parc de 960 appareils, il fallait attendre 32,3 jours en moyenne pour une IRM urgente (dans l’étude du Snitem, il s’agissait d’IRM lombaire pour recherche d’extension de cancer), et plus de 50 jours en Bretagne et Pays de la Loire, et 20 jours en Île-de-France.

2. Cadre réglementaire : article 78 de la loi HPST n° 2009-8979 et décret n° 2010-1229 du 19 octobre 2010 ; circulaire du 6 mars 2012 de la Direction générale de l’offre de soins relative à l’organisation des filières régionales de prise en charge des patients victimes d’AVC, et document "Télémédecine et responsabilités juridiques engagées".

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